Escapade dans le Fahs / Zéralda ou les gens du festin

03/07/2023 mis à jour: 03:58
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En haut à gauche : Zeralda, arrivée du train , à droite : Rue principale et avenue des platanes / en bas de l'image à gauche : Entrée du village (côté Alger) et Zeralda, la grande rue

Des documents anciens attestent que les terrains où s’implante le noyau primitif de Zéralda (*), appartenaient à un haut dignitaire turc qui exerçait, auprès du Dey d’Alger, la fonction de Khoudja. Ce dernier avait cédé, dans les années 1830, la propriété qui portait son nom «Haouch Mohamed Khoudja», d’une étendue de 900 ha, à deux diplomates anglais. Les nouveaux propriétaires de ce vaste domaine s’appelaient Robert William Saint John, consul d’Angleterre à Alger entre 1827 et 1844 et son vice-consul, Tulin. 

 

Pour l’agrandissement du village, l’administration a eu recours, lors de ces années-là, à l’expropriation de la ferme Mohamed Khoudja. Les autorités en place avaient, dans un premier temps, proposé aux Anglais un échange à l’amiable de ladite exploitation contre le haouch Rassauta. On choisit au final de leur verser une indemnisation. Son toponyme était prononcé localement Ezrelda, littéralement les gens du festin, vient du mot zerda, signifiant en langue française banquet. Avec le temps, le terme Ezrelda fut francisé en Zéralda.  Celui-ci dénomme le lieu, où anciennement les bienfaiteurs offraient, dans une ambiance festive, de la nourriture aux paysans et aux nécessiteux, comme par exemple lors d’une fête religieuse, ou bien à la fin d’une récolte saisonnière.

 

Petit lait, miel et plats de couscous garnis de légumes et viande de mouton, étaient servis aux convives au cours de cet évènement qu’on appelait communément, zerda, waâda ou touiza, selon les régions. Les membres de confréries religieuses se chargeaient généralement de l’organisation de ces cérémonies dans l’enceinte d’une zaouïa ou d’un mausolée où repose un saint marabout. 

A l’occasion d’importantes célébrations, un spectacle de fantasia était donné sur un terrain vague, par  des cavaliers magnifiquement vêtus, qui s’élançaient au galop en tirant des coups de fusil en l’air. La fête était égayée par des troupes folkloriques munies de leurs instruments traditionnels à l’image du karkabou, le tbal, le bendir et la ghaïta. La fondation de la commune de Zéralda fut décidée en 1844. 

A l’origine, il était prévu d’y accueillir 30 familles européennes, dont la moitié était de nationalité allemande, résidant initialement à Dély Ibrahim, premier village d’Algérie. Les habitants qui avaient inauguré le centre colonial de Zéralda se livraient au maraichage et à l’arboriculture, outre la coupe de bois qui était alors l’activité la plus répandue. A l’époque, l’objectif visé par la colonisation était l’implantation de petites villes que l’on disposait d’un point de vue géographique, selon un maillage dense très bien étudié. 

Pour cela, on avait fait appel à des spécialistes en géométrie pour évaluer les distances entre les nouveaux villages. Les navettes entre les nouvelles colonies, étaient toujours accompagnées d’une escorte de la cavalerie.Les tribus qui se sont ralliées au lendemain de la chute du traité de la Tafna, aux mouvements insurrectionnels étaient systématiquement dépossédées de leurs propriétés foncières. 

Depuis cet épisode, l’administration coloniale décida de faire rassembler les populations autochtones dans de petites parcelles. Plus tard; on retrouvera ces mêmes familles algériennes agglutinées dans des gourbivilles aménagés en périphérie des villages européens. Voici un extrait de ce qu’on pouvait lire dans la revue africaine dans son édition de 1936 : «Sont frappés de séquestre et réunis au domaine, les immeubles appartenant aux indigènes reconnus coupables d’avoir porté les armes contre la France, ou simplement d’avoir, depuis la reprise des hostilités, abandonné le territoire qu’ils occupaient pour passer à l’ennemi». La stratégie du gouvernement en place consistait à accaparer le plus d’espace possible pour installer les colons qui arrivaient en masse. 

