Entre effusion et réalité : Quel impact aura l’élargissement récent des BRICS sur la gouvernance mondiale ?

28/08/2023 mis à jour: 05:11
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Le groupe des BRICS vient de décider son élargissement, ce qui pose désormais la question de son influence réelle à venir du fait des divergences majeures entre les pays membres.

Les BRICS sont devenus depuis quelques années l’objet d’une grande attention de la part de nombreux pays non occidentaux pour deux raisons : (1) la fragmentation du monde unipolaire actuel résultant du conflit ukrainien, des sanctions internationales frappant la Russie et de la stature internationale de deux de ses pays membres (Chine et Russie) et (2) le besoin renouvelé de faire partie d’un ensemble économique et géographique qui défend davantage leurs intérêts.

A l’occasion de son dernier sommet tenu les 22,23 et 24 août 2023 en Afrique du Sud, décision a été prise d’inclure six nouveaux pays. La question fondamentale est donc de savoir si ce nouveau groupe élargi va désormais pouvoir, vu les nombreuses divergences entre ses pays membres, mener des actions cohérentes, se fixer des objectifs communs et pouvoir peser sur la gouvernance mondiale à terme. Pour ce qui est de l’Algérie, sa candidature n’a pas été retenue.

Il n’y a pas lieu de s’appesantir sur cela et cela ne change en rien le fait que BRICS ou pas BRICS, l’intérêt stratégique du pays et son besoin fondamental de s’éloigner du système unipolaire actuel inéquitable sur les plans politique et économique peuvent être réconciliés autour d’un objectif de refondation de son modèle économique et social. Pour ce faire, le pays gagnerait à se doter : (1) d’une vision à long terme, autour de laquelle s’articuleraient des stratégies décennales qui serviraient de base à des plans d’action destinés à construire une nouvelle économie diversifiée, inclusive et prospère, et (2) d’une capacite technique et administrative en appui du nouveau projet économique et social. Discutons de ces questions fondamentales.

Les origines des BRICS : Le concept de BRIC a été introduit en 2001 par Jim O’Neill, économiste en chef chez Goldman Sachs (et plus tard secrétaire au Trésor dans le gouvernement britannique de David Cameron). Dans son article-phare intitulé «Building Better Global Economic BRICS» publié alors en plein essor de la mondialisation et surtout de l’essoufflement des marges de croissance des pays avancés, Jim O’Neill en sa qualité de banquier international : (1) identifiait quatre pays (Brésil, Russie, Inde et Chine) comme ceux qui disposaient de marges importantes de croissance économique et de développement et (2) spéculait qu’à terme, vu qu’ils représentaient près de la moitié de la population mondiale, il était souhaitable qu’ils puissent collectivement peser sur la gouvernance économique mondiale, notamment au niveau du G7 et des institutions de Bretton Woods. En aucun cas, Jim O’Neill ne pensait à la formation d’un nouveau groupe à caractère politique vu les fortes divergences existant entre ces quatre puissances.

Le chemin parcouru par les BRICS depuis 2001

Sur le plan institutionnel : Après une rencontre informelle en 2006 en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies, les dirigeants des BRICS se retrouvèrent de façon formelle à Ekaterinbourg (Russie) en 2009 pour mettre en place un cadre institutionnel devant porter leurs ambitions économiques et géostratégiques. Des sommets annuels subséquents ont permis de lancer de gros projets d’infrastructure domestiques et transnationaux. A partir de 2011, au vu de performances remarquables, l’Afrique du Sud rejoignait ce groupe de pays qui devenait ainsi les BRICS (le «s» représentant désormais ce cinquième membre).

Sur le plan financier : Lors de leur 6ème sommet tenu le 15 juillet 2014 à Fortaleza (Brésil), le groupe des BRICS crée la banque de développement des BRICS avec un capital initial de $100 milliards et un siège social à Shangaï (révélant déjà la toute-puissance chinoise). Cette institution bancaire a porté, entre autres, des projets-phares en termes développement durable et intelligent. Parmi ces derniers, citons :  (1) le rétablissement de la ceinture économique de la route de la soie à travers l’Europe, l’Asie et l’Afrique conduit par la Chine, (2) le projet de développement de 100 villes intelligentes connectées par des trains à grande vitesse de l’Inde, (3) le projet visant à transformer l’Extrême-Orient russe en un nouveau pont économique entre l’Europe et l’Asie grâce au développement de zones économiques spéciales avancées  et (4) le projet d’expansion de l’agriculture industrielle à grande échelle au  Brésil et en Afrique du Sud.

