Farid Benaibouche. Gynécologue et président du Conseil scientifique de l’association Endo Algérie «Nous œuvrons à faire reconnaître l’endométriose comme maladie chronique»

03/01/2024 mis à jour: 04:30
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Photo : D. R.

Dans cet entretien, le gynécologue Farid Benaibouche revient sur l’endométriose, une maladie gynécologique fréquente, qui concerne en moyenne une femme sur dix dans le monde. Il expose ses symptômes, ses facteurs de risque et explique la façon de la diagnostiquer.

  • Qu’est-ce que l’endométriose ?

L’endométriose est une maladie chronique qui est définie par la présence de l’endomètre en dehors de l’utérus. Il faut savoir que l’endomètre est la partie la plus interne de l’utérus, et celle-ci permet la nidation d’une grossesse. Elle est aussi responsable des saignements lors de  la menstruation.

Et pour des raisons diverses, cet endomètre peut se retrouver en dehors de la cavité utérine et constituer une lésion endométriosique qui peut se localiser essentiellement dans les organes du pelvis, les trompes, les ovaires, le rectum, les intestins, la vessie et les uretères. Elle peut aussi se retrouver beaucoup plus rarement dans le thorax, les poumons, etc.

A noter aussi que l’adénomyose est une forme particulière d’endométriose et se caractérise par la présence de ce même endomètre dans le muscle utérin constituant un gros utérus adénomyosique.

  • Quelle est sa prévalence en Algérie ?

Malheureusement, nous n’avons pas de statistiques spécifiques à notre pays. Toutefois, nous pouvons différer des autres populations, et on sait que cette maladie chronique altère la qualité de vie de 10% des femmes en âge de procréer.

On estime aussi que près de 2 millions d’Algériennes peuvent être concernées par cette maladie chronique. Elle constitue donc un véritable problème de santé publique qui fait dépenser à certains pays jusqu’à 10 millions d’euros par an et entraînant une perte de 11 heures de travail par semaine.

  • Quels sont les symptômes ?

Le symptôme cardinal est la douleur qui altère la qualité de vie de l’adolescente ou de la femme en activité génitale, dans sa vie conjugale, dans sa vie professionnelle et même en pré et en ménopause.

Il peut donc s’agir de douleurs pelviennes chroniques, mais aussi de dysménorrhée, la fameuse douleur pendant les menstruations qui peuvent être progressives et de plus en plus importantes et qui ne répondent pas aux traitements habituels surtout qu’on sait que dans nos régions traditionnelles, il est inconvenant que la fille parle de «ses règles», un tabou à ce jour.

Cela peut aussi être des dyschésies, soit des douleurs lors de la défécation, voire une dysurie qui est une miction douloureuse ou gênante, associée classiquement à une sensation intense de brûlures.

L’autre douleur invalidante et qui reste un grand tabou, ce sont les dyspareunies, autrement dit, des douleurs lors des rapports sexuels qui peuvent les rendre impossibles et qui peuvent entraîner des conflits conjugaux.

Malheureusement, la nature des douleurs n’est pas spécifique et elle peut suggérer des problèmes digestifs, urinaires voire appendiculaire.

C’est pour cela qu’il y a un retard de diagnostic d’en moyenne 7 ans entre le premier symptôme et le diagnostic. Il faut savoir que 10,7% des femmes endométriosiques ne sont pas douloureuses.

En Algérie, les femmes, de manière générale, souffrent en silence et le diagnostic de l’endométriose est surtout fait au cours d’une exploration pour infertilité. Sachez aussi que 60% des femmes endométriosiques peuvent faire des grossesses naturellement et facilement.

L’association des deux principaux symptômes, à savoir douleur et infertilité, rend complexe la prise en charge et on doit malheureusement hiérarchiser les priorités des soins. Ainsi, chez une femme de plus de 35 ans, il peut sembler prioritaire que de traiter l’infertilité en premier.

Il faut aussi rassurer les patientes : la médecine en Algérie offre plusieurs solutions à ces couples infertiles. La procréation médicalement assistée, la chirurgie mini-invasive, la préservation de la fertilité sont autant de solutions que l’on pourrait offrir à ces patientes.

Par ailleurs, il existe aussi un symptôme très particulier. Il s’agit de la fatigue avec une tendance dépressive associée à des douleurs de la jambe, nausées, vomissements etc.

  • Y a-t-il d’autres conséquences que les douleurs physiques ?

Oh que oui ! Une patiente qui souffre est une personne vulnérable sur le plan psychique et la dépression nerveuse guette ces femmes, qui, en plus de la douleur, sont stigmatisées par la famille, le mari, la belle famille, l’école et même  au travail.

Ces femmes souffrantes, rejetées sont souvent esseulées et se retrouve chez le psychologue voire le psychiatre.

  • Quels sont les facteurs de risque de la maladie ?

L’endométriose n’est pas une maladie héréditaire, mais on retrouve plusieurs femmes qui ont des antécédents familiaux d’endométriose.

Les études montrent que les femmes ayant un cycle court, une puberté précoce, une ménopause tardive, des ménorragies (règles abondantes) sont plus à risque. Le petit poids de naissance, la prématuré, les abus sexuels à l’adolescence, les femmes maigres, sont autant de facteurs de risques.

Il faut aussi relever la présence de co morbidité associée à cette maladie comme l’asthme, les maladies inflammatoires coliques, les maladies auto-immunes, la fatigue, la migraine ou encore la fibromyalgies.

  • Comment établit-on aujourd’hui le diagnostic de l’endométriose ?

Sir William Osler, un médecin canadien disait : «Ecoutez vos patientes, elles vous donneront le diagnostic.»  C’est pour dire l’importance d’un questionnaire sur les antécédents, les facteurs de risques, la coexistence de comorbidité qui approchent et suspectent fortement le diagnostic. Après cela, un examen médical et un test thérapeutique peuvent aider au diagnostic.

