Entre les mouvements du dollar et l’appréciation du dinar algérien : Une réponse inadéquate au traitement de l’inflation en Algérie

11/02/2023 mis à jour: 23:13
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La valeur du dollar pourrait encore reculer au cours des premiers mois de 2023 avant de se stabiliser si les politiques des grandes banques centrales s’alignaient. Le dollar américain s’est fortement apprécié en 2022 en raison du resserrement de la politique monétaire par la Federal Reserve Bank des Etats-Unis (FED) à partir de février 2022 pour lutter contre l’inflation qui avait atteint son niveau le plus élevé depuis 40 ans. Pour de nombreux pays à travers le reste du monde, le dollar fort avait alors affaibli leurs monnaies, renchéri le coût de leurs importations, accéléré l’inflation et accru le poids de leurs dettes. Entamé à partir de décembre 2022, le recul de valeur du billet vert par rapport aux autres devises majeures (notamment l’euro, la livre sterling et le yen) s’est poursuivi en janvier et février 2023 en réaction à deux facteurs : (1) le ralentissement par la FED de son rythme d’accroissement des taux d’intérêt ; et (2) les augmentations des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne (BCE), la Banque d’Angleterre (BA) et un certain nombre d’autres banques centrales au niveau du G20. Les ajustements des taux d’intérêt décidés le 1er février par la FED, la BCE et la BA ont contribué à faire reculer de nouveau le dollar qui devrait toutefois se stabiliser au cours du second semestre de 2023. Pour ce qui est de l’Algérie, avec une faible intégration à l’économie mondiale et une structure des échanges commerciaux soldés en majeure partie en dollars (exportations et importations), la variation de la valeur du billet vert et le ralentissement de l’économie mondiale ont affecté et vont continuer d’impacter l’économie du pays qui devrait alors s’y prémunir en adaptant son mix macroéconomique et surtout en évitant l’appréciation du dinar algérien comme moyen de traitement de la crise du coût de la vie. Discutons de ces questions.

Le dollar en 2022 : absence de convergence des politiques monétaires, forte appréciation du billet vert et impact négatif sur le reste du monde.

Du 17 mars au 14 décembre 2022, la FED a : (1) progressivement relevé ses taux d’intérêt à court terme (le taux cible des fonds fédéraux), le faisant passer de 0% en janvier-février 2022 à 4,5% en décembre 2022 ; et (2) entamé le démantèlement du dispositif d’assouplissement monétaire. Ce resserrement agressif des conditions monétaires, combiné à des mesures structurelles pour réduire les coûts de production et des transports, y compris l’adoption d’une loi innovante (Inflation Reduction Act) ont permis : (1) une décélération de l’inflation qui est passée de 7,480% en janvier à un pic de 9,060 % en juin avant de chuter mois après mois à 6,54% en décembre ; et (2) une forte appréciation de plus de 12% du dollar (mesuré par le US Dollar Index (DXY), qui sert à calculer  la valeur du billet vert par rapport à un panier de devises largement utilisées dans le commerce international). Ce faisant, le risque de casser la croissance économique ne s’est pas matérialisé, la hausse du PIB ayant atteint 2,9%, tandis que le chômage reculait à 3,6%. En l’absence de coordination entre les banques centrales (une tentative a été effectuée en octobre 2022 sans succès), les autres grandes banques centrales et certains gouvernements du G20 lancèrent chacun en isolé un processus de hausse de leurs taux directeurs pour combattre l’inflation et faire face à l’appréciation du billet vert qui les pénalisait (hausse des dettes de nombreux pays et entreprises, renchérissement du coût des importations, accélération de l’inflation, pertes de réserves pour les banques centrales qui sont intervenues pour limiter la dépréciation de leur monnaie et ralentissement du commerce international).  Ces interventions non coordonnées ont permis de rattraper une partie de la perte de valeur de leurs propres devises par rapport au dollar et de ralentir la valeur de ce dernier à partir de décembre 2022.

