Flou d’arrière-plan / Techniciens du cinéma, les ombres qui s’agitent derrière la lumière

18/02/2024 mis à jour: 03:55
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Extrait du film Ben M’hidi, toujours en réserve, avec les techniciens toujours cachés, qui ont été payés sans réserve.

Le mouvement doit être fluide. Sur  ordre du réalisateur, assis sur un tabouret feutré faisant corps avec la caméra surchargée en équipements, le directeur photo est lentement poussé sur un rail par quelqu’un de manière à avoir quelque chose de stable qui va vers l’avant, ou l’arrière, si c’est un traveling arrière. 

Le cinéma a l’air simple, à la caméra, on ne voit personnne, à part les comédiens maquillés et habillés par des professionnels, mais derrière, il y a une petite foule. L’opérateur du travelling qui pousse le directeur photo, son assistant qui a aidé à poser les rails, le machiniste et son assistant, l’assistant image, l’ingénieur du son, le perchman, les machinistes, l’assitant caméra qui vient de changer d’objectif à la caméra, et bien sûr, le ou la script qui enregistre tout sous peine de faux raccords et de bannissement total des plateaux cinéma. 

Ce sont tous des techniciens du cinéma, à côté des postes phares directeur photo, ingénieur du son, on retrouve les assistants-réalisateur, costumiers, maquilleurs, accessoiristes, décorateurs, régisseurs, machinistes, électriciens et éclairagistes. S’ils sont à la cuisine, ce qu’est le découpeur d’oignons, le friteur de frites, le confectionneur de boulettes ou le laveur de salades, en Algérie, ils seraient près de 500 techniciens, adhérant à l’association principale qui les regroupe, peut-être 1000 sur tout le territoire, puisqu’ils ne sont pas rencensés avec précision, travaillant pour le cinéma ou la télévision, pour des clips et de la publicité, pour des films d’entreprise ou simplement amateurs. 

Il faut savoir que sur une œuvre cinématographique, il en faut au minimum 30 avec 7 chefs de poste, un peu plus pour les feuilletons TV. Encore le chiffre 7, les feuilletons en préparation pour le ramadan qui arrive sont au nombre de 7 et ont déjà absorbé 300 techniciens, ce qui fait qu’il en reste très peu pour les films cinéma, d’autant qu’on cherche toujours les meilleurs dans chaque poste, c’est-à-dire chaque domaine, du décorateur au directeur photo. Mais d’où viennent-ils ? 

De nulle part et de partout, de l’école buissonière ou d’une rangée de roseaux, une bonne partie ayant appris sur le tas même s’il y a des écoles qui en forment. Apprendre à devenir apprenti, l’expérience comptant autant dans ce domaine que la formation. 
 

Côté technique, comment devenir technicien ?

D’abord l’ISMAS (Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel et du spectacle) qui forme dans quelques spécialités, à Bordj El Kiffan, aux environs d’Alger, l’INSFP Ahmed Mahdi d'Ouled Fayet, toujours à Alger, qui forme monteurs, éclairagistes, spécialistes en son et image, et c’est tout. Il y a bien un projet annoncé en 2021 par la ministre d’un Institut supérieur du cinéma à Koléa, toujours pas loin d’Alger, mais il n’est pas encore en place, alors qu’un traveling n’attend pas, si l’opérateur s’arrête, c’est un plan fixe. 

Mais pourquoi pas, nombreux sont les réalisateurs qui n’aiment pas les traveling et de toutes façons, il reste les écoles privées, comme Oxygène, à Alger, ou l’Institut cinéma d’Algérie, école spécialisée dans les métiers de l’audiovisuel, du cinéma et de l’administration à Dély Ibrahim, Chéraga, Alger, qui délivre des brevets en réalisation, ingénieur du son, costumier ou autre pour 70 000 DA. Ce qui pose la question de fonds, il n’y a pas assez de techniciens parce que pas assez d’écoles (26 écoles publiques de cinéma en Tunisie à titre de comparaison, sans compter les privées), ou plutôt comme le précisent les professionnels du secteur, pas assez de bons techniciens, la quantité n’étant pas la qualité, et à l’inverse, on peut faire un très mauvais film avec les meilleurs techniciens du monde. Mais s’il y avait beaucoup de techniciens alors qu’il n’y a que très peu de films, pourquoi faire ? 

C’est comme former des milliers de barmans alors qu’il y a très peu de bars ou produire des millions de pianos alors que les pianistes se comptent sur les doigts, ce qui est le cas de le dire. L’art, c’est compliqué, mais pour tout le reste, il y a le CTCA (Collectif des techniciens du cinéma algérien) déjà présent dans le domaine il y a plus d’une décennie, structure informelle qui a été officiellement agréée en tant qu’association nationale en janvier 2021. 

Deux ans plus tard, en novembre 2023, un décret présidentiel définissant le statut de l’artiste venait protéger ces techniciens, bien qu’ils ne soient pas artistes, la loi expliquant  : est considéré comme artiste tout être humain ayant participé à l’élaboration d’une œuvre cinématographique. 

Et donc ? Les techniciens du cinéma ont un statut, une carte socioprofessionnelle et un semblant de grille des salaires, ce qui est déjà mieux qu’avant. Mais surtout, ils mangent sur un tournage le même sandwich frites-omelette sauce de poulet que le réalisateur ou les comédien(ne)s. Pour le producteur, on n’a jamais su vraiment. 

Combien ça coûte 

En attendant l’intelligence artificielle adaptée au cinéma et qui a déjà fait ses premiers pas, un film coûte cher, 30% du budget allant dans le salaire des techniciens, payés à la semaine, un directeur photo, le plus cher, touchant par exemple dans les 500 000 DA pour 7 jours de travail moins la journée appelée off, équivalente du congé hebdomadaire, valable pour tout le monde. 

Pour les autres techniciens, c’est beaucoup moins, mais pour un producteur, ce sont des coûts, avec celui du matériel, environ 7 millions de dinars pour un tournage de 7 semaines, caméra, optiques, lumières, accessoires, et bien sûr, le fameux travelling. 

Peut-on faire des films avec des rails de la SNTF ? Non, ce qui explique que la SNTF ne fait pas de films et les loueurs de matériel cinéma étant une autre forme de petit métier du cinéma, ils gagnent beaucoup, au fond pas tant que ça par rapport à l’investissement initial, une caméra professionnelle comme les Arri ou Red, préférées des cinéastes, coûtant dans les 50 000 euros nues, c’est-à-dire sans objectifs, évidemment pas sans vêtements, le cinéma algérien a des principes. 

Budget moyen d’un film, 2 milliards au minimum, 5 ou 10 pour un film un peu plus sérieux, voire 100 pour le film, toujours absent, sur l’Emir Abdelkader qui n’en n’a jamais demandé autant, l’homme, pas le film. Bref, pour l’instant, un film sans techniciens n’est pas possible, un technicien sans école, c’est possible, une salle de cinéma sans climatiseur ce n’est pas possible mais un cinéma sans tuteurs de l’administration, si. 

 Chawki Amari
 

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