Escapade dans le Fahs algérois : Birtouta ou l’histoire du haouch du puits du mûrier

18/07/2023 mis à jour: 07:58
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La mairie et le bureau de poste à gauche de l'image , Le square et les bâtiments communaux à droite de l'image

Le toponyme de Birtouta (*) devait initialement s’écrire Bir Ettouta, le puits du mûrier en dialecte local. Ce dernier sera, sous l’occupation, orthographié dans les manuels historiques de différentes façons à savoir Byr-Touta, Bertouta et enfin Birtouta tel qu’il est connu de nos jours. La ville de Birtouta est éloignée de 26 km d’Alger, son territoire autrefois rural à vocation agropastorale était partiellement composé de terres basses marécageuses. Son sol se prêtait facilement à l’arboriculture et la culture des tabacs, des céréales et de la vigne. 

 

Un centre de colonisation y fut fondé en 1851, annexé à la commune de Douéra dans la circonscription d’Alger. Cette contrée, faisant jadis partie d’outane Ben Khelil, n’était qu’une simple petite ferme des environs d’Alger appelée haouch Birtouta. Le jour et la nuit, seul le roulement des voitures hippomobiles qui la traversaient rompait le silence. Elle sera dans la suite rendue célèbre grâce à son puits historique et à la route nationale qui la traverse.

Le village primitif était placé juste au pied des collines du Sahel algérois, non loin des zones inondables où naguère proliféraient les moustiques et sévissait le paludisme. Du fait de l’extension du parc immobilier, la cité se retrouve maintenant assise à cheval entre les dernières pentes du Sahel algérois et la sublime plaine de la Mitidja. La Mitidja était dans le passé couverte de magnifiques domaines agricoles, ses terres étaient, en grande partie, propices aux céréales, aux pacages et à l’arboriculture. Ne dit-on pas que cette plaine était l’ancien grenier qui nourrissait la Rome antique ? 

Au surplus, cette tradition s’est longuement perpétuée pour tous les autres peuples qui ont foulé le sol de notre pays à différentes périodes.  Le toponyme de Birtouta devait initialement s’écrire Bir Ettouta, le puits du mûrier en dialecte local. Ce dernier sera, sous l’occupation, orthographié dans les manuels historiques de différentes façons à savoir Byr-Touta, Bertouta et enfin Birtouta tel qu’il est connu de nos jours. Dans la nuit du 25 juillet 1830, harcelée de toute part par les habitants de la Mitidja, l’armée française, forte de 30 000 hommes, se réfugie dans l’haouch de Birtouta, traînant à sa suite plusieurs chariots emplis de soldats morts ou blessés. 

Dans l’attente de recevoir des renforts en provenance d’Alger, les forces françaises font établir autour du puits du mûrier un camp militaire.  Voici un extrait d’une lettre rédigée par un soldat qui illustre les conditions de cette retraite précipitée : «A onze heures du soir on arriva à un puits entouré d'arbres (Bertouta) où on passa la nuit. 

Là, un spectacle bien triste s'offrit à nous : des troupes, qui vingt jours auparavant avaient renversé la puissance algérienne, étaient maintenant en fuite devant une poignée de Bédouins…». Le 5 juillet 1830, le traité de la chute d’Alger venait tout juste d’être conclu, pourtant les tribus autochtones continuaient toujours à mener leurs assauts dans tout le Sahel algérois et la Mitidja, pour tenter d’empêcher les colons de s’y implanter durablement. Pour se protéger contre ces raids, les Français installent de distance en distance des positions fortifiées. 

A l’haouch Birtouta, on fit ériger un blockhaus pour garder le passage sur la route. Plus tard, à l’issue d’une accalmie relative, des cabanes de commerçants, cantonniers, journaliers, tirant leurs ressources du trafic routier des diligences qui assuraient la navette entre la capitale et Blida, y faisaient progressivement leur apparition. 

Ces petites habitations temporaires commençaient à s’agglutiner autour de cette fameuse fortification, avant même la parution du décret de fondation du centre de colonisation. Des négociants, artisans, agriculteurs, maçons et des familles originaires de Mahon, d’Italie, de Suisse, d’Alsace et de Savoie sont venus par la suite grossir les rangs de la population déjà existante. De nombreux colons entament la construction de leurs maisons de pierres, avant même la fondation officielle de la commune. 