La valeur du dollar devrait se stabiliser en 2023 à un niveau inférieur à celui de 2022. La dynamique qui avait contribué à la flambée du dollar l’année dernière s’est depuis inversée. La FED a désormais assoupli son rythme d’augmentation de son taux directeur sur fond de signe croissant de désinflation, d’alignement relatif des politiques monétaires des grands pays et de perspectives de croissance économique mondiale pour 2023 plus favorables que celles prévues il y a quelques mois. Alignement relatif des politiques monétaires et évaluations divergentes dans les trajectoires de la gestion de l’inflation. C’est dans un tel contexte que nous notons ce qui suit : (1) Atterrissage en douceur de l’économie américaine pour la FED. Avec une désinflation qui semble prendre corps, une forte baisse du chômage au niveau historique de 3,4% à fin janvier 2023 (qui remet ainsi en cause la courbe de Philipps qui considère une relation inverse entre inflation et emploi), la FED n’écarte plus un éventuel atterrissage en douceur de l’économie américaine (évitant une forte récession). C’est dans ce contexte que la FED a procédé le 1er février 2023 au huitième ajustement de son taux directeur de 0,25 points de pourcentage seulement, entrainant un recul additionnel du dollar (6% à fin janvier 2023). Pour le reste de l’année, la FED prévoit deux hausses modestes de 0,25 % en mars et mai, suivies d’une pause et de baisses graduelles de taux au cours du second semestre de l’année ; (2) Maintien du cap des augmentations de taux d’intérêt dans la zone euro. Toujours inquiète de la persistance de l’inflation, la BCE vient d’augmenter le 1er février son taux directeur de 0,5% (portant ainsi le taux à 2,5 %, un niveau restrictif) et compte entreprendre des nouvelles augmentations de 0,5% en mars et 0,25% au cours des mois suivants ; (3) Ralentissement du rythme d’ajustement des taux d’intérêt au Royaume-Uni qui avait adopté une approche agressive similaire à celle de la FED mais avec des résultats différents. Avec une inflation de 10,5% en janvier 2023, la Banque d’Angleterre, avait augmenté le 1er février son taux directeur de 0,5 points de pourcentage le portant ainsi à 4% par rapport à 0,1% à fin 2021, le taux le plus élevé depuis 2008 et considère une plus petite hausse en mars d’environ 0,25% ; et (4) Ouverture de l’économie et montée éventuelle de pressions inflationnistes en Chine. En l’absence d’inflation (le confinement a permis de limiter les prix qui ont évolué de 1% en 2022) et misant sur la consommation intérieure (secteur des services) pour tirer la croissance, la Chine se redresse plus tôt que prévu après la fin de son régime zéro Covid. Elle devrait contribuer à hauteur d’environ 40% à la croissance mondiale (20% pour l’Amérique et la zone euro combinées). Cependant, les retombées de la Chine sur le reste du monde seront limitées vu que les services en personne (sauf le tourisme et les voyages) ne sont pas échangeables. De plus, si des pressions inflationnistes venaient à surgir en cas de hausse de sa demande de matières premières, les banques centrales maintiendraient des taux d’intérêt plus élevés.

Les perspectives de croissance et d’inflation sont moins défavorables. Si la hausse des taux d’intérêt par les banques centrales et la guerre en Ukraine continuent de peser sur l’activité économique, en revanche le retour de la Chine a ouvert la voie à une reprise plus rapide que prévu. Pour le FMI, les nouvelles projections indiquent :

• Un ralentissement de la croissance mondiale : qui devrait passer d’environ 3,4% en 2022 à 2,9 % en 2023 puis remonter à 3,1% en 2024. Les prévisions pour 2023 sont inférieures de 0,9 point de pourcentage à l’historique (2000–19) moyenne de 3,8%.

• L’inflation mondiale persistera pendant quelques années vu son caractère structurel. Elle devrait passer de 8,8% en 2022 à 6,6% en 2023 et 4,3% en 2024, toujours au-dessus des niveaux d’avant la pandémie (2017-2019) d’environ 3,5%. Elle sera alimentée par la rigidité du marché du travail aux Etats-Unis, la guerre en Ukraine, le retour de la Chine sur la scène économique mondiale (avec de sévères contraintes structurelles), la poursuite des politiques de transition écologiques et les effets négatifs qu’une plus grande fragmentation géopolitique pourrait avoir sur l’activité économique. Le billet vert devrait se stabiliser (au vu des conditions actuelles et si les politiques monétaires convergent davantage). Le dollar a chuté de 6% entre novembre et décembre 2022 et de 1,4% en janvier et février 2023 contre une demi-douzaine de devises majeures, en raison du ralentissement par la FED de la hausse du taux directeur en décembre 2022 (0,5%) et en janvier 2023 (0,25%). Pour le reste de 2023, avec la FED faisant référence implicitement à deux hausses modestes de 0,25% en mars et mai, suivies d’une pause et de baisses graduelles de taux au cours du second semestre de l’année, le US Dollar Index devrait chuter légèrement pour passer de 103,7 en janvier à 103,3 en mars (-0,4%), puis glisser lentement à 103,0 (-0,35%) en juin, 102,7 (-0,32%) en septembre et clôturer à 102,6 (-1,07 sur 12 mois). Le taux de change euro/dollar devrait se stabiliser à environ 1,10 au cours du premier semestre avant de se situer à 1,08 au cours du second semestre (appréciation de l’euro de 1,8%).

