Qui remportera la présidentielle américaine, la vice-présidente démocrate Kamala Harris ou l’ancien chef d’Etat républicain Donald Trump ? Quelque 244 millions d'Américains sont appelés hier pour trancher sur cette question, dont plus de 80 millions ont déjà voté par anticipation, soit par correspondance ou en personne.
Outre le choix du successeur à Joe Biden, ils sont également amenés à voter pour des membres du Congrès. Aux Etats-Unis, les élections de mi-mandats, les «mid-terms», ont lieu tous les deux ans. A cette occasion, la Chambre des représentants est renouvelée dans son intégralité, soit 435 sièges, ainsi qu’un tiers du Sénat (qui compte 100 membres, deux par Etat).
Diverses élections locales sont aussi organisées en cette même journée : des élections municipales, pour les Chambres législatives des Etats, les gouverneurs, ou encore des juges. Dans certains Etats, les électeurs pourront aussi se prononcer sur des référendums au niveau local.
Dans un message sur les réseaux sociaux, la démocrate, qui pourrait devenir la première femme à diriger la première puissance mondiale, a appelé à «ouvrir le prochain chapitre de la plus grande histoire jamais relatée». «Nous votons car nous aimons notre pays et nous croyons dans les promesses de l’Amérique», a-t-elle écrit.
De son côté, le républicain a publié une vidéo avec des images de migrants déferlant sur la frontière ou de délinquants armés, en contraste avec des ouvriers, mineurs, policiers ou militants de ses meetings. «On nous demande d’accepter la situation comme elle est. Et nous nous demandons si l’Amérique peut faire son retour. Nous le pouvons», a-t-il indiqué. Et d’ajouter : «Quand nous sommes mis à terre, nous n’y restons pas, nous nous relevons et nous combattons.»
L’élection se déroule au moment où la société américaine est rarement aussi fracturée. Entre autres indices de cette polarisation, les partisans du droit à l’avortement contre les défenseurs du droit à la vie, les pro-armes face aux anti-armes, les féministes et les tradwifes (femmes au foyer), les climato-sceptiques et ceux qui soutiennent le «Green New Deal», résolution appelant à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre.
Le scrutin qui s’annonce serré, d’après les derniers sondages entre les deux candidats, qui les donnent toujours au coude-à-coude, et il faudra attendre peut-être plusieurs jours avant de savoir qui du républicain ou de la démocrate deviendra le 47e président des Etats-Unis.
Le long décompte des voix
Une fois les bureaux de vote fermés mardi, le décompte des voix commence dans l’ensemble des Etats-Unis : un processus qui diffère d’un Etat à l’autre et qui pourrait prendre des jours, notamment en cas de litiges et recours juridiques. Comment se déroule le décompte ? Dans un pays aussi étendu que les Etats-Unis, avec six fuseaux horaires, la fermeture des bureaux de vote s’étend de 23h GMT mardi, dans l’Indiana et le Kentucky, à 6h GMT aujourd’hui pour le territoire le plus occidental, les îles aléoutiennes en Alaska.
Plus de 80 millions d’Américains ont déjà voté de manière anticipée, par correspondance ou au bureau de vote.
Les Etats ne peuvent pas prendre d’avance pour dépouiller ces bulletins, mais ils ont pour la plupart autorisé les responsables du vote à les préparer, en vérifiant que les conditions sont remplies, pour faciliter le décompte.
Une poignée, dont la Pennsylvanie et le Wisconsin, deux Etats-clés, ne permet toutefois pas cette préparation avant le jour du vote. Dans la majorité des Etats, les bulletins passent d’abord dans un scanner optique, qui donne un premier résultat, avant d’être recomptés à la main pour confirmation.
Le résultat est ensuite certifié par les responsables des bureaux de vote, qui sont élus ou nommés selon les législations, et transmis aux autorités du comté et de l’Etat, ainsi qu’aux responsables locaux des partis politiques. Et en cas de vote serré, scénario envisagé pour les sept Etats-clés de ces élections (Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin, Arizona, Nevada, Géorgie et la Caroline du Nord), un ou plusieurs recomptages seront nécessaires. Cela peut fortement varier. En 2020, la victoire de Joe Biden contre Donald Trump a été annoncée par les médias quatre jours après le vote. Celle de Donald Trump sur Hillary Clinton en 2016 a en revanche été connue dès le lendemain.
Pour son élection en 2008 face à John McCain et sa réélection quatre ans plus tard contre Mitt Romney, Barack Obama a, lui, pu célébrer ses victoires le soir même.
Mais en 2000, le nom du vainqueur, George W. Bush, n’avait été connu que le 12 décembre, soit cinq semaines après l’élection, après un long processus de recomptage et de multiples recours en Floride, avant que la Cour suprême ne tranche.
