Escapade dans le Fahs algérois : Zouaoua ou les gens des zaouias

27/05/2023 mis à jour: 12:54
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De tous les anciens faubourgs extra muros d’Alger, Zouaoua est le quartier le plus renommé. Avec Bouzaréah, Béni Messous, Aïn Ezzebboudja,  Bir El Khadem,  El Qûbba et El Hamma, ils formaient sous le règne ottoman le célèbre territoire d’outane el fahs. Le lotissement de Zouaoua (*) est plus ancien que l’agglomération à laquelle il est rattaché, il constitue l’un des tout premiers noyaux initiaux où s’amorça l’urbanisation de la commune  de Chéraga. Très peu d’habitants peuplaient cette contrée de la banlieue algéroise, autrefois abandonnée à une faune et une flore sauvages. Il faut souligner que le Sahel algérois comptait en ce temps-là de nombreuses tribus, rien qu’à Chéraga et ses environs elles étaient au nombre de quatre : Chéraga, Boulahouache, Zouaoua et Béni Messous.

 

La tribu des Chéraga, ou les gens de l’est, était à l’époque turque installée à l’emplacement de l’actuelle agglomération, au profit de laquelle ils léguèrent leur nom. Les Boulahouache, ou les gens des fermes étaient naguère sédentarisés au lieudit Grand Chéraga ou Sidi Hassen, en souvenir d’un saint marabout. 

Les Zouaoua, qui font l’objet de cet article, étaient établis au quartier de ce nom, sur le sommet de l’une des collines verdoyantes situées en direction de la ville de Dély Ibrahim.  Les Béni Messous, dont le nom complet est les béni el oued el Messous, vivaient primitivement au pied du massif de Bouzaréah, aux abords du ruisseau auquel ils doivent le nom.

Zouaoua n’était à l’origine qu’un petit hameau où vivait l’une des plus anciennes peuplades, installée dans la région bien avant l’émergence du centre de Chéraga.  Selon la revue africaine, il s’agissait d’une communauté microscopique où tout le monde se connaissait ; elle aurait été formée initialement de cinq ou six familles seulement. Cette petite tribu travaillait à la solde de la Régence, elle se chargeait vraisemblablement du recrutement de soldats dans le corps de la garde rapprochée des deys d’Alger. Les candidats les plus recherchés par la Régence étaient les Kabyles ou Zouaoua, guerriers intrépides, dont le nom se perpétue dans celui de la localité éponyme.

Au lendemain de l’occupation, une corporation de ce régiment, qui reçut l’appellation de zouaves, fut créée le 1er octobre 1830 par l’armée française dans le village voisin de Dély Ibrahim, à quelques pas de ce vieux hameau. Le 6 décembre 1832, deux bataillons de ce corps de troupe furent réunis au camp de Dély Ibrahim, ceux-ci avaient la charge de surveiller l’immense plaine qui se déploie entre Chéraga et Staouéli. Bien plus tard, on retrouva ce corps d’armée dans la ville de Koléa. Les zouaves, ou zouave au singulier, est le nom francisé des anciens fantassins que les natifs appelaient les Zouaoua, dont les troupes étaient, au temps des deys, recrutées parmi les tribus vivant dans les confins du Djurdjura.

On distinguait jadis deux groupes de Zouaoua en Kabylie, les Zouaoua Gherraba, de l’Ouest et les Zouaoua Cherraga, de l’Est qui seraient sans doute à l’origine du toponyme de la cité de Chéraga, dont le centre-ville est à quelques encablures du lotissement de Zouaoua. Ces deux fractions occupaient, par le passé, tout le versant septentrional du massif montagneux de Djurdjura. L’armée du dey d’Alger, qui avait prit part à la bataille de Staouéli le 19 juin 1830, comptait dans ses rangs des janissaires, des kouloughlis, des Hadjout, guerriers redoutables de la ville de Hadjout, mais aussi des Kabyles ou Zouaoua du Djurdjura, conduits par El Hadj Mohamed ben Zamoun.  Les contingents, venant des Beyliks, du Titteri, de l’Oranie et de Constantine se sont également ralliés aux troupes algériennes. Tous les hommes en état de porter les armes furent enrôlés sur ordre de l’odjaq par les chefs des tribus autochtones. Un nombre considérable de volontaires affluait de toutes les contrées de l’Algérois. L’enjeu était de taille, ces forces coalisées devaient se préparer à affronter une machine de guerre  moderne, vestige de l’armée napoléonienne. Zouaoua et ses environs avaient été le théâtre d’une multitude d’accrochages lors de la  journée du 24 juin 1830. 

