La gauche a réussi son pari au-delà de ce que laissait espérer la configuration des rapports de force lors du premier tour des législatives françaises, il y a plus d’une semaine.
Le Front républicain formé avec la majorité présidentielle a pu non seulement empêcher le Rassemblement national (RN) d’avoir la majorité absolue à l’Assemblée, mais aussi le reléguer à une troisième place qui relativise cette percée que l’on présentait comme lame de fond irrésistible imposant d’autorité une nouvelle ère politique dans le pays.
L’objectif de barrer la route au programme de l’extrême droite en l’empêchant d’avoir les clés du Premier ministère a été réalisé, et le front républicain se dissout de lui-même maintenant qu’il a réalisé sa mission. Mais le système politique veut des majorités validées par les urnes, ou potentiellement capables de partager des options, pour fonctionner.
La victoire ouvre une parenthèse compliquée sur le plan des équilibres institutionnels et des marges de manœuvres du gouvernement futur. Tous les commentateurs et les analystes politiques déclarent la France ingouvernable au lendemain du deuxième tour de ce 7 juillet, qui a livré une Assemblée nationale tripolaire avec des contradictions programmatiques et philosophiques qui compromettent toute possibilité d’alliance, surtout que la semaine électorale tendue que le pays vient de vivre a creusé davantage les fossés.
Bien avant que ne soit installé le nouveau Parlement, les paris ne donnent pas cher de ses chances de stabilité et de longévité, ce qui n’est pas fait pour rassurer les nombreux partenaires.
Le président Macron, l’homme par qui le chaos actuel est survenu, a pris acte hier de la démission de son Premier ministre, mais lui a demandé de rester encore, le temps de voir la nouvelle assemblée « se structurer », dégager un bloc et la proposition d’un chef de file consensuel pour le futur gouvernement.
La chose cependant s’annonce des plus ardues compte tenu des couteaux aiguisés et des ambitions qui reprennent de la vigueur chez les nouveaux vainqueurs. En attendant, les mauvais signaux transmis aux partenaires étrangers, européens notamment, à l’issue du premier tour du 30 juin dernier, ne se sont non seulement pas apaisés, mais se retrouvent alimentés par d’autres sujets d’inquiétudes.
Le Financial Times, quotidien britannique de référence dans le domaine des finances et des affaires, a estimé que la faiblesse du prochain gouvernement français aura «des répercussions à la fois pour la France et l’Union européenne, étant donné le rôle prépondérant de Paris dans l’influence de la politique européenne».
En Allemagne, autre mastodonte économique sur lequel repose grandement l’équilibre de l’UE, le soulagement est globalement partagé de ne pas voir le RN prendre les manettes du gouvernement, avec à la clé une «tragédie budgétaire» que son programme n’aurait pas manqué de provoquer, selon le mot du ministre des Finances allemand.
Mais les appréhensions restent présentes et ne font que changer de nature. Le quotidien économique allemand Handelsblatt note que «le résultat électoral surprenant ne change rien au fait que la deuxième plus grande économie de l’Union européenne se trouve face à une formation de gouvernement très difficile», alors que son confrère conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung prédit des «coalitions gouvernementales fragiles, dépendant des extrêmes et pouvant à tout moment chuter».
Marine Le Pen, figure tutélaire du RN, estime que son parti a été spolié d’une victoire nette et sans fioritures lors de ces législatives et croit dur comme fer que l’avenir est pour sa mouvance politique.
Une impasse institutionnelle et son lot d’instabilité et de pannes économiques pourraient sans doute, dans quelques semaines ou mois, consommer définitivement les effets positifs d’une mobilisation citoyenne et républicaine contre la xénophobie et l’ultranationalisme, et renforcer les rangs des extrémistes. C’est l’autre grand risque auquel fait face la scène politique française désormais.