Éleveurs de Tizi Ouzou : La production artisanale des fromages en plein essor

15/03/2022 mis à jour: 04:06
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Fabrication de fromage artisanal - Le fromager Rachid Ibersiene a ouvert, en 2010, une fabrique artisanale après une formation effectuée en Suisse / Photos : El Watan

Plusieurs familles investissent dans la production artisanale  de fromage dans la wilaya de Tizi Ouzou. De petites exploitations ont été créées, notamment par des éleveurs qui assuraient, dans un premier temps, l’autoconsommation au niveau local, et ce, avant de voir leurs produits convoités par des citoyens des quatre coins du pays.

«Le fromage traditionnel est préféré parce qu’il est fabriqué à la main et avec beaucoup d’attention. Son goût est également très spécial», nous confie un éleveur de la région de Timizart où l’élevage de vaches, par son importance numérique et son rôle socioéconomique, occupe une place de choix au sein des systèmes de production agricole dans cette localité qui accueille la Fête du lait.

Celle-ci est organisée au village Imaloussene, une bourgade de tradition laitière. Non loin de là, à Tamassit, dans la commune d’Aghribs, le fromager Rachid Ibersiene a ouvert, en 2010, une fabrique artisanale après une formation effectuée en Suisse. «Nous avons eu un début très difficile, car il fallait ramener des équipements qui coûtaient très cher.

Nous avons, d’ailleurs, eu du mal à avoir l’agrément sanitaire pour le contrôle de qualité. Les débuts étaient timides», nous a expliqué M. Ibersiene, tout en précisant que son unité, qui fonctionne, dit-il, avec cinq éléments, travaille avec les normes exigées par la direction des services agricoles. «Nous travaillons avec une technique suisse pour la fabrication de notre fromage, qui est prisé même par les institutions et les représentations diplomatiques à Alger.

En un mot, il est surtout demandé par les connaisseurs du fromage. D’ailleurs, il y a huit ambassadeurs qui sont venus à Tamassit pour visiter notre entreprise. A partir de là, notre produit s’est fait largement connaître», ajoute cet artisan qui fabrique, entre autres, le vacherin fribourgeois (pour raclettes et fondues), reblochon, emmental, gruyère, parmesan préparés avec du lait de vache frais.

Notre interlocuteur estime que le fromager artisanal est un métier technique, surtout si l’on choisit le bio et les ferments naturels. Toutefois, il déplore le manque de la matière première qui demeure un véritable problème qui freine notamment le projet d’extension de cette fabrique artisanale.

Le fromager artisanal, un métier technique

«Le produit a réussi aussi à s’imposer car il est fait à base de lait de vache. Ces derniers temps, les gens reviennent de plus en plus aux sources, car ils sont submergés par de faux fromages faits à base d’huile de palme et de poudre de lait. Nous avons un projet de développement avec des partenaires nationaux et étrangers pour augmenter la qualité et diminuer le coût. Je travaille avec un partenaire d’Om El Bouaghi qui a une nouvelle approche dans l’alimentation de bétail», nous a-t-il précisé.

Mohammed Senhadj, qui a une certaine expérience dans le montage de projets dans l’agriculture de montagne, nous a également indiqué, à ce sujet, que l’élevage ovin et caprin connaît des difficultés dans l’alimentation de bétail. Donc, il faut aller vers une valeur ajoutée, a-t-il préconisé.

«Durant les années 2000, une association, Adpal d’Ath Yenni, avait initié des formations sur le fromage. L’association Touiza solidarité de Marseille et AJE de Tizi Ouzou ont pris le relais quelques années plus tard pour assurer des formations dans la commune de Boghni. Aujourd’hui, beaucoup de fromagers sont devenus des formateurs», nous a-t-il souligné. Ainsi, le fromage occupe aujourd’hui  une place de choix au sein des systèmes de production agricole dans les zones montagneuses.

