Enquête sur l’affaissement des deux barrages de Derna : Arrestation de huit responsables en charge des barrages et des eaux

27/09/2023 mis à jour: 07:56
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Pression citoyenne derrière l’enquête sur les raisons de l’affaissement des deux ponts de Derna

Le procureur général de Libye, Seddik Essour, n’y est pas allé de mainmorte dans l’examen du dossier de négligence dans la maintenance des deux barrages de Derna, surtout que des fonds ont été mobilisés et débloqués. Il a suffi que l’enquête préliminaire soit finalisée et que le procureur ait entendu les prévenus soupçonnés de négligence qu’il a systématiquement ordonné l’arrestation préventive de huit prévenus parmi les seize personnalités interrogées.

 «Tous ceux qui ont validé l’un des documents du dossier de l’entretien des barrages sont responsables d’une manière ou d’une autre de cette catastrophe, à des degrés, certes, différents», souligne le juge Jamel Bennour qui insiste sur l’ampleur des conséquences.

«Le procureur général de Libye ne peut pas omettre que des milliers de morts et de disparus ainsi que plusieurs milliards de dollars US de dégâts ont fait suite à cet affaissement des ponts, conséquence de la négligence de ces responsables. Il n’y avait pas d’alternative à l’arrestation préventive pour préserver un minimum de crédibilité à l’affaire», explique le juge.

La liste des arrestations comprend l’actuel président du comité des ressources hydrauliques et son prédécesseur, le responsable de la direction des barrages et son prédécesseur, le chef de service d’exécution des projets de barrages, le chef de service des barrages dans l’Est libyen, le chef de bureau des ressources hydrauliques à Derna ainsi que le maire de la ville.

L’enquête préliminaire ayant révélé que «les prévenus du comité des ressources hydrauliques n’ont pas géré comme il se doit leurs tâches administratives et financières ; leurs erreurs et manquements dans la mise en place des moyens de prévention des risques ont contribué à la catastrophe humaine et les grandes pertes économiques», selon le juge Bennour.  

Quant au maire de Derna, il n’a pas présenté ce qui l’éloigne des accusations de l’abus de pouvoir et le détournement des objectifs du mandat de gestion des fonds alloués à la reconstruction de la ville de Derna et son développement’, selon le rapport de l’enquête préliminaire publié sur la page Facebook du bureau du procureur général.

Le même rapport a également révélé que l’enquête a montré que les responsables des ressources hydrauliques ont alloué, en 2014, des fonds à la société turque Arçyl, alors que cette dernière n’a pas finalisé les travaux d’entretien stipulés par le contrat et qu’il y avait inadéquation entre les tâches réalisées et les montants débloqués.

Responsabilisation

Passés donc les moments de détresse générale et place à la reddition des comptes pour apaiser les esprits à Derna et ailleurs dans l’Est libyen. Des enquêtes ont été ouvertes.

Ainsi, outre les affaires ordonnées par le parquet, la Cour des comptes a également procédé à la révision des dossiers des deux barrages de Derna.

Son examen a révélé que les premiers accords validés pour l’entretien des deux barrages remontent à la période 2007-2009 et que les fonds alloués ont été débloqués sans la moindre réserve de la Cour.

Il est également à souligner que le dernier rapport de la Cour des comptes a relevé la programmation des montants de 2,28 millions d’euros pour l’entretien des barrages de Derna et de 1,32 million de dollars, en 2e partie, pour le rassemblement des eaux. 

La Cour des comptes a, par ailleurs, recommandé de charger un bureau d’expertise internationale d’examiner la liaison de cause à effet entre l’absence d’entretien et leur affaissement.

L’ouverture de cette enquête et l’arrestation préventive des prévenus s’explique, certes, par l’ampleur de la catastrophe humaine avec des milliers de morts et de disparus.

Elle s’explique aussi par l’existence d’une étude réalisée l’année dernière par l’expert libyen en sciences des eaux, Abdelwanis Achour, de l’université Omar El Mokhtar à Derna, qui a averti aux risques découlant des crues de l’Oued Derna et recommandé des travaux urgents d’entretien des barrages.

Les divers responsables des secteurs des eaux et des barrages ne pouvaient pas ignorer ces avertissements et ces recommandations récentes. 

Et pourtant, ils ont laissé passer malgré l’obtention et l’attribution des fonds. «Le procureur général aurait pu fermer les yeux sur les écarts mais pas sur ces milliers de morts», selon le juge Jamel Bennour. C’est un premier pas dans la reddition des comptes en Libye.

D’autres dossiers pourraient suivre.

3868 décès identifiés et 36 000 sans-abri, jusque-là dans l’Est libyen

Mohamed El Jareh, président du Haut comité des secours a indiqué avant-hier en fin de journée que 3868 personnes ont été jusque-là identifiés et enterrées comme des victimes de la tempête Daniel à Derna. El Jareh a indiqué que huit équipes internationales continuent à prêter main-forte aux Libyens pour les secours. Il s’agit d’Algériens, Turcs, Egyptiens, Emiratis, Français, Italiens, Russes et Européens de l’UE. Le rapport de l’Organisation internationale de la migration (OIM), publié la semaine dernière, a indiqué que le passage sur l’Est libyen de la tempête Daniel, dans la nuit du 10 au 11 septembre, a laissé 36 000 sans-abri, répartis entre 30 000 à Derna, 3000 à El Baïdha, 1000 à Nkhili et un peu plus de 2000 à Benghazi, selon ses recensements. La commission technique de recensement des dégâts a indiqué que 30 kilomètres de voies goudronnées se sont effondrés sur le réseau routier dans la ville de Derna. Le service des ponts et chaussées a, pour sa part, indiqué que cinq ponts ont été emportés par la tempête Daniel et les vagues de boue provoquées par l’effondrement des deux barrages de Derna. Par ailleurs, 90 hectares sont carrément devenus des marécages.  

Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami

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