Hanane Hocine. Professeure en psychiatrie et spécialiste en addictologie : «Il n’existe pas de données actualisées et de dépistage des addictions en milieu scolaire»

22/12/2024 mis à jour: 16:06
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Photo : D. R.

Un phénomène préoccupant, souvent invisible : les conduites addictives chez les jeunes en milieu scolaire. La Pre Hocine aborde de manière détaillée les différents types de conduites addictives, qu’elles soient liées à l’usage de substances psychoactives ou à des comportements compulsifs, allant jusqu’à l’addiction aux écrans. Elle met également en lumière les facteurs de risque, les conséquences physiques, psychologiques et sociales de ces addictions, ainsi que les défis auxquels les parents, enseignants et professionnels de santé sont confrontés. A travers cet entretien, elle souligne l’absence de données actualisées et de dépistage structuré dans le milieu scolaire, un enjeu majeur pour la prévention et la prise en charge de ces troubles.

  • Pourriez-vous docteur nous expliquer ce que l’on entend par conduites addictives et comment elles se manifestent chez les jeunes écoliers ?

Les conduites addictives se répartissent en deux grands groupes : d’un côté, les troubles liés à l’usage de substances ayant un potentiel addictogène et, de l’autre, les addictions comportementales, comme celles liées aux écrans, à internet, au jeu pathologique ou encore aux achats compulsifs. Chez les jeunes, ces conduites peuvent se manifester par une consommation précoce de substances psycho-actives ou une dépendance marquée à des comportements, souvent au détriment de leur développement social, scolaire et émotionnel.

  • Dispose-t-on de données précises sur l’ampleur du problème de la drogue dans le milieu scolaire, particulièrement en Algérie ?

Malheureusement, il n’existe pas de données nationales actualisées sur les conduites addictives dans la population générale, ni de canevas spécifiques pour leur dépistage systématique dans les établissements scolaires. Les données disponibles proviennent principalement des centres intermédiaires de soins en addictologie, qui ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Selon les données mondiales, l’âge moyen de début de consommation de substances addictives est de 11 ans, et seulement un consommateur sur sept consulte un centre spécialisé. Ces chiffres sont transposables à l’Algérie.

  • Quels types de substances sont principalement consommés par les élèves ?

Les substances les plus couramment utilisées par les jeunes en milieu scolaire incluent, par ordre décroissant, la prégabaline (57,4%), le cannabis sous ses formes fumée et inhalée (55,55%), l’ecstasy ou MDMA (20,37%), les benzodiazépines (20,07%) et les opioïdes (14,81%). D’autres substances, comme l’alcool, les antiparkinsoniens, la cocaïne et certains solvants, sont également utilisées. Les conséquences de cette consommation sont souvent graves, notamment pour les très jeunes enfants, dont le cerveau est encore en développement.

  • Vous mentionnez aussi les addictions comportementales. Sont-elles fréquentes chez les enfants ?

Oui, bien qu’encore peu étudiées, les addictions comportementales, notamment aux écrans, prennent de l’ampleur. De nombreux parents s’inquiètent de la relation pathologique de leurs enfants avec les écrans, qui pourrait dépasser en gravité celle des substances addictives. Cette dépendance affecte non seulement les relations sociales, mais crée aussi un terrain favorable à la consommation de toxiques en modifiant les circuits cérébraux de la récompense.

  • Quels sont les principaux facteurs de risque qui favorisent les conduites addictives chez les jeunes ?

Les conduites addictives chez les jeunes peuvent être favorisées par plusieurs facteurs de risque. Tout d’abord, une prédisposition génétique, souvent influencée par l’environnement, peut jouer un rôle déterminant. Ensuite, des problématiques familiales telles qu’un divorce, un décès parental ou des violences intrafamiliales exposent les jeunes à des situations émotionnelles et psychologiques fragiles. L’environnement social toxique, où des proches consomment et valorisent l’usage de substances, constitue également un facteur-clé.

Par ailleurs, les caractéristiques des substances elles-mêmes, notamment leur puissance addictogène, peuvent rendre leur consommation plus attrayante et dangereuse. Les changements sociétaux, avec la survalorisation du matérialisme et la dévalorisation de l’effort, influencent les comportements des jeunes en quête de solutions rapides et de gratification. La facilité d’accès aux substances, notamment via internet, facilite également leur consommation. Enfin, la présence de troubles psychiatriques ou somatiques peut rendre les jeunes plus vulnérables à l’addiction.

  • Quelles sont les conséquences de ces consommations sur les enfants et adolescents ?

Les impacts sont multiples et graves. Sur le plan physique, les substances psychoactives perturbent le développement cérébral en cours. Elles peuvent également affecter la santé mentale, provoquer des troubles cognitifs et conduire à des comportements délinquants ou criminels. Les conséquences sociales incluent le décrochage scolaire, l’isolement et une désocialisation progressive. Plus l’âge de début de consommation est jeune, plus les risques d’hypothéquer leur avenir sont élevés.

  • Quels signes peuvent alerter les parents ou les enseignants ?

Les signes ne sont pas toujours spécifiques, mais ils incluent des changements de comportement, comme s’isoler dans sa chambre, rentrer tard, changer de fréquentations, ou encore des demandes d’argent inhabituelles. Une baisse des performances scolaires, des troubles du sommeil, ou une irritabilité marquée peuvent également être des indicateurs. Une consultation auprès de professionnels de santé scolaire est recommandée en cas de doute.

  • Quelles mesures de prévention sont mises en place ?

La prévention s’articule autour de trois volets : Primaire, pour éviter l’entrée dans les conduites addictives. Cela inclut des campagnes de sensibilisation pour les parents et des activités scolaires favorisant l’épanouissement des enfants.
Secondaire, pour intervenir tôt en cas de consommation, via un suivi coordonné entre parents, établissements scolaires et centres spécialisés. Tertiaire, pour prendre en charge les complications déjà installées, bien que cette dernière étape nécessite davantage de ressources.

  • Quel rôle peuvent jouer les parents et la société civile dans cette lutte ?

Les parents jouent un rôle crucial en maintenant un climat de communication au sein de la famille et en surveillant de près leurs enfants. Ils doivent éviter les réactions violentes et chercher à comprendre pour mieux accompagner. La société civile, incluant les écoles, les clubs sportifs et les associations, a également un rôle protecteur. Des campagnes de sensibilisation inclusives et une coordination intersectorielle sont essentielles pour maximiser l’efficacité des efforts de prévention.
 

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