Exportation d’électricité algérienne vers l’Europe et Développement de l’hydrogène vert : Quelle alternative pour des projets sans intérêt économique ?

23/11/2024 mis à jour: 00:40
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Ces projets ont été officiellement annoncés dans le passé et ont fait l’objet de mémorandums d’entente. 
Ils concernent l’interconnexion électrique sous-marine en courant continu haute tension que l’Algérie envisage de tirer vers l’Italie pour exporter des surplus d’électricité. Tout comme elle concerne la production d’hydrogène vert qu’elle ambitionne de développer et d’en exporter l’essentiel.

Nous avions alors émis le point de vue que ces projets seraient très préjudiciables à l’économie nationale et résulteraient en lourdes pertes financières pouvant s’élever à des milliards de dollars américains chaque année. Je dis bien milliards !

Il semble cependant que ce point de vue n’ait pas été entendu ou compris puisqu’il a été récemment annoncé qu’un nouvel acteur, la Sonatrach, compte aller encore plus loin dans cette voie. Elle envisage de réaliser une seconde ligne électrique sous-marine vers  l’Espagne cette fois-ci, venant s’ajouter à celle envisagée vers l’Italie. Et elle vient, tout dernièrement, au cours de la conférence du Napec à Oran (14-17 octobre 2024), de signer des mémorandums d’entente avec la compagnie espagnole Cepsa ainsi que des compagnies italienne, autrichienne et allemande pour le développement à plus grande échelle de l’hydrogène vert avec l’intention d’en exporter la plus grande partie vers ces pays. 

Et cela en dépit du faible intérêt international ayant remplacé actuellement l’engouement initial pour l’hydrogène vert, notamment à cause des coûts et de demandes insuffisantes. Ainsi, de grandes compagnies comme Shell, Equinor, Repsol et Cepsa, entre autres, ont annulé ou reporté ces projets à plus tard. Le maintien et l’expansion de ces projets va à l’encontre de ce à quoi nous nous attendions. Aussi, il est apparu utile de rappeler les principaux points exprimés dans de précédentes contributions et de les rappeler chaque fois que l’occasion se présentera, à moins qu’on nous démontre le contraire. Ce qui serait surprenant.
 

Rappel des principaux points précédemment développés pour le projet d’exportation électrique

1- Deux voies rivales d’exportation

Il est question d’exporter, par câble sous-marin, un surplus d’électricité produit par un surplus de capacité pouvant atteindre les 10 000 MW dans les centrales thermoélectriques algériennes.

Il est espéré que cette interconnexion ouvrira la voie à  l’Algérie  pour  devenir, dit-on, «la batterie de l’Europe».
Mais avant d’aller plus loin, il y a lieu de préciser que cette électricité sera produite à partir d’un certain volume de gaz qui pourrait être exporté au prix de vente international au lieu d’être consommé dans des centrales thermiques. 

Donc, en réalité, exporter de l’électricité ainsi obtenue revient, en quelque sorte, à exporter indirectement le gaz par voie électrique après l’avoir préalablement transformé en électricité. 

Or, la voie électrique présente deux inconvénients majeurs : il sera nécessaire de tirer une coûteuse ligne électrique sous-marine reliant l’Algérie à l’Italie, et il se produira une importante déperdition d’énergie dans les centrales thermiques (rendement énergétique réduit). De ce fait, la rentabilité d’un tel projet est loin d’être évidente. 

Par contre, ces inconvénients peuvent être évités en optant pour la voie gazière. En effet, l’Algérie dispose de 3 gazoducs sous-marins pouvant transporter plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes/an de gaz vers l’Italie et l’Espagne. Les choses seraient tellement plus simples et tellement plus profitables d’exporter ce gaz sous sa forme gazière initiale à travers les gazoducs au lieu de se compliquer l’existence à l’exporter sous forme d’électricité.L’Italie, elle aussi, et maintenant l’Espagne pourraient en tirer profit, car on  voit mal l’intérêt qu’auraient ces pays à dépendre de centrales situées en Algérie pour s’approvisionner en électricité. Au lieu de cela, ces pays pourraient avantageusement produire leur électricité chez eux en important le gaz par l’intermédiaire des gazoducs actuels.   

