La Cour des comptes relève que sur le plan organisationnel «la dispersion de la gestion du service public entre plusieurs organismes nationaux et locaux a fortement altéré son efficacité».
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes a fait un constat alarmant sur la gestion du service public d’assainissement. Dans le cadre de ses travaux de contrôle, la Cour des comptes a engagé un audit sur l’activité d’assainissement, comptant l’ensemble des activités liées à la gestion du réseau hydraulique, et constate «qu’en dépit des efforts consentis par l’Etat, des progrès restent à faire pour assurer un service public d’assainissement plus performant».
L’évaluation effectuée par les auditeurs de la Cour sur la période 2001 à 2023, au niveau de l’Office national d’assainissement (ONA), de la Société des eaux et assainissement d’Alger (SEAAL), de SEOR (Oran) et Seaco (Constantine), a identifié trois contraintes majeures qui sont d’ordre : organisationnel, financier et technique.
«En dépit du coût supporté par la collectivité durant ces 20 dernières années (1000 mds de DA), 80% des eaux usées sont rejetées dans la nature sans traitement, une multitude de dysfonctionnements chroniques affectent la plupart des systèmes d’assainissement, occasionnant des débordements et des déversements récurrents», indique le rapport. La Cour des comptes relève que sur le plan organisationnel «la dispersion de la gestion du service public entre plusieurs organismes nationaux et locaux a fortement altéré son efficacité».
Le déploiement de l’ONA sur l’ensemble du territoire national, prévu depuis 2003, n’a pas été à ce jour parachevé, alors que sur le plan du financement, il s’est avéré insuffisant pour couvrir les dépenses d’entretien et de maintenance des systèmes d’assainissement (tarif d’assainissement resté inchangé depuis 2005). La trésorerie de l’ONA fait face à un déséquilibre structurel affectant la qualité et la pérennité du service public.
Le mode de gestion du service public est jugé déficient et inefficace, en adoptant sur une approche administrative d’une problématique technico-économique, conduisant ainsi à une dilution des responsabilités, un éparpillement des compétences et une déperdition d’énergie.
Le rapport enregistre ainsi, notamment dans le cas de l’ONA, une focalisation sur l’intérêt au détriment des missions de maintenance, d’entretien et de performance. Le même rapport relève une grande défaillance en matière d’encadrement technique.
«Une gestion performante du service public d’assainissement impose une gestion mieux maîtrisée du cadastre des infrastructures d’assainissement et de la métrologie des volumes et de la qualité des eaux usées collectées, relevées, épurées ou rejetées ; de l’accès au réseau public d’assainissement, à travers une maîtrise des opérations de raccordement et de branchement ainsi que la gestion des abonnés…» note le rapport.
Ce dernier relève en outre une absence d’actes de classement domanial des infrastructures d’assainissement. «Ceci a privé les opérateurs de moyens juridiques lors des litiges induits par les atteintes à l’intégrité des infrastructures d’assainissement… et réduit les protections juridiques conférées par la loi au domaine public ainsi que l’exercice des missions de l’ONA en matière de lutte contre les pollutions hydriques, causées par les raccordements clandestins et les rejets intempestifs des eaux usées.»
Deux tiers des réseaux non cartographiés
La Cour constate, également, que plusieurs réseaux ont été transférés à l’ONA sans qu’ils ne soient intégrés dans le domaine public artificiel d’assainissement. «Ces réseaux ont été réalisés, souvent sans respect des normes, par des promoteurs publics ou privés et même par des habitants de certains quartiers construits illicitement.
Aggravant ainsi les dysfonctionnements des systèmes d’assainissement déjà problématique.» Le diagnostic technico-économique de la Cour fait ressortir que faute de ressources financières pour l’entretien et la maintenance, certains réseaux des stations d’épuration et des stations de relevage risquent de tomber dans la désuétude.
L’ONA a hérité de systèmes d’assainissement dont la plupart sont mal connus, dégradés et souffrant d’un mauvais entretien chronique depuis de nombreuses années, et dont leur réfection dépend des décisions des ordonnateurs locaux (communes et DRE). «Ce contexte a conduit l’ONA à travailler dans l’urgence plus qu’à assurer sa mission de maintenance et d’entretien préventif.»
La Cour des comptes souligne que la gestion du service public de l’assainissement nécessite une connaissance précise et exhaustive des ouvrages, infrastructures et installations constituant son service. Mais il se trouve que les deux tiers des réseaux ne sont cartographiés sur aucun support, qu’il soit numérique ou papier, ce qui complique le travail d’inspection et de maintenance. «Cette situation compromet la mission de suivi et la surveillance des raccordements de certains secteurs, notamment industriels, ainsi que les branchements illégaux réalisés par les habitants.»
Les opérateurs, ONA, SEAL, SEOR, Seaco, n’ont, selon le rapport, que peu de maîtrise des raccordements à leurs réseaux, et dont certains branchements sont réalisés sans aucune étude préalable et sans l’autorisation des services techniques compétents. Dans le bilan annuel d’exploitation de 2023, l’ONA a enregistré, dans 37 STEP, des arrivées d’effluents anormalement chargés (effluents industriels, huile, graisse).
Le rapport relève en outre un entretien insuffisant du réseau des avaloirs et regards souvent nécessitant des travaux de curage. «De nombreux avaloirs sont soit recouverts de bitume, soit bouchés par les habitants pour supprimer les mauvaises odeurs, soit obturés par la présence de matériaux de construction, stockés aux bords ou sur la voirie, ce qui engendre l’obstruction chronique des avaloirs.
Ce phénomène, particulièrement visible dans les zones périphériques qui sont en phase active d’urbanisation, est amplement encouragé par l’absence de la police des eaux», regrette le rapport. La gestion dans l’urgence et la précipitation, sans coordination avec les différents acteurs, qui caractérisent les opérateurs, peuvent mettre en péril la sécurité et la santé des personnes et des installations, et par-delà, l’ordre public, alerte la Cour des comptes.
Cette dernière appelle, dans ses recommandations, à une modernisation des ressources immatérielles (organisation, procédure et système d’information). Et d’assurer le reversement de la totalité du tarif d’assainissement revenant à l’ONA et mettre en place un modèle de financement du service public d’assainissement, optimisé et soutenable pour l’Etat, les collectivités et les usagers.