En 2020, puis aux élections de mi-mandat en 2022, des responsables du vote dans plusieurs comtés avaient refusé de certifier les résultats, étape nécessaire qui est habituellement une formalité avant leur publication. Une possibilité qui risque de se représenter cette année dans certains Etats-clés, où les républicains sont aussi sur le pied de guerre pour lancer des recours en justice, qui pourraient aller une nouvelle fois jusqu’à la Cour suprême.
Des procédures lancées avant même le jour du vote par les deux partis, pour contester les règles électorales, pourraient aussi compliquer le processus.
La campagne de Kamala Harris a prévenu lundi que les résultats définitifs, notamment en Pennsylvanie et dans le Nevada, ne seraient pas connus avant «plusieurs jours» et mis en garde le camp de Donald Trump contre toute tentative de «semer le doute et le chaos» sur l’intégrité de l’élection. La législation prévoit que l’ensemble des recours doivent être jugés avant que les 538 grands électeurs ne se réunissent le 17 décembre. Le résultat de leur vote doit être certifié au Congrès le 6 janvier 2025. Amnay Idir
Un scrutin au suffrage indirect
L’élection présidentielle américaine est une élection au suffrage universel indirect. Concrètement, les électeurs cochent sur leur bulletin la case correspondant au candidat à la présidence de leur choix. Mais dans les faits, les citoyens désignent les 538 grands électeurs qui composent le collège électoral et voteront en leur nom à l’issue d’un long processus. Pour être élu président, un candidat doit obtenir les voix d’au moins 270 d’entre eux. Chaque Etat se voit attribuer un nombre de grands électeurs équivalant au nombre de ses représentants au Congrès, qui regroupe les deux chambres parlementaires, soit au total 535 personnes : il y a 100 sénateurs, soit deux par Etat, et 435 représentants, dont le nombre est réparti en fonction de la population des Etats. A ce chiffre, il faut ajouter trois grands électeurs pour le district de Columbia, c’est-à-dire la ville de Washington qui, en tant que capitale fédérale, a un statut à part et n’a ni sénateurs ni représentants.
Chaque Etat a son système de nomination des grands électeurs, qui sont généralement sélectionnés en remerciement de leurs services pour le parti ou le candidat. Dans quarante-huit des cinquante Etats, ainsi que dans le district fédéral, le candidat arrivé en tête remporte la totalité des voix des grands électeurs en jeu sur le principe du «winner-take-all». Dans le Maine et le Nebraska, le système diffère du fait qu’il utilise la proportionnelle : un grand électeur est choisi dans chaque district en fonction du résultat du vote populaire, puis deux grands électeurs sont désignés en fonction du résultat global dans l’Etat. R. I.
Et s’il y a égalité absolue entre les deux candidats ?
Et si Kamala Harris et Donald Trump échouent chacun à atteindre la majorité nécessaire de grands électeurs pour remporter la Maison-Blanche ? Cette hypothèse est théoriquement possible. Selon la Constitution, il reviendrait alors au Congrès de désigner le 47e président des Etats-Unis. Plus précisément, à la Chambre des représentants nouvellement élue, le Sénat se retrouvant lui chargé de désigner le futur vice-Président.
Ce rare cas de figure se produirait si les deux candidats arrivent à égalité en nombre de grands électeurs, 269 à 269. Plusieurs scénarios de vote aboutissent à ce partage parfait du collège électoral, qui compte 538 membres devant de désigner ultérieurement le Président.
Par exemple, si la démocrate sort victorieuse dans le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, et que le républicain remporte la Géorgie, l’Arizona, le Nevada, la Caroline du Nord et une circonscription penchant à gauche dans le Nebraska. Il faut remonter à la présidentielle de 1800, qui opposa Thomas Jefferson (Parti républicain-démocrate) à John Adams (Parti fédéraliste), pour retrouver une égalité dans le nombre de grands électeurs.
De façon notable, cette égalité ne concerna pas Adams, mais les deux candidats républicains-démocrates, Thomas Jefferson et Aaron Burr, qui obtinrent chacun 73 voix. L’élection fut donc déclarée nulle et la Chambre des représentants eut à les départager, élisant finalement Jefferson au terme de 36 tours de scrutin. Cette situation complexe a conduit à l’adoption en 1804 du 12e amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui en complète l’article 2 et détaille la procédure en cas d’absence de majorité au sein du collège électoral. Concrètement, comment se passerait ce vote à la Chambre, à la date du 6 janvier 2025 ? «Chaque Etat, quelle que soit sa population, a un droit de vote», précise le Congressional Research Service. En d’autres termes, l’élection ne se fait pas par chaque représentant, mais par délégation majoritaire dans chaque Etat : le petit Idaho (républicain) a une voix avec ses deux représentants, tout comme la Californie (démocrate) malgré ses 52 élus.
La fédération américaine comptant 50 Etats, la nouvelle majorité à atteindre serait donc de 26 votes. Et les républicains sont favoris pour conserver cette majorité qu’ils détiennent actuellement.