Flamenco-jazz : Double affirmation pour Maria Toro, flûtiste soliste d’un quartet qu’elle dirige

10/10/2023 mis à jour: 02:16
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Flûtiste et véritable «jazzwoman», l’Espagnole Maria Toro et son quartet ont enchanté un public amateur venu apprécier sa performance à Oran, dans la salle de spectacle La Fourmi de l’hôtel Liberté, sur invitation de l’Institut Cervantès.  

 

Véritable démonstration de force pour ce bout de femme, humble et sympathique, mais bouillonnante de l’intérieur et c’est sans doute ce qu’elle a voulu exprimer par le souffle. En résumé, tout y est, la technique et l’inspiration. 
 

Une double affirmation d’abord pour elle en tant que femme instrumentiste d’un genre qui n’est pas des moindres, le jazz, et ensuite pour l’instrument, la flûte traversière qui passait en général pour être un élément d’accompagnement plutôt que de solo. 

Si son jeu a de quoi tenir en haleine, c’est parce qu’elle en explore tous les effets mélodiques mais surtout aussi rythmiques. Des techniques qu’elle a apprises à maîtriser au fil du temps. Des sonorités particulièrement variées, parfois nuancées qui ajoutent de la couleur à ses compositions. Le spectacle proposé reprend dans une large mesure les morceaux de son dernier album intitulé Fume. 
 

Prises dans leur ensemble, les œuvres sonnent comme un retour aux sources, mais après un long périple musical qui l’aura emmenée à New York aux Etats-Unis, au Brésil où elle aura vécu plusieurs années et au reste de l’Europe, la Suisse notamment, apportant donc avec elle toutes ces influences culturelles et ces manières de jouer et, peut-être simplement aussi, d’être. Les éléments de sa biographie avaient été communiqués deux jours plutôt lors des master class qu’elle a assurés à l’Institut Cervantès d’Oran au profit de musiciens locaux, notamment des jeunes femmes. 

Le spectacle proprement dit est entrecoupé par des moments de jazz pur, notamment par l’entremise de David Sancho, le pianiste (piano électrique) qui l’épaule et qui fait preuve lui aussi de beaucoup d’ingéniosité, de fluidité dans ses phrases, mais aussi dans ces passages plus graves, plutôt romantiques parfois. Les autres musiciens bassiste et batteur ne déméritent pas et les passages flûte-batterie sont à couper le souffle et démontrent par ailleurs les talents d’arrangeur de la musicienne. Si fusion jazz-flamenco (que certains considèrent comme un genre à part entière) il y met son grain de sel et va bien au-delà. 

D’abord de par ses origines, car elle est native d’un petit village de la Galice, à l’extrême nord-ouest de l’Espagne, donc loin de l’Andalousie, ensuite de par les choix qu’elle a faits dans sa vie en allant chercher ailleurs les influences qui allaient alimenter sa passion artistique.  

Son attachement au folklore de son pays natal transparaît peut-être bien dans des titres comme Acostureira où elle troque sa flûte pour un tambourin et s’essaye au chant sans doute à la manière des anciennes, un legs patrimonial sublimé le temps d’un moment de partage et de communion. Maria Toro est née dans un village de la Galice où ses parents tenaient une taverne et où les gens venaient aussi pour jouer et écouter de la musique. 

S’ensuivent le conservatoire, le choix de l’instrument et la découverte des musiciens qui, dès les années 1970, ont marqué de leur empreinte le flamenco (elle cite Paco di Lucia, Tomatito pour la guitare ou Cameron de la Isla pour le chant mais aussi Chano Dominguez pour le piano, Carles Benavent pour la basse et bien sur Jorge Pardo pour la flute), tout en s’ouvrant aux autres styles, le jazz en particulier et le jazz latino, plus précisément. Beaucoup de guitaristes de renom se sont fait accompagner par des flûtistes de talent et c’est dans cette ambiance-là qu’elle a, explique-t-elle, découvert les possibilités qu’offre son instrument en termes d’interprétation. 

«Quand (parlant d’un de ses mentors), je l’ai écouté pour la première fois je me suis dite qu’il fallait que j’achète le même type de flûte que lui tellement le son était différent, mais je me suis très vite rendu compte qu’il s’agissait en fait du même instrument que le mien, mais c’est la technique et la manière de jouer qui était différente», raconte-t-elle, à titre anecdotique, mais c’était pour montrer tout le travail qu’il a fallu effectuer par la suite pour explorer les différentes possibilités sonores. 
 

Il est question d’une immersion dans les chants flamenco ou traditionnels pour tenter d’imiter les textures et adapter son jeu. Le résultat est prenant. Malgré tout, les femmes chanteuses sont, à l’origine, relativement nombreuses, autant dans le jazz que dans le flamenco, mais celles qui optent pour une carrière de soliste instrumentiste étaient beaucoup plus rares, compris dans le jazz, à quelques exceptions près, des noms qu’il faut vraiment aller chercher et c’est ce qu’elle a fait, car la flûtiste s’intéresse aussi à leur vécu. Aujourd’hui, les choses ont changé et la détermination y est sans doute pour quelque chose. 

Au tout début de sa prestation, au même titre que son pianiste, elle a déclaré qu’elle était grandement honorée que ses compositions figurent dans le Spanish Real Book, une anthologie de référence qui recense les œuvres les plus représentatives d’un pays. Une tradition initiée aux Etats-Unis pour le jazz américain par le Berklee College of Music et qui a été étendue par la suite à d’autres pays du reste du monde. 

Une visibilité certaine pour cette musicienne qui marque, à l’occasion, son tout premier passage en Algérie et qui ne sera sans doute pas le dernier. 
 

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