Exportations des céréales ukrainiennes : Le président turc Recep Tayyip Erdogan demain en Russie

03/09/2023 mis à jour: 18:03
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Le président russe Vladimir Poutine en compagnie du président turc Recep Tayyip Erdogan - Photo : D. R.

La Russie et la Turquie s’opposent sur moult questions. Conscients de leurs différends et de leurs intérêts communs, les deux parviennent  à trouver des compromis servant les intérêts des deux parties. Ainsi, la question des exportations des céréales ukrainiennes se présente encore comme une épreuve à la capacité de la diplomatie des deux pays à harmoniser leurs voix.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan est attendu demain à Sotchi, en Russie, dans l’espoir de relancer l’accord céréalier que Moscou a abandonné mi-juillet. Cet accord permettait depuis l’été 2022 d’exporter des céréales ukrainiennes via la mer Noire. La Russie fustige le fait que les exportations de céréales et d’engrais russes sont entravées par les sanctions occidentales.

En visite à Moscou, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a jugé jeudi «essentielle» la reprise de l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes par la mer Noire, son homologue russe Sergueï Lavrov demandant, lui, des «garanties». «Nous avons réitéré notre conviction que la reprise de l’accord permettra de restaurer la stabilité», a plaidé H. Fidan lors d’une conférence de presse avec S. Lavrov.

Ce dernier a expliqué que la Russie ne se satisferait plus uniquement de «promesses» pour ses propres exportations, mais veut des «garanties avec un résultat concret qui peut être mis en pratique dès demain». «Dans ce cas, la mise en œuvre (de l’accord) reprendra dans son intégralité dès demain», a-t-il dit. Il a accusé les Occidentaux d’«interférer» avec les exportations de produits agricoles et d’engrais de la Russie, qui est comme l’Ukraine un producteur mondial majeur.

Il a indiqué avoir discuté avec son homologue turc de la possibilité de fournir des céréales russes à la Turquie à prix cassés. Ces céréales russes seraient ensuite réexpédiées vers «les pays qui en ont le plus besoin dans le monde». «Il y a désormais un processus basé sur une meilleure compréhension et réponse par rapport aux demandes de la Russie», a affirmé de son côté H. Fidan, qui s’est déplacé à Moscou pour préparer la visite du président turc.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a lui affirmé le même jour avoir envoyé une lettre à Sergueï Lavrov avec «un ensemble de propositions concrètes» pour relancer l’accord, ce qu’il a jugé «extrêmement important». «Nous avons pris en compte les demandes de la Russie», a-t-il promis, tout en disant souhaiter cette fois un accord «stable» qui ne risquera plus d’être suspendu. Le chef de la diplomatie russe a répondu qu’«il n’y a toujours pas de garanties» mais «seulement des promesses» dans cette lettre.

L’Ukraine dépend désormais pour ses livraisons de routes terrestres et d’un port fluvial peu profond, ce qui limite considérablement ses volumes d’exportation de céréales. La Turquie a joué un rôle décisif en signant en juillet 2022 l’accord céréalier ukraino-russe sous l’égide de l’ONU, qui a permis à près de 25 millions de tonnes de céréales ukrainiennes d’être exportées en sortant du blocus imposé à l’Ukraine et d’atteindre leur destination au Moyen-Orient et l’Afrique pour éviter une crise alimentaire mondiale.

En mars 2023, la Turquie et l’ONU ont annoncé la prolongation de l’accord international sur l’exportation des céréales ukrainiennes. Ankara tente de faire revivre l’accord initial, dans l’espoir de l’utiliser comme carte pour des négociations de paix plus larges entre Kiev et Moscou.

Diplomatie réaliste

Depuis le début de l’offensive russe sur l’Ukraine, la Turquie a mobilisé sa diplomatie pour servir d’intermédiaire entre les belligérants afin de mettre fin au conflit. Sachant qu’Ankara et Moscou divergent sur moult questions et comme ils partagent d’importants intérêts. La Turquie est un pays riverain de la mer Noire. D’où la rivalité historique entre la «Sublime porte» et l’Empire tsariste, marquée par au moins une douzaine de conflits entre les deux pays, dont le plus connu est la guerre de Crimée de 1853-1856.

Le 9 août 2016, Erdogan s’est réconcilié avec son homologue russe, après une crise consécutive à la destruction d’un avion russe par la Turquie à la frontière syrienne fin 2015. Ce rapprochement fait suite à la condamnation par le président russe de la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016 en Turquie, alors que les réactions de la plupart des dirigeants occidentaux sont plus tardives et ambiguës. Aujourd’hui, Moscou, grand pourvoyeur de gaz à travers les gazoducs Turk Stream et Blue Stream.

Lors d’une visite en Albanie le 18 janvier 2022, dans le cadre d’une tournée dans les Balkans, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est prononcé contre toute intention de Moscou d’intervenir en Ukraine. Il a déclaré «inacceptable» la reconnaissance des régions séparatistes de l’Ukraine par la Russie. Mais, il a aussi indiqué que «la Turquie ne peut renoncer ni à la Russie ni à l’Ukraine». Le 24 février de la même année, lors d’un Conseil de défense, il a qualifié d’«inacceptables» les offensives menées par la Russie en Ukraine et demandé à la Russie de mettre fin à son intervention «injuste et illégale».