Cette grande offensive prit le nom d’un saint personnage commun aux bédouins sous le nom de Sidi Yakhlef, modifié par les chroniqueurs français en Sidi Khalef. Le dôme de ce marabout, qu’on peut jusqu’au jour d’aujourd’hui voir à l’ouest de Chéraga, est l’un des monuments autochtones les plus anciens dans toute cette banlieue ouest d’Alger. En cette brûlante journée d’été, Amédée de Bourmont, le fils cadet du maréchal de Bourmont, commandant du corps expéditionnaire français, avait été atteint de plusieurs balles à Hasnaoua. Ce dernier est un petit quartier proche à la fois de Zouaoua et des grands haouchs de Khodja Berry et du Khaznadji, qui signifient successivement domaine du secrétaire Berry et domaine du trésorier du dey. Le lotissement de Hasnaoua avait acquis, depuis quelques années, une certaine renommée pour son cimetière musulman. 

On pouvait jadis localiser l’endroit où fut mortellement blessé ce soldat français grâce à une croix qui y avait été érigée par les moines trappistes en 1843. Aux alentours de 2010, les substructions de ce monument étaient encore visibles à l’entrée de la nécropole musulmane, en bordure de la route que les habitants désignaient par Trig Eslib, une expression qui peut se traduire en langue française par le Chemin de la croix. Dix jours plus tard, le jeune officier Amédée succombe à ses blessures au camp de Sidi Fredj, dans la baraque même qui avait servi à son père de salle à manger et de bureau, avant qu’elle ne soit en dernier lieu aménagée en hôpital de campagne.

Zouaoua, littéralement les gens des centres religieux ou zaouïas en dialecte locale, autrefois très nombreuses dans le pays. Ces établissements religieux, dont certains existent encore maintenant, sont placés sous l'autorité d'une confrérie musulmane, spécialement affectés à  l'enseignement, notamment du saint Coran. Zouaoua est également le nom d’un petit bras de rivière prenant naissance dans le quartier éponyme et traversant le long de son cours l’haouch Ben Haddadi Saïd (ex-domaine Vidal). 

Cette dernière exploitation agricole, d’origine mauresque établie en bordure de la RN41, se particularisait, dans le passé, par l’exubérance d’une végétation luxuriante qu’arrosaient des fontaines à foison. Le hameau historique de Zouaoua est constitué de maisons vieillottes serrées les unes contre les autres, seuls des passages étroits y permettent l’animation. Cette étroitesse a pour but de maintenir une certaine fraîcheur en été. Les plus anciennes habitations ne comportent que le rez-de-chaussée, elles sont solidement bâties de murs épais, faits de  pierres et de briques rouges badigeonnés à la chaux. 

Ce quartier, aux allures d’une casbah miniature, remonte au temps des Turcs, juché sur l’une des deux collines dominant le village de Chéraga à l’est. Depuis cette éminence, on peut jouir d’un panorama exceptionnel en direction de la mer Méditerranée. C’est à partir de cette situation élevée qu’on a pu apercevoir le débarquement de la flotte française au mois de juin 1830. A l’abri d’une clôture érigée en maçonnerie au centre de ce quartier, existent quelques vieilles sépultures formant le petit cimetière du saint marabout Sidi Bouzid, le gardien spirituel de l’ancienne tribu, dit-on. Tout auprès de cet enclos funéraire se voyaient par le passé de petits hangars qui servaient d’abris aux animaux d’élevage. Les potagers où l’on cultivait les légumes ainsi que les vergers qui recouvraient autrefois la colline laissent progressivement place à de nouvelles constructions bétonnées.

Zouaoua jouissait jadis d’un grand renom dû à ses innombrables étables destinées à l’élevage de la vache laitière. A une certaine époque, le lait constituait sa principale richesse, il était fourni en abondance dans toute la banlieue algéroise. 

Ce lotissement compte actuellement une petite placette, une vieille mosquée, deux cimetières, le nouveau et l’ancien, une école, des petits commerces utiles et quelques artisans de divers corps de métier. Une route étroite aménagée le long d’une pente très abrupte dessert la zone tout entière.
  

 

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