L’agrandissement de la bourgade se faisait aux dépens des expropriations successives des terrains limitrophes. Bien plus tard, lorsque l’espace au cœur de la ville de Birtouta venait à manquer, les autorités compétentes décidèrent de conquérir le ciel en bâtissant des logements empilés à la verticale. À l’ouest, au bord du grand boulevard franchissant le centre-ville, le paysage est dominé par une immense forêt d’immeubles. 

À mesure que le temps passait, deux agglomérations distinctes se sont juxtaposées l’une à l’autre ; l’ancienne avec son allure coloniale et la contemporaine avec son architecture moderne. L’un des plus vieux hameaux autochtones qui s’implantaient dans les faubourgs de cette localité est celui qu’on surnommait douar Adedcha. 

Celui-ci se niche, depuis sa création, au creux de verdoyantes collines. Une allée bordée d’oliviers dénommée Ahmed Boukhalf, conduit à cet ancien quartier qui abrite une mosquée baptisée Mesdjid Omar Ben Abdelaziz. Le paysage rural d’antan n’a pas complètement disparu de la ville, de nombreux petits coins restent encore agricoles. Effectivement, à certains endroits on peut encore apercevoir des bosquets d’agrumes, des plantations de vigne et des haies de cactus délimitant de petits jardinets. 

Sous le règne ottoman, son paysage était rythmé par quelques domaines d’une certaine importance qui ponctuaient son espace à l’instar de ceux qui portent successivement les noms de haouch Baba Ali ethaouch Bey El Gharb, littéralement ferme du prince de l’Ouest. A l’époque, les beys de l’Ouest, du Tittery et de l’Est possédaient chacun une propriété particulière dans la Mitidja, où ils pouvaient séjourner lors de leur passage à Alger pour porter le tribut de leur province au Dey. Cette catégorie de haouchs, tout à fait semblables à celle de Bey El Gharb qui se situait dans les environs immédiats de Birtouta, était considérée comme un gage de fidélité envers l’ancienne Régence d’Alger. 

Dans ces vastes fermes rurales, les Ottomans installaient généralement de petites garnisons composées de quelques janissaires assistés par des cavaliers du makhzen en charge du maintien de la sécurité dans toute la région. Le second haouch que nous avons mentionné un peu plus haut est celui de Baba Ali. 

Ce dernier était, à une époque donnée, la propriété d’une riche famille qui serait venue très probablement d’Andalousie au lendemain de la chute du dernier émirat arabe de Grenade. Plus tard, un maréchal de l’armée française, nommé Clauzel, en fit l’acquisition. On sait cependant que le souvenir, que ce soit des émigrés andalous ou des émigrés tagarins, se perpétue encore aujourd’hui dans la dénomination d’un certain nombre d’agglomérations à l’image de Tagarins, El Qadous ou encore Chebli et Ouled Chbel. 

Ces deux derniers toponymes signifiant respectivement sévillan et enfants de sévillans en référence à la ville de Séville, Ichbilia lors de la présence arabe en Espagne. Progressivement, le domaine de Baba Ali fut transformé en un petit village, qui portait au début de la colonisation le nom de Clauzel-Bourg. Celui-ci fut inauguré en 1839 par des Allemands vivant dans des huttes plantées non loin de la ville de Boufarik. Vers la fin de l’année 1839, cette exploitation agricole fut ravagée par une épidémie mortelle. 

Les fièvres paludéennes et la reprise du djihad proclamé alors par l’Emir Abdelkader avaient mis fin au projet de fondation d’un centre de population à Baba Ali qui n’a duré finalement que quelques mois.Il y eut également d’autres tentatives avortées d’implantation de colonies dans des douars qui étaient à l’origine peuplés de tribus qui avaient choisi de prendre part à l’insurrection de 1839. Parmi ces centres de colonisation non aboutis, l’on citera ceux de Sidi Slimane à Khraïcia, El Qadous à Draria et D’kakna à Douéra. 

L’ancien gouverneur des Indes, le comte Eugene de Richemont, devient propriétaire de l’haouch Baba Ali en 1853. Le domaine comptait, à ce moment-là, plusieurs hectares de bois peuplés de trembles. Les Européens et les autochtones y vivaient en permanence du travail de la terre et de l’élevage des animaux. 

Avec le temps, cette ferme acquit la réputation d’être une véritable pépinière avec des plantations, des cultures et des jardins maraichers où l’on faisait pousser diverses variétés de légumes. Aujourd’hui, haouch Baba Ali vit sa propre déchéance, les cultures qui faisaient autrefois sa renommée ne sont plus qu’un lointain souvenir. Seuls quelques vergers d’agrumes et de minuscules jardins potagers y sont encore entretenus çà et là.

 

 

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