Contrairement à ses alliés de l’Otan, la Turquie n’a pas cessé ses échanges commerciaux avec la Russie ni interdit son espace aérien aux avions russes. Le 27, le chef de la diplomatie turque a qualifié les opérations russes en Ukraine de «guerre», évoquant l’exception prévue par la Convention de Montreux (1936), qui régit les voies navigables turques entre la mer Egée et la mer Noire (détroits du Bosphore et des Dardanelles) en temps de paix et de guerre. En temps de guerre, la libre circulation reste assurée pour les pays avec lesquels la Turquie n’est pas en guerre. Mais la libre circulation peut être suspendue si la Turquie est partie à un conflit, ou si elle s’estime menacée. Ainsi, selon la Convention, si la Turquie devait prendre parti pour l’Ukraine, elle pourrait bloquer l’accès de ses détroits aux navires russes.

L’article 19 de la Convention prévoit en son alinéa 2 qu’en temps de guerre «il sera interdit aux bâtiments de guerre de toute puissance belligérante de passer à travers les détroits», et en son alinéa 4 : «Malgré l’interdiction de passage édictée dans l’alinéa 2, les bâtiments de guerre des puissances belligérantes riveraines ou non de la mer Noire, séparés de leurs ports d’attache, sont autorisés à rallier ces ports.» Néanmoins, elle n’applique pas les sanctions européennes contre Moscou.

Lors de la visite du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à Istanbul au début de juillet de l’année en cours, le président Erdogan a exprimé son soutien à une candidature de Kiev à l’OTAN. La Turquie a fourni des drones Bayraktar TB2 à l’Ukraine qui les a utilisés durant l’offensive russe. Comme elle a fini par accepter l’intégration de la Finlande puis de la Suède à l’Alliance, renforçant ainsi l’encerclement de la Russie, par les forces atlantistes. Aussi les deux pays entretiennent des rivalités régionales (en Syrie, en Libye et au Haut-Karabakh), en soutenant des camps opposés. En parallèle, ils ont opté pour la coopération dans plusieurs domaines.

En septembre 2017, Ankara a signé un contrat de 2,5 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) avec Moscou pour la fourniture de missiles russes antiaériens de systèmes de défense antiaérienne S-400, d’où les protestations des alliés de la Turquie au sein de l’OTAN et l’adoption de sanctions par les Etats-Unis : en juillet 2019, l’administration Trump a exclu la participation de la Turquie du programme de construction de l’avion de chasse américain F-35.A la même période, elle reçoit la première cargaison de batteries de missiles russes S-400.

Frictions avec Washington

En décembre 2020, les Etats-Unis interdisent tout nouveau permis d’exportation d’armes à l’agence gouvernementale turque en charge des achats d’armement. Ankara s’est tournée vers Kiev pour développer une coopération renforcée en matière d’industrie de défense et exporter sa production de drones . Le 1er octobre 2021, Washington a exhorté Ankara à ne plus acheter d’armes à Moscou, au risque de dégrader leurs relations.

«Nous avons exhorté la Turquie à tous les niveaux et à toutes les occasions à ne pas conserver le système S-400 et à s’abstenir d’acheter tout équipement militaire russe supplémentaire», a déclaré à la presse Wendy Sherman, numéro deux du département d’Etat. «Nous continuons à le faire savoir clairement à la Turquie, et à lui dire quelles seront les conséquences si elle va dans cette direction», a-t-elle ajouté. Elle a aussi réaffirmé que le S-400 n’est «ni compatible ni utilisable avec les systèmes de l’OTAN».

En octobre 2022 V. Poutine a proposé à R.T.Erdogan de créer un «hub gazier» en Turquie pour exporter du gaz à l’Europe. «Nous pourrions examiner la possibilité de créer sur le territoire turc un hub gazier pour des livraisons vers d’autres pays», notamment vers l’Europe, a déclaré le président russe lors d’une rencontre avec Tayyip Erdogan, en marge d’un forum régional au Kazakhstan. Pour le maître du Kremlin, Un éventuel hub gazier en Turquie pourrait servir «pour définir les prix» de ces hydrocarbures, «aujourd’hui exorbitants». «Nous pourrions réglementer les prix sans qu’aucune politique ne se mêle de ça», a-t-il ajouté.

Récemment, le président Erdogan s’efforce désormais de renouer les liens avec la Syrie, un des dossiers de discorde avec la Russie. Le président syrien Bachar Al Assad a toutefois conditionné toute rencontre avec Erdogan au retrait des troupes turques déployées dans le Nord de son pays. La Turquie a été impliquée dans le conflit dès 2011, hébergeant l’opposition politique et les responsables de l’opposition armée au régime de Damas soutenu par Moscou.

 


 


 

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