Entre sanctions internationales et volonté de dédollarisation : Quel rôle pour l’or monétaire et dans quel horizon temporel ?

11/05/2023 mis à jour: 01:16
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L’or monétaire est redevenu un contrat d’assurance gros risques depuis la crise financière de 2008 et un enjeu géostratégique dans le sillage de la guerre en Ukraine. Cette évolution s’explique par plusieurs facteurs, y compris les chocs à répétition secouant l’économie mondiale depuis 2008, la montée des tensions géostratégiques liée à la guerre en Ukraine, l’instabilité financière causée par la crise bancaire aux Etats-Unis et le besoin de se prémunir contre l’inflation de la part de certaines banques centrales. 

Les pressions récentes sur la demande en or monétaire viennent non seulement des banques centrales des pays avancés (raisons de gestion macroéconomique et de risque géostratégique) mais également de celles des pays émergents et en développement (dont celles des BRICs-5) qui souhaitent abandonner le dollar américain comme monnaie de facturation des échanges internationaux et se prémunir contre des sanctions internationales de la part des pays occidentaux. 

Des achats massifs d’or devraient se poursuivre de la part de ces derniers pour appuyer leur volonté récemment réaffirmée de dédollariser et surtout de créer une monnaie commune. Un objectif noble mais faisant face à une multitude d’obstacles. Pour sa part, l’Algérie détient un stock d’or monétaire important qui vient s’ajouter à ses réserves internationales de change. En même temps, le dollar domine la facturation des exportations et des importations. Faut-il à l’instar des autres pays émergents accroitre le stock d’or ? ou exercer de la prudence et préserver ses avoirs en monnaies de réserve pour faire face aux besoins vitaux de l’économie dans un contexte de forte volatilité et d’inflation mondiale ? Discutons de tous ces points.

Le marché international de l’or en tant que métal précieux à usages multiples.

A fin 2022, la production d’or tout usage a atteint 4779 tonnes (75% d’extraction minière nouvelle et 25 % de recyclage). Les 5 plus grands producteurs (sur les 45) sont par ordre d’importance la Chine, la Russie, l’Australie, le Canada et les Etats-Unis. La demande émanait de nombreux secteurs dont, entre autres, la joaillerie, la médecine dentaire, la frappe de monnaie et de lingots et surtout des banques centrales (plus de 1/5 du total). Pour le premier trimestre de 2023, la production a atteint 1174,4 tonnes et la demande de la part des banques centrales a atteint près de 1/5 du total de cette production. 
 

L’or monétaire (banques centrales) et les réserves internationales de change  

Evolution historique : Phase 1 : stabilité et légère chute de la part de l’or monétaire entre 1971- 2008 : dans le sillage du découplage du dollar de l’or en 1971 et de l’abandon total du gold standard en 1973, les banques centrales n’ont acheté de l’or qu’en période de volatilité et d’incertitude sur les marchés. Les avoirs en or officiel sont restés relativement stables et ont même baissé à partir du début de 2000 en tant que part dans les réserves internationales de change (RIC) des pays avancés en raison d’un accord (1999-2014) entre les banques centrales de ces derniers visant à se diversifier progressivement hors de l’or. L’objectif était d’éviter qu’un surplus d’offre sur le marché international ne fasse chuter les prix des stocks résiduels. En même temps, la part des devises entrant dans la constitution des réserves internationales de change augmentait. Ce faisant, l’or représentait encore environ 10 % des réserves internationales totales dans le monde. Phase 2 : remontée de la part de l’or entre 2008 et nos jours : depuis la crise financière de 2008, les banques centrales des pays avancés ont d’abord freiné les ventes d’or (les limitant à 1tonne/jour à partir de 2008) avant d’abandonner purement et simplement l’accord sur les ventes d’or de 1999. 

Au niveau des marchés émergents, a contrario, les banques centrales accroissaient leurs achats d’or monétaire pour : (1) éviter les faibles taux d’intérêt sur les principales monnaies de réserve, ce qui a réduit les écarts de rendement entre les titres et l’or ; et (2) se protéger contre les risques économiques, financiers et géopolitiques. Les plus gros acheteurs (2/3 des achats) sont la Chine (qui maintient ses détentions d’or à 5% en dépit de très gros achats) et la Russie. Entre 2010 et 2022, la demande en or monétaire est passée de 115 tonnes/an à1078 tonnes. Une augmentation de 837 % soulignant la montée de l’importance de l’or monétaire, devenu progressivement un enjeu capital pour faire bouger la rigidité du système monétaire international. 