On se retrouve alors confrontés à deux voies de transport distinctes et rivales d’exportation d’énergie : un câble électrique sous-marin pour transporter l’électricité conventionnelle produite à partir du gaz et des gazoducs disponibles pour transporter directement ce même gaz. Dans ces conditions, la question primordiale qui se pose est de savoir si au lieu d’exporter de l’électricité en surplus, il ne serait pas bien plus avantageux d’exporter directement le gaz l’ayant produite. Si cette alternative s’avère la plus profitable, le projet  d’exportation par voie électrique n’aurait plus aucun intérêt économique.
 

2- Estimation du déficit financier résultant d’un projet d’exportation électrique

Pour estimer le rendement moyen des centrales thermiques algériennes, nous nous sommes basés sur les seules statistiques que nous avons trouvées, celles de 2021, selon lesquelles 19 milliards de mètres cubes de gaz ont produit 81,53 TW heures. Donc, produire 1 TW heure entraîne la consommation de 0,233 milliards de mètres cubes de gaz.

Des calculs rapides, presque de tête, nous montrent qu’un projet électrique de seulement 4000 MW (2000 MW vers l’Italie et 2000 MW vers l’Espagne) sur les 10 000 MW en excès, aurait engendré un énorme déficit financier de 2796  millions de dollars/an comparé à la vente de gaz utilisé pour les produire si celui-ci était directement exporté par gazoduc à raison de 10 dollars le MMbtu. Sans compter le lourd investissement dans la ligne sous-marine. Ce déficit ne pourra que s’amplifier pour des exportations supérieures à 4000 MW et des prix dépassant 10 dollars le MMbtu de gaz. Dans ce cas, le projet ne pourra qu’être déconseillé.  Par contre, si pour une raison ou pour une autre, le projet s’avérait être en soi suffisamment rentable au point de justifier sa réalisation (mais en ignorant qu’il existe une alternative bien plus rentable), alors les choses pourraient se compliquer. En effet, en considérant le projet comme étant rentable en tant que tel, on pourrait être tenté de l’adopter sans chercher à comprendre s’il existe une meilleure alternative. Si celle-ci n’est pas perçue, comme cela semble être le cas à présent, alors le déficit financier qui en découlera risque lui aussi de ne pas être perçu en restant invisible et caché. Si on ne s’en rend pas compte et qu’il reste inaperçu, ce déficit pourrait se prolonger au fil des ans aussi longtemps qu’il sera possible de soustraire du gaz à partir des exportations pour produire le surplus d’électricité. 

Cas de l’exportation d’électricité verte

Ce qui vient d’être dit ne concerne que l’électricité conventionnelle produite à partir du gaz. Qu’en  est-il pour l’électricité verte qui, elle, est produite à partir du soleil ou du vent et non pas à partir du gaz ? Donc, on est porté à croire qu’elle ne peut être exportée que par ligne électrique seulement. 

En fait, il n’en est rien, car le programme des énergies renouvelables algérien ne prévoit que 15 000 MW de photovoltaïque d’ici 2035, ce qui ne représentera qu’environ 20% de la consommation nationale d’électricité. A ce rythme, il lui faudrait plusieurs décennies pour atteindre les 100%. Le temps que la consommation d’électricité verte n’aura pas dépassé les 100%, aucun surplus exportable ne sera disponible. Donc, toute exportation d’électricité verte nécessitera son prélèvement à partir de la consommation nationale. Il en résultera alors un déficit électrique qu’il faudra compenser par la production d’une quantité équivalente d’électricité conventionnelle de remplacement, laquelle entraînera la consommation de gaz pour la produire. 

Si l’électricité verte avait été utilisée sur-place au lieu d’être exportée, la production de l’électricité de remplacement et la consommation de gaz l’ayant produite auraient pu être évitées. Le gaz ainsi économisé aurait pu être exporté et rapporter un profit bien supérieur à celui rapporté par l’exportation de l’électricité verte, laquelle se serait soldée par un important déficit financier. Sans compter le coût de la ligne électrique.

On peut donc conclure ce chapitre en disant que, qu’il s’agisse d’électricité conventionnelle ou d’électricité verte, son exportation entraînera une perte financière énorme comparée à l’exportation du gaz l’ayant produite directement ou indirectement.  Ce qui précède est illustré par un exemple concret dans le référentiel.

Rappel des principaux points précédemment développés pour l’hydrogène vert

Dans une autre contribution, nous étions parvenus à la conclusion que la production de l’hydrogène vert, actuellement trop coûteuse (5-6 dollars le kilo, soit 37-44 dollars le MMbtu),  deviendra ut être rentable dans le long terme.

