Escale dans l’ancienne Médina : Le métier d’artisan, un exercice qui ne fait plus recette ?

07/04/2025 mis à jour: 12:56
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Boudjemaâ, un dinandier - Photo : D. R.

En sillonnant les dédales de l’ancienne médina, il n’est pas aisé pour le quidam ou le commun des visiteurs de dénicher des artisans qui, autrefois, participaient à une ambiance où il fleurait bon. Ceux-là mêmes qui étaient disposés en enfilade, au point où on baptisait les ruelles et autres venelles casbadjies de zanqat el harrarine, zanqat ennahassine, zanqat el fakhardjia, zanqat el mekfouldjia, zanqat ennâqachine et tutti quanti. Une activité artisanale qui, de nos jours, ne semble plus faire recette, voire un exercice qui périclite. Zoom.

Une corporation de métier qui, à vrai dire ahane et beaucoup d’artisans, ont fini par mettre la clé sous le paillasson, faute de relève qualifiée ou de manque criant de biens entrant dans le processus de fabrication, selon ceux – ils sont rares – qui semblent faire de la résistance, en composant avec les moyens du bord.

En effet, les maîtres du fin doigté font face, malgré eux, à l’adversité d’un temps où, d’une part, l’on assiste à une désaffection patente des jeunes pour le métier d’artisan, et d’autre part, la matière première fait défaut, laisse entendre sur un ton dépité, Bahia, une jeune dame artisane céramiste, qui dans son réduit du côté de l’îlot Sidi Ramdane, tente de faire contre mauvaise fortune bon cœur.

De beaux objets aux motifs floraux meublent les étagères de son petit espace, le travail qu’elle présente prête beaucoup à l’art appliqué. Son confrère artiste céramiste, Tarek Triki, propose également de beaux produits aux visiteurs de circonstance dans un petit local qui s’ouvre en amont sur le tronçon qui longe le parcours dit touristique de la rue de La Casbah (actuelle Sidi Driss Hamidouche). De temps en temps, il réussit à écouler des tableaux joliment décorés aux passionnés du fin doigté. «Les gens qui arpentent la médina répondent davantage aux ‘rabatteurs’ d’agapes qui, depuis un certain temps, font florès qu’aux objets que les artisans fabriquent non sans peine», résume Djaafar, un ancien habitant de la cité.

Faute de matière première, on recourt aux objets de récupération

A un lancer de pierre de ce lieu où, un peu partout, des tables et meidas y sont plantées avec des couverts, au grand délice des groupes de gens qui y affluent pour goûter aux mets traditionnels, on débusque du côté de la rue Katarougil (Qata3 el redjel) un dinandier qui s’y affaire comme un métronome à ciseler ses pièces de cuivre, un exercice long et minutieux.

Le son de son ciselet nous aiguille vers l’entrée du cagibi du maître dinandier et étameur Boudjemaâ Gasti qui y a élu ses quartiers depuis qu’il a quitté le local qui donne sur le petit belvédère dominant une partie de la baie d’Alger.  L’artisan se donne sans compter ; il ne ménage pas ses efforts pour recycler et redonner corps aux objets de récupération en cuivre qu’il refaçonne, selon ses besoins ou le souhait de ses potentiels clients. Même son de cloche pour cet artisan qui se plaint de la disponibilité du matériau de base, la feuille de cuivre en l’occurrence. «Le prix de feuille de cuivre a flambé ces dernières années sur le marché…

On ne peut, malheureusement, se permettre de l’acquérir… On se débrouille comme on peut.» Et de poursuivre : «Faute de matériau, nous n’avons l’option que de nous rabattre sur la ’casse’.» Une manière de laisser entendre qu’il recourt à l’acquisition des objets usagés qu’il achète au kilo de chez  khardadjia attitrés. Plus bas, dans un autre quartier, plus précisément rue Mohamed Seghir Ben Larbey, nous dénichons un artisan de nickelage vers lequel affluent ceux qui ont besoin à redonner du lustre à leurs ustensiles en cuivre.

«Nous n’exigeons rien…»

Pendant le mois de Ramadhan, son atelier ne désemplit, contrairement au maroquinier, Mostefa Boulachab, un artisan qui peine à achalander son espace, car les cuirs, fait-il savoir, comme la basane, la vachette ne sont pas à notre portée, sans compter les accessoires nécessaires à la fabrication des sacs à main, les portefeuilles, les ceintures et autres objets pratiques pour la gent féminine, notamment. «C’est une période où je suis censé travailler sans répit, mais faute de matière première, je me trouve pénalisé (…). Je me roule les pouces», lance-t-il sur un ton aigri, à notre endroit.

Et de renchérir en guise de conclusion : «Nous n’exigeons rien, autrement dit, que le ministère de tutelle daigne bien nous alimenter en intrants pour perpétuer cet héritage ancestral, un secteur qui participe au développement du tourisme.» Il n’est pas malvenu de dire que, contrairement à nos voisins de l’est ou de l’ouest, où le patrimoine immatériel est somme toute florissant, l’ancienne médina d’El Djazair Ibn Mezghenna peine à offrir des espaces proposant quelque souvenir du terroir, issu de l’activité artisanale au visiteur de passage, sinon des cagibis de bouffe qui éclosent par-ci, par-là…

Un filon qui, tout compte fait, ne rapporte pas moins gros. A quelques encablures de l’ancienne médina, le sort des artisans qui élisent domicile à la maison de l’artisanat de Oued Koriche, n’est guère, lui aussi reluisant. Sur dix-huit ateliers que compte cet établissement, dont des céramistes, un dinandier et une vitrailliste, nombre d’entre eux observent de longs moments lors desquels, et à leur grand dépit, le valet est mis sur le maillet.
 

 

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