Principaux détenteurs et part de l’or monétaire dans les réserves internationales de change. (1) la structure : A fin 2022, la répartition des avoirs en or monétaire est la suivante : (i) 10 % sont entre les mains des organisations internationales (principalement le FMI et la Banque des règlements internationaux) ; (ii) 60% sont détenus par les pays avancés ; et (iii) 10 % sont au niveau des banques centrales des pays émergents et en développement. Les États-Unis et les membres de la zone euro détiennent plus de la moitié de tout l’or monétaire officiel (607 millions d’onces). Parmi les marchés émergents, la Russie, la Chine, l’Inde et la Turquie en sont les principaux détenteurs (161,9 millions d’onces) ; (2) la part de l’or dans les RIC : A fin 2022, en moyenne, l’or représente environ 17% (80% en 1950) des réserves internationales de change au niveau des pays avancés et 7 % (30 % en 1950) de celles des pays émergents et en voie de développement. 
 

Les facteurs explicatifs de la demande en or monétaire  

La demande en or monétaire : ce dernier est perçu comme : (i) une valeur sure et un actif de réserve attractif notamment en période de forte incertitude économique, financière et politique et également quand les rendements des autres monnaies de réserve sont faibles ; (ii) une protection contre l’inflation et un élément de diversification des portefeuilles ; (iii) un métal ayant les faveurs des traditions des banques centrales d’autant plus qu’il existe des marchés pour l’or bien régulés à Londres, New York, et Shanghai et que le métal jaune est classé comme réserve internationale de change par le FMI. Par ailleurs, l’or est désormais perçu comme un actif de réserve sur et désirable face à des sanctions internationales et aux gels et saisies potentielles des investissements financiers. 

Sans surprise, les récentes sanctions internationales du G7 (et le gel de $300 milliards de la Banque de Russie) ont relancé le débat sur le besoin de dédollariser et de modifier la gouvernance monétaire internationale. L’offre d’or monétaire :  Les plus importants vendeurs au cours de ces dernières décennies sont l’Europe Occidentale (Suisse, France, Pays Bas, Grande Bretagne, Espagne, Portugal, Autriche et Allemagne), le FMI et la BCE. Les grands acheteurs sont la Russie, la Turquie, l’Inde, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, l’Arabie Saoudite, la Thaïlande la Pologne et le Mexique. 

L’or monétaire peut-il contribuer à dédollariser et éviter d’éventuelles sanctions internationales ? Avec l’ordre mon¬dial plus incer¬tain aujourd’hui, le débat est focalisé sur le besoin de dédollariser, d’élargir le rôle et accroitre le nombre de membres du groupe des BRICs (dont la taille économique actuelle est supérieure à celle de l’Union Européenne), de créer une monnaie commune et d’accroitre la part de l’or monétaire dans la composition de leurs réserves. Des mesures de protection naturelles mais ces initiatives demandent de la vision, du temps, de la persévérance et de la coopération internationale. Les données sur l’achat d’or en 2023 sont marquantes : En février 2023, les chats nets d’or monétaire ont atteint 125 tonnes, par rapport à 18 tonnes pour 2022. 

La Russie a acquis 2330 tonnes d’or (portant ses réserves d’or à 24 % des réserves internationales) ; la Chine a acheté 25 tonnes et dispose désormais de 2050 tonnes ; la Turquie a porté ses réserves officielles à 587 tonnes (33 % de ses réserves internationales) ; l’Ouzbékistan a augmenté ses réserves d’or à 393 tonnes (67 % des réserves totales) ; l’Autorité monétaire de Singapour a fait passer ses réserves d’or à 205 tonnes ; et l’Inde a repris ses achats en février 2023, portant ses réserves d’or à 790 tonnes mais leur part dans les réserves totales ont chuté à 8 %). Le combat pour un changement de gouvernance mondiale n’est pas nouveau et les obstacles à la dédollarisation sont aussi multiples que complexes : Entre acheter de l’or monétaire et assécher les principaux marchés, comme celui des matières premières, du dollar est un défi colossal qui implique de surmonter les obstacles ci-dessous :  

1. L’inertie de l’or monétaire : (i) l’or coûte cher à transporter, entreposer et sécuriser ; (ii) il est coûteux à utiliser pour conclure des transactions ; (iii) il ne porte pas d’intérêt ; (iii) il peut générer un rendement lorsqu’il est utilisé dans des swaps mais à condition de satisfaire aux obligations des banques agissant comme contreparties dans les opérations de prêt et d’échange de placer cet or en chambre forte à la Banque d’Angleterre, la Federal Reserve Bank of New York, ou auprès d’un dépositaire reconnu par l’une des principales bourses d’or, réintroduisant des risques de sanctions.

