Election législatives et présidentielle en Turquie : Choisir entre l’autocratie et un régime parlementaire

15/05/2023 mis à jour: 16:42
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64 millions d’électeurs turcs étaient appelés hier à se prononcer dans un scrutin pour élire leur futur Président et renouveler le Parlement

Quelque 64 millions d’électeurs étaient attendus hier aux urnes pour choisir leur futur Président et renouveler le Parlement. Un ballotage obligerait à un second tour le 28 mai. Le Président ne peut théoriquement siéger que pour deux mandats de cinq ans. 

Mais Erdogan peut prétendre  pour la troisième fois à la fonction suprême car il n’est pas  tenu compte du mandat effectué après sa victoire à la présidentielle de 2014 sous l’ancien système, après 12 années passés en tant que Premier ministre. Il pourrait ainsi rester à la tête du pays jusqu’en 2028. 

La présidentielle se joue entre deux principaux candidats : le président sortant islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans,  et son adversaire Kemal Kiliçdaroglu, à la tête du Parti républicain du peuple (CHP), héritage de Mustapha Kemal Atatürk, père fondateur de la République turque. Un troisième candidat, Sinan Ogan, est soutenu par l’alliance ATA, qui réunit quatre mouvements nationalistes. Le quatrième, Muharrem Ince, le chef du parti Memleket (Patrie), a annoncé jeudi le retrait de sa candidature. Il a été en 2018 le candidat malheureux du CHP à la présidentielle, battu au premier tour par Erdogan. Il a lancé en mai 2021 sa propre formation nationaliste.

Kemal  Kiliçdaroglu dirige en la circonstance une coalition de six partis, nommée l’Alliance de la nation : le CHP, le Bon Parti (Iyi), le Parti de la félicité (SP), le Parti de la démocratie et du progrès (Deva), le Parti de l’avenir (GP) et le Parti démocrate (DP). Il a en outre reçu le soutien du parti prokurde HDP, troisième force politique du pays. Kemal  Kiliçdaroglu a joué la carte de l’apaisement, promettant le rétablissement de l’Etat de droit et le respect des institutions. 

Il s’est notamment engagé à ne pas confisquer le pouvoir après avoir «restauré la démocratie», d’abandonner le régime présidentiel introduit en 2018 et le retour à la séparation des pouvoirs. Il compte ainsi revenir à un système parlementaire dans lequel les pouvoirs de l’exécutif seront confiés à un premier ministre élu par le Parlement. 

Le président sera élu pour un mandat unique de sept ans. L’opposition projette aussi d’instaurer une «justice indépendante et impartiale» et la libération de nombreux prisonniers. Le scrutin présidentiel intervient dans un environnement socio-politique ne plaidant pas en faveur de Erdogan qui se présente sous la bannière de l’Alliance populaire : une coalition composée de sa formation, le Parti de la justice et du développement (AKP), le Parti d’action nationaliste, (MHP) d’obédience ultranationaliste, le Parti de la prospérité (RP), le Parti de la cause libre (Hüda Par), le Parti de la grande union (BBP) ou le Parti démocratique de gauche (DSP). 

En effet, la crise économique continue à sévir dans le pays, l’inflation qui a dépassé les 85% à l’automne. La livre turque s’effondre face au dollar. Entre 2013 et 2022, sa valeur a chuté d’environ 90%. En avril, la devise est tombée à presque 20 livres pour un dollar. Aussi, le séisme du 6 février a fait au moins 50 mille morts et plus de trois millions de déplacés et mis en lumière la corruption des entrepreneurs et celle des autorités. 

UKAZES

Mais depuis des années, le pays ne cesse de glisser vers l’autocratie. Après les élections législatives de 2011 dont Erdogan est sorti victorieux, ce dernier plaide en faveur d’un système présidentiel. En 2014, pour la première fois, le président de la République doit être élu au suffrage universel. Erdogan se fait élire et déclare que désormais «le régime est devenu, de fait, présidentiel». Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, une fraction de l’armée se soulève, s’emparant d’avions de chasse et d’hélicoptères et semant la panique dans les rues d’Ankara et d’Istanbul. 

Des putschistes ciblent le Parlement et le palais présidentiel. Le président Erdogan, en vacances à Marmaris (sud-ouest), exhorte les Turcs à résister à une «tentative de coup d’Etat» en descendant dans les rues, puis regagne Istanbul. Il dénonce «une trahison» de soldats putschistes qu’il accuse d’être liés au prédicateur Fethullah Gülen, aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années. Ex-allié devenu son pire ennemi, ce dernier dément. Dans la matinée, le chef de l’armée par intérim annonce l’échec de la tentative de putsch. 

Et Erdogan réclame l’extradition de Gülen. Les 16 et 17 juillet des centaines de généraux, juges et procureurs sont arrêtés pour leur soutien présumé à la tentative de renversement du pouvoir. Puis l’épuration s’étend à la police, à l’enseignement et aux médias. 

