En réaction à une séquence du feuilleton El Dama : La télévision publique interpelée par l’ARAV

01/04/2023 mis à jour: 03:33
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Une séquence du feuilleton à succès El Dama, montrant vaguement en arrière-plan le sigle MAK – organisation séparatiste classée terroriste – tagué sur un mur du marché de Bab El Oued, à Alger, a fait réagir jeudi l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV). L’ARAV a, dix jours après la diffusion de la séquence en question, invité la télévision publique à «apporter des éclaircissements concernant une scène du feuilleton El Dama montrant le mur d’un marché à Alger sur lequel est écrit le nom d’un mouvement séparatiste classé terroriste», indique un communiqué de l’Autorité de régulation. 

Celle-ci a précisé avoir «enregistré, en visionnant un programme de la télévision publique, en l’occurrence le feuilleton El Dama, dans son premier épisode, à la 19e minute 45 secondes, une scène montrant un mur au niveau d’un marché à Bab El Oued sur lequel est écrit le nom d’un mouvement séparatiste (…)». 

L’ARAV a affirmé avoir «saisi la télévision publique pour demander des éclaircissements à ce sujet et prendra les mesures nécessaires à la lumière des éclaircissements fournis par l’EPTV (télévision algérienne, ndlr)». 

Le jour même où le communiqué est diffusé, le réalisateur du feuilleton, Yahia Mouzahem, ne tarde pas à apporter des éléments de réponse à une «affaire» qui se joue essentiellement sur les réseaux sociaux. 

Promptement, il s’est déplacé sur le lieu du tournage, smartphone à la main, filmant les murs tagués du marché et donnant la parole aux habitants du quartier. Il publie, jeudi dans l’après-midi, une vidéo de plus de 2 minutes sur Instagram dans laquelle il déclare, de prime abord, s’«opposer à tout mouvement sécessionniste ciblant l’unité territoriale du pays». 

Une mise au point nécessaire du réalisateur lorsque l’on connaît l’empressement de certaines pages Facebook qui se permettent de coller des étiquettes et apprécier le patriotisme des uns et des autres sans qu’aucune autorité n’intervienne.

Expliquant que le drame social El Dama est d’abord un travail de création, le réalisateur a surtout préféré donner la parole aux habitants du quartier. Ils ont, tous, estimé que cette histoire de graffiti «devrait être ramenée à sa juste mesure». «Il s’agit de graffitis qui remontent à plus de 3 ans. C’est l’œuvre d’enfants du quartier qui passent leur temps à taguer les murs», déclare un jeune homme devant la caméra. «Ici, le MAK n’existe pas. E’dawla (les services de sécurité, ndlr) le sait et connaît tout le monde à Bab El Oued, un à un», note l’un de ses voisins. «Le MAK à Bab El Oued ? Makanch menha (ça n’existe pas)», tranche un autre, coiffé d’une chechia noire. 

Plus concrètement, El Dama est la série la plus regardée par les Algériens depuis le début du Ramadhan 2023. Un feuilleton réussi, puisque le public algérien souscrit aux différentes plateformes pour le visionner. Et, c’est essentiellement sur YouTube qu’on peut mesurer la popularité de ce feuilleton qui traite du phénomène de la drogue dans un quartier populaire.

 Chiffres à l’appui, le premier épisode a recueilli 7,4 millions de vues sur YouTube, le second et le troisième plus de 5 millions, le quatrième 4,9 millions et le cinquième 5,1 millions, a-t-on pu vérifier sur le service d’hébergement de vidéos de Google. El Dama est déjà une réussite éclatante puisqu’il cumule plus de 35 millions de vues en moins de dix jours. Le feuilleton est un succès télé grâce aux performances d’une pléiade d’acteurs, à l’instar de Beyouna, Boualem Bennani, Rym Takoucht, Mustapha Laribi… 

Mais au-delà de la polémique suscitée par un sigle vaguement perçu au premier jour du mois de jeûne, c’est cette récurrence d’attaques contre des fictions algériennes auxquelles on reproche le fait d’altérer les «valeurs de la société algérienne» qui pose problème. Cinéastes, comédiens, metteurs en scène ont d’ailleurs souvent alerté sur le rôle de nombreux «influenceurs» et «trolls» évoluant sur les réseaux sociaux et qui se prennent pour les gardiens de la morale. «Lorsque vous vous intéressez de près à ces pages qui, à longueur de journée, prétendent défendre les valeurs de la société algérienne, vous allez remarquer qu’il s’agit de nébuleuses dont l’action est parfaitement coordonnée», avait déclaré à El Watan, en 2022, Abdelkader Djeriou. 

Lui aussi a eu droit, indirectement, à un rappel à l’ordre de l’ARAV suite à des «dépassements attentatoires à la sacralité du Ramadhan» pour son feuilleton Babour Ellouh. Le communiqué diffusé à l’époque par l’APS faisait état de «plaintes» et d'«informations relayées sur les réseaux sociaux concernant des dépassements». «C’est presque des tracts qui reviennent tout le temps sur les réseaux sociaux. 

Ils sont inspirés par une tendance politico-religieuse extrémiste qui cherche clairement à replonger le pays dans les ténèbres», avait souligné Djeriou. «Pourtant, lorsqu’il s’agit de programmes étrangers – au cours de l’année des programmes turcs sont diffusés avec des scènes bien plus osées – cela ne semble susciter aucune réaction des gardiens de la morale toujours à l’affût du haut des maquis du Net», a-t-il ajouté.  

Bouslimani à l’APN : «L’ARAV veille à la conformité des programmes télé»

Le ministre de la Communication, Mohamed Bouslimani, a affirmé jeudi, lors d’une plénière consacrée aux questions orales à l’APN, que l’ARAV veillait à ce que les programmes diffusés par les différents médias soient «conformes» et «respectent la déontologie et les spécificités de la société algérienne». Il a ajouté, dans une déclaration reprise par l’APS, que l’Autorité de régulation «veille au respect de la conformité de tout programme, quel que soit le moyen de sa diffusion, aux lois en vigueur dans le but de promouvoir et de réguler le paysage médiatique conformément à la déontologie». Il a rappelé, dans ce sens, que la loi organique relative à l’information, récemment adoptée par les députés, «a conféré à l’ARAV un caractère spécial en élargissant ses missions à la régulation et au contrôle des services de la communication audiovisuelle et même sur internet». Il a par ailleurs indiqué que le ministère de la Communication a mis en place une «cellule de suivi de la qualité des programmes diffusés au cours de ce mois, pour renforcer la mission de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV)», mettant en garde qu’en cas «de non-respect de la loi, le ministère n’hésitera pas à agir». 

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