L’autre exemple de réussite dans le domaine est le travail d’un couple qui a abouti à la mise en place d’une unité dans le village Aït Abderrahmane, situé au sommet de la montagne surplombant le chef-lieu de la daïra de Ouacif. Il s’agit de Arezki Aït Abdelmalek et son épouse Fahima, qui ont mis en place un projet dans le cadre d’un partenariat avec l’Association migration, solidarité et échanges pour le développement (Amsed), basée à Strasbourg et qui intervient beaucoup avec le mouvement associatif local.

Des stages en Alsace

«Nous travaillons en famille dans ma transformation de lait en fromages fermiers, et ce, à travers plusieurs étapes, comme  la coagulation, l’égouttage et l’affinage. Il faut surtout veiller à ce que l’hygiène soit irréprochable», a déclaré à la presse Mme Aït Abdelmalek qui souligne, en outre, que le produit fabriqué dans son unité est à base de ferments naturels (les fromages blancs et durs) pour donner un sens d’affinage particulier.

C’est un véritable travail d’experts du goût. Le savoir-faire de ce couple et ses connaissances lui permettent de connaître toutes les spécificités de ce produit qui est commercialisé à travers différentes wilayas du pays.

D’ailleurs, pour maintenir cette activité et encourager d’autres personnes à investir dans ce créneau, M. Abdelmalek assure des formations à des groupes de personnes voulant s’initier à cette pratique artisanale qui gagne de plus en plus de terrain dans la région. Il y a même des travaux de recherche réalisés par des étudiants de l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou pour étudier notamment l’impact de cette activité sur l’agriculture de montagne.

Dans le village Ihassenaouen, sur les hauteurs de la commune de Tizi Ouzou, il y a aussi une famille qui s’est lancée dans la fabrication de ce produit. Après une formation au niveau de l’Itmas, Institut de technologie et moyens agricoles spécialisé, de Boukhalfa, Mme Amari et son mari, qui a travaillé plus de sept ans dans le domaine, ont investi dans la production du fromage de chèvre. Ils ont commencé avec cinq têtes avant de passer à la fabrication selon les techniques traditionnelles.

Notons que les structures de production des fromages artisanaux créées dans la wilaya de Tizi Ouzou sont souvent petites (entre 1 et 10 personnes maximum) mais le produit fabriqué est toujours convoité. Par ailleurs, il est utile de souligner l’apport de l’Amsed de Strasbourg dans cette dynamique affichée par des habitants des zones montagneuses pour l’activité de transformation du lait en fromage.

D’ailleurs, pour rappel, plusieurs formations ont été assurées dans ce sens par des experts au profit des éleveurs ainsi que des étudiants en agronomie de la wilaya de Tizi Ouzou. Ces stages ont été axés sur les conditions d’habitat (propreté, aération) et le maintien du troupeau.

Certains ont même bénéficié de stages en Alsace. «Lors de ces séances techniques, les formateurs ont souvent  insisté sur l’hygiène parce que le lait est un aliment qui contient beaucoup de bactéries. Il est aussi facilement périssable. Le fromage fermier ne possède pas d’intrants chimiques. Il est constitué uniquement de produits naturels bio», nous a confié un adhérent de l’ Association pour la promotion de l’agriculture de montagne (APAM).

Aussi, dans le cadre d’un projet financé par la Commission européenne, l’Amsed a déjà organisé, au siège de  l’APW de Tizi Ouzou, des séminaires sur la migration et le développement dans le pays d’origine. Le but de ces rencontres est d’accompagner les habitants des localités rurales afin de leur donner un outil pour créer leurs propres micro-entreprises de fabrication de fromage artisanal ou unité d’élevage, génératrices de revenus, en exploitant les ressources disponibles.

Il s’agit aussi de valoriser le produit et optimiser les capacités techniques des transformateurs. Depuis, nous avons remarqué un vif intérêt manifesté par les citoyens de la wilaya de Tizi Ouzou pour la fromagerie et la promotion de l’artisanat local tant la région recèle des potentialités énormes dans le domaine du tourisme, de l’agriculture et de l’élevage de montagne. 

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