Escapade dans le Fahs algerois : Hamma ou le bain maure des faubourgs d’Alger (*)

20/04/2023 mis à jour: 13:21
4036
Alger, Fontaine du Hamma

Contrairement à ce que peuvent penser ou dire les anciens Algérois, l’origine du nom du quartier dit El Hamma, vieux quartier dans la commune de Belouizdad, n’est pas emprunté du terme «fièvre». Le toponyme Hamma n’est, en effet, que le diminutif de hammam, terme qui signifie en langue arabe «chaleur». L’appellation est due à l’existence jadis à cet emplacement même d’un hammam qui se faisait aussi appeler bain turc ou bain maure. Soulignons qu’une ville de la côte turquoise algéroise, toute proche de celle de Raïs H’midou et Miramar (mot occitan qui veut dire vue sur mer) porte également le nom de Hammamet à cause des bains romains qu’on pouvait, par le passé, voir dans son centre-ville. Situé au cœur de la commune de Belouizdad, le quartier Hamma faisait partie à l’époque du découpage administratif ottoman d’outane el fahs, lequel territoire était constitué de sept grands quartiers, à savoir Bouzaréah, Béni Messous, Zouaoua, Aïn Ezzebboudja, Bir El Khadem, El Qûbba et El Hamma. El Hamma abrite de nombreux sites touristiques, à l’image de son vaste jardin botanique, sa grotte de Cervantès et autres monuments historiques et résidences de luxe construites dans le genre mauresque autrefois habitées pas des personnalités très influentes.

Ce lieu historique du Hamma (*) était plus particulièrement réputé pour ses nombreuses fontaines, dont les eaux de quelques unes d’entre elles avaient été jadis captées et transportées via aqueduc pour alimenter aussi bien la médina d’Alger que la campagne alentour. Les travaux de ces canalisations avaient été réalisés grâce au savoir-faire des tribus andalouses émigrées en Algérie au lendemain de leur expulsion d’Espagne.  
Sous l’empire ottoman, Alger était desservie en eau par quatre aqueducs : Hamma, Télémly, Bir Traria et Aïn Ezzebboudja. L’agent auquel étaient confiées la surveillance et la gestion de ce réseau d’adduction d’eau était nommé par le Pacha d’Alger, en qualité de «Caïd el aïoune» qui pouvait lui-même subir le contrôle du Scheik el Bled.

Datant de 1662, l’aqueduc du Hamma, long de 5 km pénétrait  dans la vieille ville par la fameuse porte Bab Lahzoun, après avoir traversé l’endroit où s’implante maintenant l’usine à gaz. C’est en ce lieu même (plage du Hamma) qu’il existait, avant 1830, une douzaine de grands fours traditionnels.

Le chantier primitif pour la réalisation de cet ouvrage avait été exécuté sous la conduite de l’Andalou Sta Mouça, un ancien janissaire. Pour une meilleure captation des eaux, de nouveaux travaux y ont été entrepris en 1759, sous le règne de Mohamed Pacha.

Charles Quint installa son bivouac avant d'y être chassé...

En octobre 1543, voulant mener une expédition punitive contre la Régence d’Alger, Charles Quint le monarque espagnol, qui avait réussi à faire débarquer ses troupes sur les plages d’Hussein, est contraint par une importante résistance populaire à faire installer au lieudit El Hamma son premier bivouac. Il passe la nuit au cours de laquelle il fut sans cesse harcelé par les combattants autochtones, à quelque distance seulement de l’oued el Kniss. 

Non loin de là, à une encablure de l’entrée nord du jardin d’Essai, qui fait face à la mer, juste à côté d’une ancienne source consacrée autrefois à Lalla Amina Haoua, se voyait naguère le dôme de sidi Bilel, un homme de couleur, grand saint du Soudan et fondateur de Tombouctou. 

Ce marabout attirait, en son temps, de nombreux pèlerins qui venaient lui témoigner leur vénération en sacrifiant le taureau noir. Lors de la fête des cacahuètes, qui était à l’époque organisée sous des tentes multicolores, les fidèles de ce saint personnage s’y adonnaient à des spectacles, des chants et des collations. 

En 1895 la qubba de Sidi Bilel était à moitié enfoncée dans le sable. En raison des travaux de la ligne de chemin de fer reliant Alger à El Harrach, l’administration coloniale contraigne le cheikh local de la confrérie à déplacer ce marabout. Leur choix s’est fixé sur une colline à Bach Djarrah où il se dresse jusqu’à l’heure actuelle en bordure de la route, à l’entrée de la cité évolutive au-dessus de Djenane Mabrouk.

