Ghania Merrouche. Ancienne membre de la troupe du Théâtre municipal de Constantine : Une comédienne héroïque

21/05/2023 mis à jour: 18:55
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On dit que le hasard fait bien les choses. Effectivement, de passage au centre-ville de Constantine, un artiste me salue tout en me présentant une dame octogénaire qui veut visiter la prestigieuse bâtisse de la place du 1er Novembre, le théâtre de Constantine. 

Après avoir échangé quelques paroles, et de fil en aiguille, il s’avère que c’est une comédienne qui faisait partie de la première troupe théâtrale postindépendance du théâtre municipal de Constantine en 1962. 

Souvenirs de la rue des Maquisards

La dame en question n’est autre que Ghania Merrouche, native de la ville de Constantine. Elle a vu le jour quelques semaines avant les évènements du 8 Mai 1945. Ghania entame ses études primaires à l’ex-école Léon Gambetta (actuelle école Asma) dans le quartier de Saint-Jean. A cette époque, ses parents ont pour demeure un appartement à la rue des Maquisards (Ouled Braham), avec comme voisin l’un des grands martyrs de la Révolution algérienne, Abderrahmane Benmeliek, guillotiné à la fleur de l’âge dans la prison militaire de Constantine par l’administration coloniale en 1958, alors qu’il n’avait que 24 ans. Ghania me révèle qu’au moment d’aller à l’école, Abderrahmane Benmeliek mettait des choses dans son cartable pour les faire passer de l’autre côté du barrage militaire français. 

D’ailleurs, malgré son jeune âge, elle garde de très bons souvenirs de ce beau et jeune révolutionnaire, patriote qui aime ardemment sa patrie, l’Algérie. Peu de temps après, les parents de Ghania déménagent à la rue de Tunis sur le prolongement de la rue des cousins Boufenara (ex-rue de Verdun). Elle vient d’obtenir sa sixième. La jeune Ghania rejoint l’ex-collège moderne de jeunes filles devenu par la suite lycée Chanzy (actuel lycée Meriem et Fadila Saadane) au Coudiat. Au sein de cet établissement, elle intègre la troupe théâtrale où elle apprend les rudiments de l’art dramatique avec son professeur Roger Norman. Elle manifeste sa passion pour le 4e art tout en participant à diverses manifestations culturelles. Vu le métier de son papa, comme chef cuisinier à l’hôpital de Constantine, il s’est vu muter à Sétif où elle passe quatre années avant de rentrer à Constantine et rejoindre le lycée El Houria. 

Première troupe

Tout juste après l’indépendance, le voisin de Ghania, Mohamed Cherif T., un comédien amateur, demande à sa sœur si elle veut rejoindre la troupe du théâtre municipal de Constantine qui vient de se constituer par son directeur le grand dramaturge algérien Omar Benmalek. Sa sœur décline cette offre. Par contre, elle lui propose son amie Ghania Merrouche qui faisait déjà du théâtre au collège. En dépit des réticences de sa famille, Ghania accepte l’invitation et elle demande à voir le directeur du théâtre. Après un casting sur la scène du théâtre devant Abdelkader Melloul et Omar Benmalek, elle fut intégrée pour la préparation de la première représentation théâtrale post-indépendance de l’Algérie à Constantine.

 D’ailleurs, c’était à l’occasion des préparatifs des festivités pour célébrer le 8e anniversaire de la révolution, par laquelle la direction du théâtre annonce par voie de presse qu’elle entame des cours d’initiation à l’art théâtral dédié pour cette initiative. Les comédiens sollicités pour le montage de cette pièce se sont unis grâce au comité artistique départemental (CAD), issu de la création du Groupement artistique Constantinois (GAC), présidé par Mohamed Tchaker et Amor Bendali.

Ghania s’impose dans la pratique théâtrale, malgré les préjugés familiaux et sociaux de l’époque. Elle enchaîne les répétitions pour être fin prête pour le 1er novembre 1962. La pièce théâtrale en question s’intitule El Batal (Le Héros), adaptée de l’œuvre de Miguel de Cervantès Le Retable des Merveilles, mise en scène de Abdelkader Melloul, d’une durée de 1h30, avec un intermède musical animé par les meilleurs éléments des orchestres constantinois sous la direction du grand chef d’orchestre Abderrahmane Bencharif secondé par M. Boulaioune. Le texte dramatique de cette œuvre comprend trois actes, à travers lesquels Ghania évoque la mémoire de ce spectacle. 

Le Héros

Elle se rappelle de quelques noms connus de la sphère artistique constantinoise qui ont joué dans cette pièce, dont le nombre dépasse la vingtaine, la plupart ont fait leur petit bout de chemin pendant l’occupation française comme Hadj Smaine Mohamed Seghir qui rejoint en 1963 la troupe professionnelle du Théâtre national algérien, dont il est l’un de ses fondateurs, Hassen Bencheikh Lefgoun président de la troupe El Amel El Masrahi, Touache Mohamed Salah, comédien professionnel au TNA en 1963, Cherif Djilani, Cherif Chouaib, Achek Youcef Abderrahmane ancien comédien, metteur en scène et écrivain et Nacer Benlemouafek. Les répétitions au théâtre se sont faites sous le regard de la nouvelle génération comme  Abdellah Hamlaoui, Bachir Benmohamed, Mohamed Salah Adjabi, Abdelhamid Habati, Hassen Benzerari et autres. 

Le rôle principal de cette pièce théâtrale a été campé par Cherif Djilani, qui deviendra le directeur du Théâtre national de Constantine, en vertu du décret n° 63-12 du 8 janvier 1963 portant organisation du théâtre algérien. Malgré son jeune âge, Ghania Merrouche fait une entrée fracassante en s’emparant du premier rôle féminin Basilide, aux côtés de Mohamed Cherif T., Constantin. H. Debchi, Meltiza et Dalila, la servante. 

A un moment donné, Ghania pousse un soupir avant de poursuivre son récit qui illustre ses souvenirs au théâtre. «Ce qui a donné un aspect original et évocateur, ce sont les costumes ainsi que le décor», décrit-elle. Pour ce qui est des effets scéniques et des décors, toute une machinerie a été déployée au service d’une esthétique exemplaire et authentique par une équipe de machinistes professionnels dirigés par le grand chef machiniste Abderrahmane Bendjazia. Cette performance scénique El Batal (Le Héros) a conquis le public constantinois, subjugué par la qualité de l’œuvre et la valeur des interprètes. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître. 

Devant le succès triomphal de la pièce et à la demande générale, la troupe de Omar Benmalek a donné son troisième spectacle le 3 novembre 1962. Une représentation pareille avec des comédiens amateurs sans moyens ont conquis par leurs talents les grandes villes de l’Est algérien comme Skikda et Annaba. Au sujet des moyens, Ghania Merrouche se souvient que pendant les tournées théâtrales, il n’y avait même pas de quoi manger pendant leurs voyages, et c’est Omar Benmalek qui leur achetait des oranges avec du pain qu’il payait de sa propre poche. 

Après cette petite expérience comme comédienne, Ghania Merrouche entame une formation comme institutrice de langue française auprès de l’établissement de l’Institut national de formation des fonctionnaires du secteur de l’éducation nationale Meriem Bouatoura de Constantine. Ainsi, s’achève l’évocation des souvenirs de Ghania Merrouche, bien préservés par une mémoire infaillible de sa ville natale avant de se marier et de s’installer à Aix-en-Provence pas loin de la ville d’Avignon réputée pour son théâtre emblématique.

Par Mohamed Ghernaout 
Enseignant et auteur d’ouvrages sur le théâtre algérien

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