2. Les indices pétroliers et les contrats à terme financiers. La seule alternative crédible pour le moment est l’indice de référence du renminbi négo¬cié à la Bourse internationale de l’énergie de Shanghai (BIES). Toutefois, la part de marché de la BIES n’augmenterait que de 5% à 7%, y compris si l’Arabie Saoudite choisissait de fixer le prix de toutes leurs exportations de pétrole chinois en renminbi (l’Inde paie déjà la majeure partie de ses 44 millions de tonnes de brut russe en roupies). 

Il faudrait donc que le marché chinois devienne plus profond et plus liquide et réussisse à éloi¬gner les tra¬ders du Brent, pour ne garder que ceux qui ne souhaitent détenir uniquement du renminbi, qui n’est pas une monnaie de réserve librement négociée comme le dollar ou l’euro. Pour le moment, les données de la BRI montrent que la part du dollar dans les transactions globales sur le marché des changes est stable à environ 90%.

3. Les limites d’un éventuel yuan numérique : option qui pourrait permettre aux banques centrales de l’Est et du Sud du monde de servir de courtiers en devises pour les flux de devises intermédiaires entre les systèmes bancaires locaux, sans faire référence au dollar ni impliquer le système bancaire occidental. 

Cela suppose que la Chine : (i) renonce au contrôle étroit sur les flux de capitaux, la clé de voute de la gestion économique du pays ; et (ii) s’engage à ne jamais instrumentaliser le yuan numérique car il est encore plus facile de désactiver des monnaies numériques que de geler des investissements financiers et bloquer l’accès au réseau de paiement SWIFT.

4. L’intensification des échanges intra BRICs et alliés pour donner une base économique solide à une monnaie commune : La valeur des échanges intra BRICs est d’environ $1500 milliards par rapport à un commerce mondial de $22,000 milliards. 

Un effort colossal d’intensification des échanges entre les BRICs actuels et à venir implique des politiques publiques solides et ambitieuses permettant d’atteindre leur potentiel de croissance par le biais de réformes macroéconomiques et structurelles (ce qui permettra à l’Algérie d’apporter un plus à sa participation aux BRICs élargis). Cela suppose aussi un changement de gouvernance du système monétaire international. 

Un véritable cercle vicieux. Pour l’heure, le rôle international du dollar reste solide et reste en forte demande car c’est la devise de la plus grande économie du monde qui produit des biens et des services consommés globalement et dans le monde et dispose des marchés financiers les plus profonds, liquides et ouverts à travers le monde.  Le cas de l’Algérie : maintenir la politique de prudence en matière de gestion des réserves internationales pour disposer d’actifs liquides. 

Le secteur extérieur est fortement vulnérable en raison de son manque de diversification et de politiques publiques bien ciblées. La part du pétrole au niveau des exportations est de 90%. Les importations sont dominées par les produits alimentaires (27%) et les biens d’équipements (22,4 %). Un compte capital et financier (ce compte mesure les entrées de fonds dont peut bénéficier le pays) négatif ce qui signifie que le pays ne peut couvrir les déficits de son compte courant que par des tirages sur ses réserves internationales de change vu que le pays ne mobilise pas l’épargne étrangère. 

Ajoutons un partenariat commercial fortement concentré et la domination du dollar au niveau des exportations (97,7%) et importations (70,3%). A fin mars 2023, le pays disposait de 173,56 tonnes d’or d’une valeur de $264 millions et des réserves de change en devises étrangères de $66,14 milliards. Sur la base de ces considérations, il est souhaitable de préserver le statu quo en termes de structure des réserves internationales de change et de poursuivre la prudence actuelle dans leur gestion. 
 

Par Abdelrahmi Bessaha

Expert International

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