Guerre d’Algérie 54-62 et terrorisme 92-2000, deux viviers qui ont généré une quantité de films, surtout pour le premier.
Pour le second, en cette période de guerre-terrorisme multiforme sur la planète, y a-t-il eu assez de films algériens
sur cette sombre et traumatique séquence ou pas ?
Si les psychologues expliquent qu’un trauma doit être formalisé, verbalisé, développé et qu’il faut en parler autant que possible, ce n’est pas le cas des politiques, et la démarche de la loi sur la réconciliation en 2005 est arrivée pour dire qu’il faut tout oublier.
Résultat, les films sur la période sont devenus difficiles à tourner, comment en parler sans tomber sous le coup de la loi, sans les crimes commis et sans citer les coupables ? Mais il y en a quand même, citons dans le désordre, puisque le terrorisme est avant tout un désordre, Abou Leila d’Amin Sidi Boumediène (2019), Yema de Djamila Sahraoui (2013), Le repenti (2013) et L’autre monde (2001) de Merzak Allouache, Les jours d’avant de Karim Moussaoui (2013), L’arche du désert (1998) et Douar de femmes de Mohamed Chouikh, Rachida de Yamina Bachir-Chouikh (2003), Mémoires de scènes de Abderrahim Laloui (2016) Viva l’Aldjérie (2004) de Nadir Moknèche, Maintenant, ils peuvent venir de Salem Brahimi où des documentaires comme le très bon Atlal de Djamel Kerkar (2016). On notera cependant que les films tournés pendant le terrorisme sont encore plus rares, et malgré l’adjectif qui caractérise parfois le cinéma algérien de «cinéma d’urgence», les réalisateurs ont préféré prendre leur temps. Peut-être justement à cause du trauma mais surtout à cause des conditions difficiles de tournage, le cinéma étant aussi un ennemi du terrorisme.
L’histoire formant des boucles comme la gravité quantique à boucles, le thème reste d’actualité au moment où des civils, femmes et enfants se font assassiner pour inspirer la terreur, à Ghaza par exemple mais aussi au Soudan, au Sahel, et en RDC, au Mexique et en Amérique centrale où les narcotrafiquants instaurent la même terreur. Ce qui repose la vieille question, le cinéma doit-il échapper à la réalité pour faire oublier au spectateur le triste présent ?
Décennie noire, en noir et blanc ou en couleurs ?
Comme souvent, quand on ne sait pas quoi faire, il est peut-être utile de regarder ce qu’on fait les autres. En Corse, juste à côté, Une vie violente sur les radicaux indépendantistes corses n’est sorti qu’en 2017, bien après les événements, tout comme La bande à Bader (2008) sur le groupe du même nom qui a commis nombre d’actes terroristes dans les années 70 en Allemagne, ou Carlos (2010) sur le Vénézuélien chef du terrorisme antisioniste.
En réalité, le terrorisme n’est jamais terminé, il sommeille, ressurgit, dort et se réveille, en Irlande, où le terrorisme est apparu dès les années 60 lors du conflit avec l’Angleterre royaliste, une cinquantaine de films ont traité du sujet, dont Le vent se lève de Ken Loach (2006) ou Secret défense du même réalisateur (1990), et si officiellement cette période s’est terminée entre 1997 et 2007 à peu près en même temps que pour l’Algérie, Jim Sheridan a sorti Au nom du père en 1993, soit au cœur de l’action.
A l’inverse, on connaît Timbuktu du Mauritanien Abderrahmane Cissako (2014) et sa Palme d’or à Cannes, tiré d’un documentaire aux images exclusives du journaliste mauritanien Lemine Ould Salem dans la ville prise alors par les djihadistes, avec l’expansion actuelle du terrorisme au Sahel d’autres cinéastes africains moins connus réalisent des films sur le sujet, Epines du Sahel du Burkinabé Boubakar Diallo (2023), ou Sira de la Burkinabée Apolline Traoré (2023 toujours).
Alors que la guerre entre les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda et la RDC continue avec ses massacres de civils, une quarantaine de films ont été produits sur le génocide des Tutsis au Rwanda (1994), dont le célèbre Hotel Rwanda (2004) ou Le jour où Dieu est parti en voyage (2009) mais aussi d’autres œuvres, moins nombreuses, créées par des Rwandais, ce qui est reviendrait à dire que ceux qui le filment le mieux sont ceux qui n’y étaient pas.
Pour l’Apartheid en Afrique du Sud, c’est peut-être le conflit qui a donné le plus d’œuvres au cinéma en dehors des guerres du Vietnam ou des guerres mondiales, Invictus de Clint Eastwood (2009), The World unseen (2009), Red dust (2005) ou l’excellent District 9 de Neil Blompank (2009) où il compare des extraterrestres arrivés en Afrique du sud et parqués dans des ghettos townships aux Noirs de l’époque Apartheid. Il y a même un film de John Boorman (In my country, 2004) qui se déroule pile pendant les audiences de réconciliation organisées par l’Etat entre bourreaux et victimes, ce qu’aucun cinéaste algérien n’a fait pour la réconciliation nationale.
Pourquoi ?
Le qui tue qui et le qui pardonne quoi ont largement parasité la scène et paralysé les cinéastes, coincés entre l’idée de pardonner aux égorgeurs, louer la réconciliation nationale et rappeler les atrocités, nommer les coupables. Faut-il retourner sur cette période sensible ou filmer le présent ? L’Algérie a souvent été le terrain de confrontations d’idéologies et d’armées secrètes étrangères plus ou moins soutenues par des locaux, et en ce moment avec la vague d’attaques infâmes pendant les JO contre la boxeuse Imane Khelif qui n’est que la partie visible de l’iceberg, on peut s’attendre à tout. Sortez les caméras.
Chawki Amari