Le chef de l’armée soudanaise, en guerre contre les paramilitaires, a salué une initiative turque visant à résoudre le conflit sanglant qui déchire depuis 20 mois ce pays d’Afrique de l’Est. C’est ce qu’a déclaré le ministre soudanais des Affaires étrangères, Ali Youssef, selon des propos cités hier par l’AFP.
Lors d’une réunion à Port-Soudan samedi, le général Abdel Fattah Al Burhane a demandé au vice-ministre turc des Affaires étrangères, Burhanettin Duran, de «transmettre au président turc, Recep Tayyib Erdogan, l’accueil favorable des dirigeants soudanais à l’initiative», a déclaré le chef de la diplomatie soudanaise, lors d’un briefing dans la soirée après la réunion. «Le Soudan a besoin de frères et d’amis comme la Turquie», a-t-il indiqué, ajoutant que «l’initiative (pouvait) conduire à la réalisation de la paix au Soudan».
Début décembre, le président Erdogan a déclaré, lors d’un entretien téléphonique avec le général Al Burhane, que son pays «pourrait intervenir pour résoudre les différends» entre le Soudan et les Emirats arabes unis ainsi que pour établir «la paix et la stabilité au Soudan», selon un communiqué de la présidence turque. Le gouvernement soudanais, soutenu par l’armée, a accusé à plusieurs reprises les Emirats arabes unis de soutenir les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), des allégations toujours réfutées par les Emirats.
En décembre, le gouvernement soudanais a accusé les FSR d’avoir lancé des drones, assemblés aux Emirats arabes unis, depuis le Tchad voisin. Selon des parlementaires américains citant fin décembre la Maison-Blanche, les Emirats ont informé les Etats-Unis qu’ils n’armeraient plus les paramilitaires dans la guerre au Soudan. Après sa rencontre avec le général Al Burhane samedi, B. Duran a déclaré que le processus de paix nécessite «des efforts concertés» et que la Turquie est prête à «jouer son rôle dans la mobilisation d’autres acteurs régionaux pour aider à surmonter les difficultés pour mettre fin à ce conflit».
Dans un communiqué la semaine dernière, les Emirats arabes unis ont salué les «efforts diplomatiques» de la Turquie pour résoudre la crise actuelle au Soudan. La guerre au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts et en a déraciné plus de 12 millions d’autres. Elle a également poussé le pays au bord de la famine.
La Corne de l’Afrique constitue, en particulier les côtes de la mer Rouge, du golfe d’Aden et de l’océan Indien, une des régions géostratégiques les plus importantes au monde. En outre, elle donne sur le détroit de Bab Al Mandeb, qui joue un grand rôle dans le commerce mondial et régional, d’autant plus qu’il est adjacent à la péninsule Arabique.
Ankara en Afrique de l’est
Une telle position stratégique suscite les convoitises des grandes et moyennes puissances, dont la Turquie. Ainsi, Ankara a mené une offensive diplomatique et économique en Afrique en général et dans la Corne en particulier pour marquer sa présence dans le continent qui représente, aux yeux des grandes puissances, un réservoir de matières premières.
Pour schématiser, en 2010, Ankara a organisé, en partenariat avec les Nations unies, la Conférence d’Istanbul pour la Somalie. En 2017, la Turquie a installé un camp de formation militaire Türksom à Mogadiscio, pour entraîner les troupes somaliennes à la lutte contre le terrorisme islamiste du groupe Al-Shebab.
Les entreprises Favori et Al-Bayrak ont rénové et gèrent respectivement l’aéroport et le port de la capitale. Aussi, la Turquie a exprimé sa disponibilité à jouer le rôle de médiateur dans la Corne, entre le Soudan et le Soudan du Sud en 2015 et entre l’Ethiopie et le Soudan en 2020. En Ethiopie, quelque 200 entreprises turques se sont installées et Ankara a fourni l’armée fédérale éthiopienne en drones TB2, utilisés sur le front tigréen au cours de la guerre de 2020-2022. En 2011, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre de la Turquie, s’est rendu à Mogadiscio, au moment où la Somalie traversait une famine dans un contexte de guerre civile et d’intensification de la menace terroriste des shebab. En 2013, le pays a accueilli des discussions de niveau présidentiel entre la Somalie et le Somaliland, puis, en 2015, ce sont des représentants des sociétés civiles qui se sont réunis sous l’égide d’Ankara. En automne, le navire turc Oruç Reis est arrivé à Mogadiscio pour une mission d’exploration de gaz naturel et de pétrole dans les eaux somaliennes, en vertu d’un accord entre les deux pays prévoyant des forages dans trois zones de 5000 km2 chacune.
Le 1er janvier 2024, l’Ethiopie, devenu un pays enclavé après l’indépendance de l’Erythrée en 1993, et le Somaliland ont signé un protocole d’accord prévoyant la cession à l’Ethiopie pour une durée de 50 ans d’une bande littorale de 20 kilomètres dans la ville portuaire de Berbera, sans l’assentiment de Mogadiscio, qui n’a jamais reconnu l’indépendance de son ancienne province autoproclamée en 1991. En contrepartie, l’Ethiopie se serait engagée à reconnaître le Somaliland. D’où l’ire de la Somalie.
Après des mois de brouille, Addis-Abeba et Mogadiscio ont signé, le 11 décembre en Turquie, un accord pour mettre fin aux tensions. Recep Tayyip Erdogan a qualifié ce jour-même d’«historique» cet accord signé, à Ankara, par le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, et le président somalien, Hassan Sheikh Mohamoud.
Le communiqué publié à l’issue de la signature d’Ankara garantit «un accès fiable, sûr et durable» à l’Ethiopie sous l’autorité de la Somalie. En outre, les deux pays se sont engagés à respecter leur souveraineté mutuelle. Ce qui suppose qu’Addis-Abeba renonce à reconnaître le Somaliland.