Ce quartier emblématique du Hamma est renommé pour sa nécropole musulmane qui abrite le mausolée de l’un des plus illustres saints marabouts de toute la région. Il s’agit vous l’aurez sans doute deviné de Sidi M’hamed Ben Abderrahmane Boukobrine. Après avoir accompli ses études au Caire, à la Mosquée El Azhar, littéralement la Mosquée des Fleurs, ce saint fonda,  au temps de Baba Mohammed Pacha, une confrérie qui avait acquis, en ce moment-là, une grande importance dans tout le pays.La légende raconte qu’après son décès en Kabylie en 1791, ses fidèles firent transporter sa dépouille pour l’inhumer une seconde fois au Hamma. 

Les habitants de son douar en Kabylie chez les Béni Smaïl constatèrent après vérification que les restes du saint demeuraient toujours dans sa qubba. Les Algérois, de leur côté,  avaient de tout temps été convaincus que le marabout était enseveli au cimetière du Hamma, dont l’enceinte longe la fameuse ruelle pentue qu’on appelle pour cette raison Laâqiba. Depuis cet épisode, la croyance populaire prétend que Sidi M’hamed Ben Abderrahmane s’était dédoublé miraculeusement, on lui attribua alors le surnomma de Boukobrine, qui signifie le marabout aux deux tombeaux.

La qubba initiale de ce sage fut aménagée sous Hassan Pacha, en 1791,  autrefois elle donnait lieu à des pèlerinages, notamment lors des fêtes religieuses. D’illustres personnalités sont inhumées dans cette nécropole, telles que Sidi Abdelatif,  le petit fils du dernier bey d’Oran, Belouizded Mohamed, Hassiba Ben Bouali, Ahmed Boumezreg El Mokrani, qui a été déporté en 1871 en Nouvelle Calédonie. Celui-ci était revenu au pays en 1904 puis enterré après sa mort en 1905.

Tout comme Oued Kniss, Laâqiba que nous venons de citer un peu plus haut, était un lieu très fréquenté par les Algérois pour son vieux marché aux puces qui se tenait le long d’une rue très escarpée connue localement sous le nom de zounket Ed’lala. Ce chemin abrupt, qui se situe en dessous du quartier Cervantès dans la zone dite du Hamma, a légué son appellation à tous les lotissements adjacents qui s’y sont développés au fil du temps.

Le célèbre auteur de Don Quichotte de la Manche à lui aussi marqué l’histoire ancienne de cette charmante localité du Hamma. Ce romancier d’origine espagnole fut kidnappé par le corsaire Mami Arnaout le 26 septembre 1575 et conduit comme esclave à Alger. Après avoir pris dès les premiers instants la résolution de s’échapper, celui-ci tenta, une première fois, de gagner Oran à pied, sans succès. Une nouvelle tentative avait lieu en février 1577, organisée avec treize de ses compagnons. 

Ces derniers choisissent de se cacher, plusieurs jours, dans le jardin de caïd Hassen à quelques centaines de mètres de la plage du Hamma. Ce lieu était une grotte gardée le jour, par l’un des captifs qui surveillait les abords de cet asile. Un autre esclave approvisionnait les fugitifs en nourriture.

 Le 20 septembre 1577, Cervantès rejoignit la grotte, car la date d’arrivé du voilier, qui allait les délivrer approche. Le 28 septembre 1577, ce vaisseau pénétra de nuit au milieu de la baie d’Alger, il  sera aussitôt capturé et les membres de son équipage faits prisonniers, autant que Cervantès qui retrouva rapidement ses chaînes. Tenace, Cervantès ne s’avouait pas vaincu, il multipliait encore et encore ses tentatives d’évasion sans jamais réussir. Plus tard en 1580, à l’issue de cinq années de captivité, sa libération fut enfin obtenue en échange de 500 écus d’or d’Espagne.  

Nous achevons le récit de notre escapade dans cette partie est de la banlieue d’Alger par l’évocation du passé historique du sublime jardin Abdelatif. Ce bijou d’architecture implanté sur son coteau boisé non loin du musée des Beaux- Arts, daterait d’après un ancien acte de propriété de l’année 1715. Se sont succédé à la tête de ce somptueux palais Mohammed Agha, Ali Agha, Hadj Mohammed Khodja,  ainsi que Sidi Abdelatif qui en fit l’acquisition, en 1795, moyennant 2 000 dinars de l’époque. Quelques années plus tard, celle-ci devint propriété de l’État au prix de 75 000 anciens francs. Dans le voisinage de ce jardin, existait la maison des Orangers, occupée alors par l’armée française.

 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.