Le 20, est instauré l’état d’urgence. Les purges visent les partisans présumés de Fethullah Gülen, avant de s’étendre à la mouvance prokurde et à des médias critiques entre autres. Des centaines de procédures judiciaires ont été ouvertes.  Le 24 juin 2018,  Erdogan remporte la présidentielle dès le premier tour, loin devant ses concurrents. 

Le scrutin marque le passage du système parlementaire à un régime présidentiel où le chef de l’Etat concentre le pouvoir exécutif, au terme d’une révision constitutionnelle adoptée en 2017. En juillet, la Turquie lève l’état d’urgence en vigueur depuis deux ans. En 2019, l’AKP  arrive en tête à l’échelle nationale aux municipales, mais perd Ankara et la plus grande ville du pays, Istanbul marquant le pire revers électoral de Erdogan depuis l’arrivée au pouvoir de son parti en 2002.  

Engagements

Sur le plan international, Ankara est engagée sur plusieurs fronts. La Turquie est un membre-clé de l’Otan depuis 1952 où elle représente la deuxième plus grande armée après les Etats-Unis. Mais les relations entre ces deux alliés ont été affectées par plusieurs sujets de discorde, dont le soutien apporté par Washington aux milices kurdes syriennes, considérées par Ankara comme terroristes. 

Concernant l’intervention russe en Ukraine, Erdogan joue les équilibristes entre Kiev et Moscou et se pose en médiateur du conflit. De son côté, Kemal Kiliçdaroglu a la même vision avec son rival sur la Syrie voisine, pour s’assurer du retour des 3,7 millions de réfugiés syriens vivant en Turquie. 

Pour ce faire, le président du CHP dit prêt à «normaliser» les relations avec Bachar Al-Assad. Entre-temps, les négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) sont au point mort et les relations sont tendues avec les Vingt-Sept. Mais la crise migratoire oblige les Européens à coopérer avec Erdogan.

 En 2016, Ankara et Bruxelles concluent un pacte : en contrepartie de trois milliards d’euros, la Turquie s’engage à recevoir les migrants entrés en Grèce dont la demande d’asile a été refusée. Cela dit, l’opposant Kiliçdaroglu compte renouer le dialogue avec Bruxelles. La Turquie a été impliquée dans le conflit dès 2011, hébergeant l’opposition politique et les responsables de l’opposition armée au régime de Bachar Al-Assad.

D’août 2016 à mars 2017, Ankara lance l’opération «Bouclier de l’Euphrate» dans le Nord syrien, de l’autre côté de sa frontière, pour débarrasser la zone, selon elle, à la fois du groupe jihadiste Etat islamique (EI) et de la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG). Partenaires des Occidentaux dans la lutte antijihadiste, les YPG sont considérées comme une organisation «terroriste» par Ankara pour leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène une guérilla en Turquie. 

L’opération permet à la Turquie d’établir un tampon entre les différents territoires contrôlés dans le Nord syrien par des groupes kurdes. De janvier à mars 2018, les forces turques et leurs supplétifs syriens prennent aux YPG l’ensemble d’Afrine (nord-ouest) à l’issue de l’offensive baptisée «Rameau d’olivier». 

En octobre 2019, la Turquie lance, à la faveur d’un retrait américain, une opération aérienne et terrestre, baptisée «Source de paix», visant les milices kurdes. Celle-ci lui permet de prendre le contrôle à sa frontière d’une bande de territoire d’une trentaine de kilomètres de profondeur. 

Le 11 mars 2020, Ankara mène l’opération «Bouclier du Printemps» contre le régime de Damas, après des semaines d’escalade dans le Nord-Ouest syrien. Dans la nuit du 19 au 20 novembre 2022, l’aviation turque lance l’opération «Griffe épée» une série de raids aériens contre des positions du PKK et des YPG en l’Irak et en Syrie. Le gouvernement turc accuse ces deux mouvements  (qui ont démenti) d’avoir commandité l’attentat du 13 novembre à Istanbul. 

Le président Erdogan s’efforce désormais de renouer les liens avec Damas, avec le but affiché de renvoyer une partie des 3,7 millions de Syriens réfugiés sur le sol turc. Al-Assad, dont le pays sort progressivement de son isolement régional, a toutefois conditionné toute rencontre avec Erdogan au retrait des troupes turques déployées dans le Nord de la Syrie. 

Le 9 août 2016,  Erdogan se réconcilie avec son homologue russe Vladimir Poutine, après une crise consécutive à la destruction d’un avion russe par la Turquie à la frontière syrienne fin 2015. Le 10 juillet 2019, la Turquie affirme qu’elle poursuivra les travaux de forage des gisements gaziers au large de Chypre, malgré les mises en garde de l’UE. 

Le 12, elle reçoit la première cargaison de batteries de  missiles russes S-400, en dépit des avertissements américains. La livraison de ce système de défense antiaérienne marque un pic dans le réchauffement des relations entre Moscou et Ankara, qui a pris ses distances avec le camp occidental depuis le coup d’Etat manqué de 2016.  

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