«Gaâda» musico-littéraire à la maison de la culture de Biskra : «Le Dimanche noir n’est pas un événement négligeable»

20/04/2022 mis à jour: 02:42
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Photo : D. R.

Victime et témoin oculaire des actes commis par la soldatesque coloniale le 29 juillet 1956 à Biskra, un septuagénaire a jeté un pavé dans la mare en révélant le contenu d’une correspondance de la direction des moudjahidine de Biskra concernant la commémoration du «Dimanche noir» le 29 juillet 2021.

Dans le cadre des soirées culturelles et récréatives du Ramadhan qu’elle chapeaute, la maison de la culture Ahmed Ridha Houhou de Biskra a abrité, dimanche dernier, une «Gaâda» musico-littéraire animée par Abdelhamid Zekiri. Composé de médecins, de professeurs universitaires, de hauts fonctionnaires, d’artistes et de quelques jeunes, le public a assisté à un récital de Lotfi Zaaboubi et son groupe de musique actuelle qui a été entrecoupé d’interventions de Salim Betka lequel a lu des passages de son livre La messe du cardinal.

Ecrite en arabe, cette œuvre littéraire est un récit fictionnel des événements de la journée du 29 juillet 1956 à Biskra. Durant celle-ci des soldats français ont tué des dizaines de simples passants, des marchands et des enfants pour se venger d’une embuscade menée par des indépendantistes la veille de cette funeste journée.

Selon l’historiographie locale étayée par des articles de presse de l’époque et des témoignages, les militaires ont fomenté et prémédité contre la population locale cette expédition punitive qui s’est terminée par le massacre de dizaines de civils «dont les corps mortellement mitraillés ont jonché les rues du centre-ville et de la Place du Cardinal Lavigerie», a raconté l’auteur. Les chiffres officiels des autorités coloniales ont fait état de 20 victimes et de quelques blessés atteints «lors d’une opération de rétablissement de l’ordre public confiée aux militaires», est-il précisé.

Du côté des historiens et des chercheurs universitaires algériens, on estime que le nombre des victimes de cette macabre journée varie de 250 à 300 personnes impunément exécutées «alors qu’elles vaquaient normalement à leurs affaires», est-il souligné. Invité à commenter la teneur discursive et la thématique de ce livre, Slimane Tifoughi, septuagénaire, fils de martyr, victime et témoin oculaire des actes commis en ce «Dimanche noir», a salué la réalisation d’une telle œuvre romanesque tirant sa quintessence d’un fait historique.

Une commémoration suspendue

En collaboration avec l’Organisation algérienne pour la promotion de l’Histoire et de la mémoire nationale, il œuvre depuis des années pour conférer au «Dimanche noir» une dimension historique nationale avec la reconnaissance officielle de tous les martyrs de cette journée. «Cette terrible journée gravée dans la chaire et la mémoire collective des biskris n’est pas un événement négligeable.

Des soldats ont participé à une chasse à l’arabe pour abreuver leur soif de vengeance. Ils ont planifié et exécuté un plan minutieux pour encercler le centre-ville de Biskra en 6 points névralgiques en ce jour de grande affluence des acheteurs et des marchands venant de plusieurs villages de la région. Sans sommation, ils ont ciblé toutes les personnes présentes. J’étais enfant.

J’accompagnais mon père et mon grand frère qui se préparait à convoler en justes noces quand nous avons vu un déferlement de militaires enragés tirant sur les passants et même sur des ânes prés du marché central. Mon père et mon frère sont morts et je n’ai jamais oublié cette horreur», a-t-il témoigné face à un auditoire ému. Jetant un pavé dans la mare, Slimane Tifoughi a révélé le contenu d’une correspondance de la direction des moudjahidine de Biskra concernant la commémoration du «Dimanche noir» le 29 juillet 2021, laquelle manifestation a été reportée pour défaut d’autorisation légale, a-t-on appris.

«En application de la réglementation, nous avons déposé des demandes d’autorisation à l’APC et à la wilaya pour commémorer le «Dimanche noir», mais contre toute attente nous avons reçu un courrier de la direction des moudjahidine, sans l’aval de laquelle rien ne peut se faire dans le domaine de l’Histoire contemporaine nationale, nous demandant de surseoir à cette manifestation en motivant cette décision par le fait que cet événement ayant ébranlé Biskra en juillet 1956 requerrait de plus amples éclaircissements et confirmation des faits.

Nous avons été abasourdis par une telle correspondance remettant implicitement en cause la véracité et l’authenticité de cette journée. Nous espérons nous rattraper pour le 8 mai ou pour le prochain 29 juillet si nous obtenons les autorisations requises», a-t-il lancé.

Malgré ce bémol qui a jeté un froid, cette soirée s’est clôturée dans une ambiance de confraternité, d’espoir et d’indulgence entretenue comme à son accoutumé par le présentateur et modérateur, a-t-on noté.

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