Mais quand bien même l’hydrogène vert deviendrait rentable, les pays exportateurs de gaz comme l’Algérie et même les pays importateurs comme l’Allemagne ne profiteront pas avant bien longtemps de l’alternative à l’hydrogène vert qui s’offre à eux avec le gaz. En effet, le temps que l’électricité verte n’aura pas atteint 100% de la consommation locale, c’est-à-dire pas avant une à deux décennies pour les pays avancés et plusieurs décennies pour les autres, ils auront à en soutirer de l’électricité verte pour produire l’hydrogène  vert. 

Ils devront alors compenser le déficit résultant de ce soutirage en produisant une quantité équivalente d’électricité conventionnelle  de remplacement produite à partir du gaz. Pour ce faire, les pays exportateurs de gaz n’auront d’autres solutions que de réduire leurs exportations, afin d’en soustraire un certain volume pour produire l’électricité de remplacement. Quant aux pays importateurs, ils devront, inversement, importer plus de gaz pour produire cette électricité. Dans les deux cas, cela correspondra à un important manque à gagner résultant de la combustion de  ce gaz  dans les centrales thermiques. 

Par conséquent, la question qui se pose, là aussi, est de savoir si la vente de ce gaz ne serait pas bien plus profitable que celle de l’hydrogène vert qu’il engendre. Les calculs montrent qu’avec les coûts de production actuels (ils  tournent autour de 5-6 dollars le kilo, soit 37-44 dollars le MMbtu), l’hydrogène  vert est loin d’être rentable. Avec le coût optimistement bas de 1 dollar le kilo d’hydrogène (soit environ 7,5 dollars le MMbtu) prévu pour 2031 par l’Energy Information Administration (EIA) du département américain de l’Energie, cette rentabilité sera probablement atteinte. Mais même dans ce cas, la vente du gaz aurait rapporté un profit bien plus élevé que celui rapporté par la vente d’hydrogène vert. 

A titre d’exemple, les calculs montrent que si les 15 000 MW d’électricité verte, prévus être produits en 2035, étaient réservés à la production d’hydrogène vert, ils n’auraient rapporté que 122,75 millions de dollars/an, alors que le gaz l’ayant généré aurait rapporté 883 millions de dollars/an. D’où un déficit financier de 761 millions de dollars/an.  Si les projets d’exportation électrique et de développement d’hydrogène vert étaient tous deux menés conjointement, le cumul de leurs pertes aurait totalisé 3557 millions de dollars/an. S’ils s’accumulent inaperçus au fil des ans, ils pourraient atteindre des montants astronomiques. On parle aussi d’une production future d’hydrogène vert pouvant s’élever jusqu’à 2 millions de tonnes/an. Dans ce cas, les pertes financières d’un projet de cette ampleur auraient atteint le montant démesuré de 4161 millions de dollars/an au lieu des 761 millions/an qu’auraient accusés les 365 454 tonnes d’hydrogène vert d’un projet de 15 000 MW.

Nous nous arrêterons là pour ne pas trop allonger la discussion. Pour de plus amples détails, voir la référence 2 en annexe, 1re, 2e et 3e parties.


Conclusions : 

Quand bien même le projet d’exportation électrique par câble sous-marin vers l’Europe s’avérerait rentable, ce qui est douteux, il accuserait une perte financière considérable d’environ 2796 millions de dollars/an comparé à l’alternative d’exportation du gaz ayant produit cette électricité. 

Le temps que l’électricité verte n’aura pas dépassé les 100% de la consommation locale, il sera nécessaire d’en soutirer une certaine quantité pour produire l’hydrogène vert, ce qui entraînera la consommation de gaz pour produire l’électricité de remplacement. Le projet «Hydrogène vert» accusera, lui aussi, une perte financière considérable d’environ 761 millions de dollars/an comparé à l’alternative d’exportation du gaz consommé au cours de sa production. 

La perte cumulée de ces deux projets menés conjointement pourrait s’élever à environ 3557 millions de dollars/an.
Si ces pertes passent inaperçues au fil des ans, leur accumulation pourrait atteindre des niveaux astronomiques. 

 

Par Mohamed Terkmani , Ancien directeur à la DG de Sonatrach
[email protected]

 


Références
1- Exportation d’électricité vers l’Europe : 
Quel intérêt pour l’Algérie ? Terkmani El Watan
2- Développement international de l’hydrogène  vert. Quel intérêt économique et quel avantage climatique pour l’Algérie ?  Terkmani El Watan
1re partie :  7 juillet 2023
2e partie : 8 jullet 2023
3e partie : 9 jullet 2023
 

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