Sur le plan économique : A fin 2022, les BRICS représentaient 44 % de la population mondiale actuelle (44 % en 2000) et 25 % du PIB mondial (8,1 % en 2000) et 25 % des flux d’investissements directs étrangers au niveau mondial (5 % en 2000). Un bloc puissant économiquement parlant. Pris individuellement, notons le développement spectaculaire de la Chine avec un PIB de $18,100 milliards ($1211 milliards en 2000), suivi de l’Inde dont le PIB est de $3500 milliards ($468 milliards en 2000) et de la Russie avec un PIB de $2240 milliards ($260 milliards en 2000). Les échanges commerciaux entre les pays des BRICS ont quadruplé, passant de $10,4 milliards en 2006 à $45 milliards en 2022.

Ces avancées économiques sont le résultat direct de réformes structurelles importantes qui ont permis aux BRICS de s’ancrer fortement à l’économie mondiale. Deux remarques importantes : (1) nonobstant ces avancées et le rattrapage effectué en 20 ans, le niveau de développement des BRICS est encore très loin de celui des pays riches de l’OCDE en termes de PIB par habitant, et (2) des taux de croissance élevés dans le passé, notamment en Chine et en Inde (7-8% en termes réels) n’ont pas éliminé les inégalités régionales et la disparité des revenus, notamment entre les zones urbaines et rurales. La situation en Afrique du Sud et au Brésil et en Russie est encore plus marquée.

Sur le plan de la gouvernance économique mondiale : En 2014, le monde se demandait si l’émergence d’un nouvel acteur institutionnel dans le paysage des prêts internationaux et du développement allait devenir un véhicule de promotion des valeurs/normes non occidentales et offrir une alternative aux institutions de Bretton Woods longtemps dominées par les États-Unis. Des questions légitimes dans le contexte de l’époque marqué par une crise financière profonde (due aux excès de la financiarisation) qui avaient affaibli un moment le système financier international.

Mais les BRICS ont subi un échec total pour ce qui est de leurs aspirations sur le type de multilatéralisme et des changements dans l’économie politique mondiale. Pourquoi ? Si les BRICS ont renforcé leur poids économique, ce dernier demeure toutefois relatif par rapport à l’OCDE et ils n’ont pas su surmonter leurs divergences et se donner le poids politique nécessaire pour peser sur la gouvernance mondiale. De plus, il y eut très peu de coordination politique pour dynamiser le G20 comme levier de changement de la gouvernance mondiale.

L’élargissement des BRICs : analyse et perspectives

Le récent sommet a retenu, sur près de 40 pays, les candidatures de 6 nations, notamment l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Ils deviendront membres à part entière à partir du 1er janvier 2024.

Point 1 : l’absence de clarté dans le choix de nouveaux membres. Il est clair que la décision de rajouter les six nouveaux membres susmentionnés ne semble pas avoir été prise sur la base de critères objectifs clairs, encore moins économiques. Trois cas pour souligner cela : (1) pourquoi le cas de l’Indonésie n’a-t-il pas été discuté ? (2) Pourquoi avoir retenu l’Argentine (en plein marasme économique) et non pas le Mexique (qui dispose de meilleures performances) et (3) pourquoi l’Ethiopie (un pays dont le PIB est de $126 milliards et non le Nigeria (avec un PIB de $477 milliards et gros producteur d’énergie) ?

Point 2 : l’attrait actuel pour les BRICS. Il est fort et reflète les fortes tensions géostratégiques, la fragmentation géoéconomique et la monopolisation continue par les puissances occidentales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale de la gouvernance mondiale, notamment au niveau des institutions multilatérales en dépit des énormes changements économiques et politiques intervenus depuis. Une telle gouvernance exclut totalement les pays émergents et les pays en voie de développement (soit près des 2/3 des 190 pays de la planète).

Point 3 :  le nouveau groupe a un poids plus important que celui du G7. Le groupe élargi des BRICS pèse désormais, en termes de parité de pouvoir d’achat, légèrement plus que le G7. En dollars courants, la taille économique du groupe reste inférieure à celle des économies avancées.

Point 4 : le renforcement de la Chine. Cette dernière est désormais la seconde économie mondiale avec un PIB de $18100 milliards (deux fois supérieur en termes nominaux à ceux du Japon et de l’Allemagne, soit $9681 milliards) et environ 71 % de celui des États-Unis. Ajoutons à cela les performances de l’Inde qui est en phase de croissance rapide (environ 8% entre 2021 et 2022) et pourrait devenir la troisième économie mondiale d’ici 2030.

