- Comment évaluez-vous la situation actuelle du marché automobile du pays en matière de pièce de rechange ?
Le volet lié à la pièce détachée en Algérie est très perturbée de sorte que les conducteurs de véhicule sont, dans la plupart des cas, obligés de s’orienter vers la pièce usagée déjà utilisée. Dans des cas de force majeure, chacun se doit d’importer sa pièce comme il peut depuis un pays étranger. Ce qui amène à comprendre que le marché reste insatisfaisant au regard des moyens matériels mis en place par les pouvoirs publics.
Cette problématique s’accentue au fil du temps et contraint les propriétaires de véhicules dans une quête permanente de la pièce détachée, le cas échéant, pour dépanner la voiture. D’autre part, il est judicieux de souligner que ce problème prend de l’ampleur, parce que nous ne disposons pas d’un système de mobilité permettant de remplacer le véhicule. Ce qui oblige la plupart des familles, de posséder un deuxième véhicule pour éviter de se retrouver confrontées à des situations pénalisantes vis-à-vis des obligations professionnelles, familiales et sociétales.
- Quels sont les facteurs qui freinent l’importation de ces composants sur le marché depuis au moins trois ans ?
Parmi les facteurs qui freinent l’importation des pièces de rechange, il y a l’absence de régulation qui devait être imposée par les pouvoirs publics, c’est-à-dire le ministère du Commerce. Il était du devoir des pouvoirs publics d’orienter les opérateurs ayant représenté, durant la dernière décennie, plusieurs marques automobile pour assurer le service après-vente des pièces aux consommateurs pendant une période de dix ans après qu’ils aient fermé ou après rupture du contrat.
Quand une concession arrête son activité, elle ne doit pas arrêter d’alimenter la pièce, vu qu’elle reste liée avec les clients par un contrat moral. Cela n’a pas été respecté chez nous, car de nombreux opérateurs sont poursuivis en justice et les autorités veulent faire table rase du passé. D’autre part, c’est un marché qui a été laissé aux mains des spéculateurs. Ce sont des petits opérateurs qui importent aujourd’hui parfois d’une manière légale et parfois illicitement, profitant de la vulnérabilité du marché automobile actuel. Dans la conjoncture que nous traversons, ce serait difficile de faire un contrôle économique et freiner ce phénomène.
- Cette pénurie observée dans le secteur de la pièce de rechange laisse place à de la spéculation non seulement sur la qualité des composants, mais aussi les prix aléatoires appliqués. Préconisez-vous la surveillance de ce marché ou libérer l’importation pour régler le problème ?
Notre association El Aman a toujours appelé les pouvoirs publics à produire de la pièce détachée. Quand nous nous empreignons de l’économie industrielle dans d’autres pays, les opérateurs industriels fabriquent toutes les pièces. Ce degré de maturité est arrivé graduellement, contrairement à notre économie industrielle où avant de se lancer dans le montage des véhicules, il fallait encourager beaucoup d’opérateurs à fabriquer les pièces de rechange locales pour faire ensuite le montage automobile.
En même temps, assurer la revitalisation du parc vétuste et penser même à l’exportation vers d’autres marchés qui auraient besoin de ces composants de véhicules. Quant à la surveillance du marché, les concessionnaires automobiles, à titre d’exemple, qui sont dans l’obligation d’assurer un stock de pièces, il n’y a aucun système de gestion et de contrôle permettant de le vérifier. Il faudrait de l’expertise, de la numérisation, de la formation et beaucoup d’autres choses pour pouvoir maîtriser ce volet.
- Les autorités compétentes cherchent, à travers cette fermeture du marché de l’importation de pièces détachées, à favoriser la fabrication locale. Quel est l’impact de cette démarche sur le plan sécuritaire dans la conjoncture actuelle, sachant que l’une des causes des accidents de la route actuellement est due au mauvais entretien du parc automobile ?
Notre association El Aman a de tout temps alerté sur les problèmes de la rareté de la pièce détachée que connaît le marché. Toutefois, ce qui nous inquiète le plus est la qualité douteuse de la pièce et la contrefaçon qui frappe de plein fouet ce créneau. Il y va de même pour l’absence de culture du consommateur qui cherche à acheter le moins cher possible même lorsqu’il s’agit d’un organe de son véhicule qui doit remplir la fonction de sécurité. C’est là que nous déplorons la non-régularisation et le non-contrôle et la non-maîtrise de ce domaine.
Il y a, par ailleurs, un manque de contrôle efficace, car nous n’avons pas encore lancé de laboratoire national de contrôle des produits industriels. Le laboratoire de Constantine, seul organisme sur le territoire national, ne possède pas toutes les aptitudes et les moyens techniques pour faire des crashs test par exemple. Sa mission actuelle se résume à contrôler des pièces électroménagers.