L’Algérie face aux mouvements du dollar : besoin de réorienter la politique monétaire dans un cadre général de réformes macroéconomiques et structurelles.

Une appréciation mécanique du dinar algérien pour lutter contre l’inflation. Pour les autorités monétaires, les mouvements du dollar ont offert l’opportunité d’apprécier le dinar algérien afin de contrer les pressions inflationnistes. Au cours du premier semestre de 2022, la forte appréciation du dollar a entraîné une dépréciation du dinar de 7,7 %. A contrario, entre juillet et décembre 2022, le dinar s’est apprécié de 8% par rapport au dollar et s’est renforcé mécaniquement vis-à-vis de l’euro qui avait glissé vis-à-vis du billet vert. Ipso facto, cela avait favorisé une appréciation du taux de change nominal effectif (taux de change d’une monnaie donnée par rapport aux autres monnaies, pondérées en fonction de leur part dans les échanges du pays) et du taux de change effectif réel (tient compte, outre le taux de change, du rapport des prix à l’exportation avec les pays concurrents) de 11,6% et de 9,8%, respectivement. Par contrecoup, l’écart entre le taux de change officiel et le taux parallèle du dinar vis-à-vis du dollar a atteint 40%. Les limites de la politique d’appréciation du dinar algérien pour contenir les pressions inflationnistes : Pour les autorités monétaires, une appréciation du TCEN permettait de réduire les tensions inflationnistes (qu’elles considéraient liées essentiellement à des facteurs externes) ce qu’un resserrement de la politique monétaire ne pouvait réaliser vu son impact négatif sur la croissance post-Covid et la demande de crédit du secteur privé qui restait atone. Cette stratégie est inefficace car : (1) l’inflation en Algérie, pays pétrolier, est le résultat de : (i) facteurs macroéconomiques (la masse monétaire, les prix des biens importés et les prix du pétrole sont les moteurs de l’inflation à court terme tandis que la masse monétaire et le PIB réel non pétrolier sont de loin les facteurs clés des variations de prix à long terme) ; (ii) facteurs externes (taux de change, prix à l’importation) qui ne contribuent qu’à concurrence de 1/3 à l’inflation globale ; et (iii) structurels, y compris un écart entre la demande et l’offre, des circuits de distribution imparfaits (mouvements spéculatifs, pratiques déloyales, concentration, etc.) ; et (iv) des facteurs temporaires (sècheresse ou autres chocs exogènes) ; (2) les distorsions de prix qui répriment l’inflation, dont les subventions directes et indirectes et le régime des prix et des marges réglementés de certains produits et services; et (3) une perte de compétitivité extérieure pénalisant la politique de promotion des exportations. Nonobstant cette stratégie, l’inflation a atteint (selon le FMI) une moyenne de 9,3% en 2022, un niveau jamais atteint depuis 25 ans (7,2% en 2021). Cette inflation a touché la plupart des composants de l’indice des prix à la consommation, notamment les produits alimentaires qui ont doublé entre fin 2021 et fin 2022. Dans l’environnement incertain d’aujourd’hui, la lutte contre l’inflation et la crise du coût de la vie est une priorité pour 2023. Les autorités monétaires devraient écarter l’appréciation du dinar comme levier de désinflation qui n’est pas efficace. La désinflation passe par : (1) un mix macroéconomique visant à : (i) reprendre le contrôle de l’inflation (relèvement du taux directeur de la banque centrale, calibrer la gestion de la liquidité pour améliorer la transmission de la politique monétaire, renforcer la gouvernance de la BA) pour qu’elle puisse se concentre sur la stabilité des prix ; (ii) restaurer progressivement la viabilité des finances publiques avec la mise en place d’un cadre budgétaire à moyen terme et des réformes touchant les recettes, les dépenses courantes, les dépenses en capital et la diversification des sources de financement ; et (2) des politiques structurelles pour asseoir une croissance diversifiée et inclusive en s’appuyant sur : (i) un nouveau code des investissements et des lois relatives à l’auto-entreprenariat et aux énergies renouvelables afin de créer un environnement plus propice à l’activité du secteur privé : (ii) une plus grande ouverture commerciale ; (iii) un renforcement de la compétitivité, notamment par le biais de réformes des marchés des produits et du travail ; et (iv) un  renforcement de la  gouvernance, y compris une meilleure disponibilité des statiques macroéconomiques.

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