Ce fut le temps où l’Afrique septentrionale exerçait son pouvoir d’attraction sur les hommes. Le flux migratoire en cette époque était dirigé de la rive nord vers la rive sud de la Méditerranée. Ironie du sort, plus d’un siècle plus tard, les embarcations des migrants des temps modernes, sont venues remplacer les voiliers qui faisaient la même traversée dans le sens inverse. Les maladies contagieuses telles que le paludisme ou le choléra faisaient à cette époque des ravages parmi cette population fraîchement débarquée. 

Les premiers aménagements publics dans beaucoup de centres n’étaient pas des écoles, ou des mairies, comme ils devaient l’être en temps normal, mais ce sont plutôt des cimetières qu’on devait à chaque fois rendre plus spacieux. La mort avait, à proprement parler, exterminé des familles entières dans plus d’une localité, en transformant parfois ces dernières en villages de fantômes. 

Quantité d’établissements coloniaux furent créés dans de pareilles conditions. Leurs habitants étaient tous des migrants amenés d’Europe et du pourtour méditerranéen. La modeste petite qubba abritant le tombeau de Sidi M’hamed El Hadj trône toujours sur une colline au sud de l’agglomération. Les quelques pièces de monnaie déposées à l’intérieur du dôme en guise d’offrandes et les traces de coulures de cire froide répandues sur le sol attestent encore aujourd’hui de passages de pèlerins. Les travaux d’aménagement qui avaient été entrepris dans ce site vers la fin du siècle dernier, avaient permis la mise au jour d’ossements humains. L’olivier centenaire au tronc noueux et évidé qui recouvrait naguère le tombeau de son ombre n’a pas résisté à l’assaut des pelleteuses.

L’agglomération secondaire, qui se situe à quelques encablure de Zéralda, abrite une ancienne nécropole, qui tient son nom d’un illustre saint personnage appelé Sidi Mennif, dont le mausolée est demeuré intact. Ce dernier avait été érigé par les fidèles au milieu de sépultures éparses, sur une colline d’où l’on peut jouir d’une des plus admirables vues panoramiques du littoral. 

Quelques menus espaces dédiés aux cultures maraichères et à la vigne se voient encore  dans les faubourgs de la ville. De nos jours, les activités liées au travail du sol se font de plus en plus rares. Les gens s’orientent plutôt vers des métiers moins pénibles et plus rentables tels que le tourisme, l’administration, l’immobilier ou le commerce. Le territoire de la commune de Zéralda est en partie couvert d’une épaisse forêt, surnommée forêt de l’oued Laâgar, ou forêt des planteurs lors de la colonisation. A une époque récente les banlieusards venaient nombreux s’y détendre en famille.

Cette partie de la banlieue de la capitale était anciennement réputée pour ses vergers d’orangers, qui avaient été initialement plantés par des Andalous arrivés en Algérie, au lendemain de la chute du dernier Émirat arabe d’Espagne. En ce temps-là, Kheïreddine, le fondateur de la Régence d’Alger, avait souvent recommandé à ses raïs de prêter assistance en mer à tous les musulmans qui souhaitaient se réfugier à Alger. 

Bien avant que ce lieu ne soit couvert d’une épaisse forêt telle que nous la connaissons maintenant, l’on n’y apercevait à l’origine qu’un bois d’orangers planté à deux pas d’une fontaine jaillissant sur le flanc gauche de l’oued l’Agha. L’existence de ces bosquets avait été signalée sur un croquis dressé par un espion de renom nommé Boutin, lors d’une mission que celui-ci avait menée à Alger en 1808, sur recommandation de Napoléon. 

C’est dans cet univers végétal que Sidi Mohamed l’Agha, le gardien spirituel des anciennes tribus locales, avait choisi d’élire domicile. Sa coupole, d’allure simplette, trône toujours à l’ombre d’un grand arbre. Ce fut jadis un haut lieu de pèlerinage des femmes stériles qui y convergeaient de loin afin d’implorer la fécondité auprès du saint personnage.
 

 

 

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