Il est loin de remplir, par exemple, la mission de tester la vraie composition de l’acier qui est prévu dans une pièce de véhicules, l’élasticité des caoutchouc, etc. C’est pour ces raisons que le marché de l’importation reste soumis au phénomène de la spéculation et que le consommateur se retrouve entre le dilemme de payer cher pour une pièce dite d’origine et pas cher pour une pièce non homologuée. La culture de consommation est quasi absente aussi. D’où le comportement irréfléchi des consommateurs qui cherchent les pièces de piètre qualité.
- Quelles sont les conséquences de cette fermeture dans la mesure où le pays amorce une nouvelle démarche pour la fabrication et l’industrialisation automobile locale à l’orée de l’année 2025 ?
Comme pour l’interdiction de plusieurs produits de large consommation, les autorités s’empressent à fermer ce marché de l’importation sans qu’ils s’y préparent. Sous certaines réserves, cette décision est quelque part salutaire pour l’économie nationale, mais elle doit être réfléchie autrement, préparer le terrain en amont pour ne pas asphyxier le marché. Il serait préférable d’éviter les décisions par anticipation et d’étudier le marché pour connaître ses capacités en termes de production nationale.
Il faudrait faire une évaluation cyclique pour baisser au fur et à mesure l’importation de certains composants que nous pourrons à l’avenir fabriquer localement. Après, il y a certains composants qui ne sont maîtrisés que par la grande expertise internationale pour lesquels nous ne pourrons pas prétendre un jour à les fabriquer, comme les pompes à injection qui relèvent du domaine de certaines marques de renommée internationale.
Ce que nous pouvons fabriquer par contre, ce sont des pièces d’usure basiques, c’est-à-dire le consommable des véhicules. C’est pour cela qu’il ne faut pas fermer hermétiquement le champ de l’importation ou bien tout ouvrir. Réduire les importations régulièrement selon les besoins du marché serait plus adéquat. Par exemple, l’Algérie est dans la capacité de produire les plaquettes de frein ou la pneumatique.
- Selon-vous, quel est l’impact de cette fermeture du marché sur le plan économique ?
Ces fermetures aléatoires du champ d’importation des produits ne doivent pas intervenir promptement. Cela n’améliorera pas le volet économique du pays. Je cite le cas actuel du marché de la pièce de rechange ou même les pneumatiques où l’Algérie est contrainte d’aller acheter ailleurs plus cher, pousser involontairement les importateurs à se procurer de la devise dans le marché noir de manière frauduleuse sans qu’il y ait de contrôle. Au final, personne ne sera gagnant dans cette situation. L’importateur qui payait, avant la restriction du marché de la pièce détachée, les frais de douane se retrouve à ne plus payer. Donc, aucune rentabilité pour le Trésor public.
- Prenons l’exemple du cas de la pneumatique qui a connu une rareté pour laquelle les responsables du secteur ont injecté une quantité sur le marché. Cette pièce continue de connaître une hausse tarifaire. Où se situe le problème, selon vous ?
L’arrêt de l’importation des pneumatiques va nous coûter cher en vie humaine. Un propriétaire de véhicule sera contraint à consommer des pièces usagées. A des degrés plus élevés, les professionnels tels que les transporteurs de voyageurs et ceux de la marchandise encourent plus de risques. Cette raréfaction de ce produit, conjuguée à la flambée de ses prix auront des répercussions catastrophiques. A chacun d’assumer ses responsabilités !
- Quelles sont vos suggestions pour que ce secteur automobile revienne à sa situation normale et favoriser un écosystème stable ?
Nous n’avons rien inventé. Il faudrait juste copier les modèles des autres pays qui ont bâti une vraie économie de marché. La chronologie est très importante dans le processus d’industrie. Le virage de l’industrie automobile que l’Algérie emprunte est important certes, mais ce n’est pas un domaine qui doit se substituer à l’importation.
Autre chose, il faudrait maîtriser le volet de l’importation de véhicules d’occasion. Maintenant qu’on y est, il faudrait ouvrir, au moins pour les deux ans à venir, le champ à l’importation de véhicules de moins de cinq ans pour régler les problèmes des consommateurs, acquérir aussi des engins et des camions vu que le pays amorce de mégaprojets. En somme, penser une stratégie managériale à long terme. Nous aurons tout à gagner de réévaluer toutes les démarches qui ont été entreprises durant ces trois dernières années et d’essayer de repenser un autre système de gestion pour ce volet qui est, faut-il le rappeler, une partie importante de l’économie du pays.