A contrario, les performances des autres membres (Russie, Brésil et Afrique du Sud) sont plus ou moins en dessous des attentes : (1) les parts du Brésil et de la Russie dans le PIB mondial ont stagné par rapport à 2001 et (2) l’économie de l’Afrique du Sud est affaiblie par des contraintes structurelles majeures et se trouve distancée par le Nigéria (dont la candidature n’a pas été retenue). Ceci étant, certains pays du G7 (Italie et Japon) n’ont enregistré pratiquement aucune croissance depuis de nombreuses années, et le Royaume-Uni est également en grande difficulté.

Point 5 : les faiblesses structurelles des BRICS : Citons notamment :  (1) un faisceau de divergences en termes politiques (démocraties et des autocraties théoriques), de structure économique (importateurs et exportateurs de produits de base) et des visions économiques et politiques fondamentalement différentes : (2) les relations tendues entre les grands pays fondateurs des BRICS, à savoir l’Inde et la Chine du fait des conflits dans le sous-continent indien et autour de la frontière du Ladakh et de la méfiance de l’Inde vis-à-vis de la technologie chinoise ; (3) l’absence de consensus sur des critères d’adhésion au nouveau du groupe et (4) le financement des institutions nouvelles devant porter l’action du nouveau groupe.

A l’exception des Emirats arabes unis et dans une certaine mesure de l’Arabie Saoudite, les autres pays membres font face à des difficultés financières qui pourraient affaiblir leurs ambitions. Il est donc vital que le nouveau groupe définisse des objectifs communs et se dote de moyens financiers adéquats.

Point 6 : le besoin de coopération internationale entre tous les groupes en présence, ce qui pourrait influencer la nature de la gouvernance mondiale à terme : (1) Deux pays sont dominants : (i) la Chine (deux fois plus puissante grande que tous les autres pays réunis des BRICS) et (ii) les États-Unis (plus grands que le reste du G7 réuni). De ce fait, les deux pays ont besoin de coopérer à cet effet en qualité d’égaux pour faire face aux défis mondiaux ; et (2) un G20 redynamisé et remodelé (notamment avec d’autres membres) demeure le meilleur forum pour aborder des défis mondiaux, notamment la croissance économique, le commerce international, le changement climatique et la prévention des pandémies. Le partage de la gouvernance mondiale n’est pas pour aujourd’hui.

Point 7 : la domination du dollar américain. La dépendance du monde vis-à-vis du dollar et, en dernier ressort, la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine n’est pas saine et est asymétrique. L’euro aurait pu atténuer la domination du dollar pour peu que les pays de la zone euro aient accepté de permettre à leurs instruments financiers d’être suffisamment liquides et importants pour attirer le reste du monde. De même, si la Chine et l’Inde – membres des BRICS – avaient mis en place des réformes financières, ces pays auraient permis à leurs monnaies de devenir des monnaies internationales. Pour l’heure, la priorité pour les BRICS est de renforcer les relations commerciales et économiques entre les différents membres et non de challenger le dollar. Un tel objectif demandera beaucoup de temps.

Le cas de l’Algérie : Il n’est point utile de s’appesantir sur le rejet de la candidature du pays (débat stérile) car la priorité stratégique est de construire un nouveau modèle économique et social inclusif et prospère. Le pays a les moyens de le faire. En attendant, il est important que le pays se focalise sur :

1. La poursuite de sa longue tradition d’une diplomatie en faveur d’une gouvernance économique mondiale équitable, d’un transfert de ressources aux pays en développement et d’un renforcement des échanges commerciaux sud-sud. Ces thèmes ont été au centre du discours historique prononcé le 10 avril 1974 à la tribune de l’ONU par le défunt président Boumediène.

2. Créer une nouvelle dynamique économique en appui d’une trajectoire en direction du statut de pays émergent. Pour ce faire, le pays doit se doter d’une stratégie de développement à long terme et créer une économie forte et indépendante en entamant d’ores et déjà un plan ambitieux de réformes structurelles pour une insertion productive au sein de l’économie mondiale. Dans le monde actuel, les poids économiques des pays sont les déterminants principaux de la place d’un pays sur l’échiquier mondial et de la voix qu’il peut porter. L’Algérie doit réussir ce pari. 

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