( Hamid Rahiche devant son exposition (El Watan)
«Quand on pense, y a pas photo»
Sans le moindre protocole ni aucune introduction, l’artiste photographe Hamid Rahiche est entré dans le vif du sujet. Il est allé directement à la rencontre d’un public curieux, avide de découvrir son exposition «Alger-Marseille, Territoires parallèles» dont le vernissage a eu lieu le 26 février à l’Institut français de Constantine (IFC), et qui se poursuivra durant un mois. Sourire aux yeux et visage caché derrière son masque protecteur, Hamid a montré avec une spontanéité déconcertante, qu’il maîtrisait bien son sujet. Il parlait comme il réfléchissait, passant d’une œuvre à une autre, pour expliquer que dans cette collection de 29 photos, une photographie n’est pas une œuvre à part. Elle complète une autre pour former finalement, comme dans une chaîne, une seule œuvre traitant d’une thématique pour laquelle il a effectué plusieurs voyages entre Alger et Marseille.
Deux villes emblématiques de la Méditerranée qui se regardent en face et qui ont de nombreuses similitudes. «Ces photos ont été réalisées entre 2015 et 2019 lors de plusieurs voyages entre Alger et Marseille, durant lesquels j’ai bénéficié de deux résidences d’artiste dans le but de préparer un travail à travers la photo sur la dualité entre les deux villes et la vie de la communauté algérienne à Marseille et leurs homologues à Alger. L’intérêt était de créer des échos entre les deux sociétés et non pas de faire un comparatif entre les deux villes», a-t-expliqué.
L’exposition de Hamid Rahiche a prouvé encore une fois que la photographie d’art ne cesse de gagner du terrain comme moyen d’expression culturelle. Elle a fini par s’imposer en donnant naissance à des travaux «provocateurs» de débats. Outre son talent d’artiste-photographe, l’invité de l’IFC s’est distingué aussi par ses qualités «d’agitateur d’idées», en «décortiquant» ses œuvres face à un public curieux d’en connaître tous les détails. «Ce sont des instantanés qui marquent la vraie vie des Algérois et des Marseillais. Vous pouvez voir qu’il n’y a aucune mise en scène. On y découvre la même ambiance et la même pierre avec laquelle les deux villes ont été construites», a-t-il dit.
Un déclic grâce à une amitié
Enfant de Climat de France, une cité emblématique d’Alger, construite par l’architecte français Fernand Pouillon en 1957, Hamid Rahiche a révélé, lors d’une rencontre avec El Watan, que ses débuts avec la photo remontent à 2010 grâce à une relation d’amitié avec un photographe européen venu prendre des photos dans sa cité. «C’est grâce à cette amitié que j’ai découvert l’art de la photographie et j’ai commencé à apprendre ses secrets, avant de suivre une série de formations et de perfectionnement, puis j’ai fini par choisir cette activité passionnante», a-t-il déclaré. «C’est la deuxième fois que cette exposition est présentée au public, après un passage à l’Institut français d’Alger en 2021 dans le cadre du mois du patrimoine», a rappelé l’artiste-photographe.
L’exposition défile comme un documentaire dans lequel on peut voir également les liens entre les deux villes à travers les photos des personnes, mais aussi leurs lieux de vie sur lesquels on relève aussi l’empreinte du temps. Les aspects historiques et sociaux ne sont pas passés inaperçus dans le débat avec Hamid Rahiche, dont les photos ont suscité des réflexions sur la vie dans les deux villes, des commentaires sur la dualité entre la photo de cette femme au bras tatoué et celles des mannequins portant des foulards, mais aussi des souvenirs sur la cité Climat de France, que l’artiste-photographe connaît bien, et qui été construite durant la guerre d’Algérie dans le but de pacifier avec la population.
Mais finalement, la pacification n’a pas eu lieu, et la cité est devenue un ghetto. «Il y a une histoire à raconter, celle d’aujourd’hui, de la dualité de cette société en transition. Il faut regarder de plus près avec différentes formes, ou essayer d’ouvrir une autre façon de penser plus proche de la réalité de tous les jours qui parle à tout un chacun», a noté Hamid Rahiche.
On retiendra de son exposition cette expression qui résume tout son travail : «La Méditerranée reste à inventer, Alger et Marseille, qui se font face, sont d’une certaine manière, un des lieux du monde ou le Nord et le Sud se rencontrent jusqu’à se toucher.»