Si les symptômes régressent après un traitement adapté, cela peut suffire à manager la patiente. Dans le cas contraire, nous avons recours à une imagerie par échographie, complétée par une IRM pour une meilleure cartographie des lésions.

Dans les cas les plus rares, des examens spécialisés complètent le bilan lésionnel. Sachez tout de même qu’il y a en ce moment des tests salivaires qui peuvent aider au diagnostic précoce de cette maladie.

  • Pourquoi a-t-on du mal à diagnostiquer cette maladie ?

Les tabous autour de la douleur de la fille font que nos filles préfèrent souffrir en silence au prix d’un absentéisme, voire un échec scolaire.

L’autre tabou, l’omerta sur la sexualité des couples fait que nos femmes souffrent en silence avec leur conjoint plutôt que de consulter un médecin pour des douleurs lors des rapports.

Les symptômes non spécifiques à l’endométriose participent à cette errance dans le diagnostic où les femmes passent de généraliste en généraliste en passant par un gastroentérologue ou un urologue pour infection urinaire avant d’arriver à un médecin formé et averti qui met un nom sur le mal.

D’où l’intérêt de sensibiliser le grand public, de former les sages-femmes et les médecins qui doivent penser à cette maladie.

  • Quelle est l’importance d’un diagnostic précoce ?

Connaître une maladie est la meilleure façon pour la gérer ; un diagnostic précoce permet de gérer les douleurs et de faciliter et d’optimiser la qualité de la vie de cette patiente d’abord à l’école qui doit la comprendre et non la traiter de «cancre», puis dans sa famille qui doit parler de cette douleur des règles qui n’est pas normale, dans son couple et dans son environnement professionnelle.

Connaître précocement cette maladie permet de planifier le plus tôt possible les grossesses éventuelles et éventuellement penser à la préservation de la fertilité.

Il faut savoir que les nouvelles technologies permettent la vitrification des ovocytes si la femme n’est pas mariée et de les utiliser en fécondation in vitro au cours d’un projet parental et la congélation des embryons en vue de les transférer plus tard. L’autre avantage est de planifier un traitement chirurgical le plus complet possible en temps opportun, ce qui n’est pas toujours une chose aisée.

  • Est-ce qu’on peut en guérir ?

Malheureusement, non. Les lésions endométriosiques peuvent devenir inactives et asymptomatiques, et on espère que ça n’évolue pas. C’est pourquoi, il est important de se fixer un objectif : améliorer la qualité de vie de ces femmes. Il faut savoir aussi que, par définition, la maladie chronique ne connaît pas de traitement curatif définitif.

  • Comment réaliser un traitement adapté à chaque patiente ?

Il est important de signaler qu’il y a plusieurs phénotypes de l’endométriose. Il y a d’abord l’endométriose superficielle, dont les lésions sont évolutives ou séquellaires en surface sur le péritoine.

Il y a ensuite l’endométriose profonde dont les tissus endométriaux envahissent plus profondément, les infiltrent et forment des nodules dans les organes pelviens, tels que le rectum, la vessie, les ligaments pelviens ou d’autres structures voisines.

On peut aussi retrouver des kystes endométriosiques qui sont des kystes non douloureux de manière générale et qui concentrent à tort l’attention du patient et du médecin.

D’ailleurs, il ne faut surtout pas opérer un kyste endométriosique et laisser une endométriose profonde. La prise en charge doit être globale, surtout que les différentes formes sont souvent associées dans près de 90% des cas.

De plus, il n’y a pas de parallélisme entre les lésions et l’importance des symptômes, c’est-à-dire qu’une endométriose superficielle peut être très douloureuse, altérant la qualité de vie et un kyste de 10 cm peut être indolore. Donc, le traitement doit être en fonction des plaintes de la patiente, des lésions, de l’âge et du désir des couples. 

  • Quel est le risque de récidive ?

La chirurgie de l’endométriose est une chirurgie d’expert qui même entre les mains des meilleures équipes est grevée d’un taux de complications per opératoire de 1% et de 18% de complications post opératoires avec un taux de récidive de 53%.

  • Comment éviter les complications ?

Il faut privilégier les différents traitements médicaux en impliquant la patiente pour une meilleure compliance du traitement.

Il faut aussi penser à reporter la chirurgie après les projets de conception et faire une chirurgie globale complète et unique. Le traitement hormonal post-opératoire permettrait de retarder et de diminuer les récidives.

Ne pas méconnaître l’intérêt des différents traitements complémentaires qui sont très bénéfiques (psychothérapie, exercice physique, acupuncture, yoga, ostéopathie, nutrition anti-inflammatoire).

Il faut aussi proposer une évaluation interdisciplinaire (gynécologues, urologues, radiologues, gastroentérologues, algologues, sexologues, psychologues).

  • Estimez-vous qu’il faut reconnaître l’endométriose comme maladie chronique ?

C’est tout le combat de l’association algérienne de lutte contre l’endométriose «endo Algérie» que nous avons créée et dont j’ai l’honneur de présider le conseil scientifique.

On œuvre à reconnaître cette maladie, comme maladie chronique pour soulager ces patientes qui souffrent sur les plans psychique, physique, sociale et familial et qui souvent se retrouvent incapables de gérer financièrement cette maladie. Nous activons aussi et appelons à ce que les médicaments soient remboursés à 100%.

On appelle aussi à ce qu’au moins 2 ou 3 tentatives de fécondation in vitro leur soient remboursées en plus de leur faire rembourser les traitements non conventionnels. Tout cela serait une aide précieuse à toutes ces femmes meurtries. 

 

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