Drahem. La Commission, les commissaires et les commissionnaires

06/08/2023 mis à jour: 03:05
1988
Test aux cinéastes, voici le ministère de la Culture, quelle est la bonne porte ?

Après des années de sécheresse sans budgets et donc sans films, 63 milliards d’aides viennent d’être débloqués par la commission «secrète» du ministère de la Culture. La liste est (presque) officielle, alors que le monde du cinéma est en effervescence, attendant les résultats définitifs comme on attend ceux du bac.

Au nom très compliqué, le FNDATICPAL, pour Fonds national pour le développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographique et de la promotion des arts et des lettres, qui dépend de la sous-direction du développement des arts vivants et des spectacles qui dépend plus précisément de la sous-direction du soutien à la création artistique et de la condition des artistes qui dépend elle-même de la direction du développement et de la promotion des arts qui dépend enfin du ministère de la Culture, a remplacé l’ex-Fdatic, ressource unique et nationale à laquelle s’abreuvaient tous les producteurs. 

Dissous, le FDATIC était pourtant très vieux, l'intérêt que l'Etat porte aux activités cinématographiques s’étant très tôt manifesté, puisqu'en 1968 et par l’ordonnance n°68-612, était créé le Fonds de développement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographique (FDATIC), avec un fonds de 100 millions de dinars déjà pour l’époque, soit 10 milliards. Remplacé par l’imprononçable FNDATICPAL, le principe est le même, on dépose un projet et on attend le verdict, ce qui a tenu tout le monde en haleine, les juges ne s’étant pas réunis depuis 2019 et le Hirak. 

La sentence est finalement tombée avant l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi sur le cinéma suite aux assises tenues au Club des Pins fin avril dernier, des chiffres, 63 milliards de centimes alloués à 12 longs métrages (sur 43 déposés), 6 courts métrages (sur 20) et 9 documentaires (sur 27), sans oublier les livres (6 projets retenus). A titre de comparaison, 57 projets avaient été financés lors de la dernière session de l’ex-FDATIC alors que la ministre de la Culture avait annoncé la révision à la hausse des subventions aux projets cinématographiques. 

Sous couvert d’anonymat tant le sujet semble pouvoir générer des représailles sanglantes, un producteur explique : «C’est moins, trois fois et demi moins, que le dernier fonds, 200 milliards accordés à la production de films.» Un autre, masqué aussi, annonce qu'«une autre commission va  statuer en décembre pour des nouvelles aides», ce qui équilibrerait les choses.

 Enfin, un troisième producteur, sans carte d’identité, est satisfait : « C’est bien qu’il n’y ait pas beaucoup d’argent sur les films, ça va obliger les producteurs à aller chercher de l’argent ailleurs, il faut bien qu’ils travaillent un peu.» Mais bonne nouvelle au tableau, la transparence, pour une fois la liste des bénéficiaires va être publiée, ce qui est à mettre au compte positif de la ministre. «On espère juste que le budget global soit équitablement divisé, ce qui n’était pas le cas des précédents soutiens au cinéma où des films avaient arbitrairement bénéficié de 3 milliards, d’autres de 30», s’inquiète un producteur sélectionné mais qui préfère ne pas le dire encore ni donner son nom. Justement, qui sont les heureux élus du bac Fdatic session 2023 ? 

On retrouve entre autres l’incontournable Merzak Allouache, Amine Sidi Boumediène, auteur de Abou Leïla, Thala productions, des jeunes dynamiques de Bouira (Mad Box), Abdelkader Djeriou, Abdelkrim Bahloul et Issaad Salah, auteur de Soula, l’un des meilleurs films des dernières années, ainsi que le CADC, Centre algérien de développement du cinéma, lui aussi producteur de deux films retenus, dont l’un de Anis Djaad. 

Ceci pour les longs métrages (enveloppe globale 47 milliards), pour les courts, 37 milliards et pour les documentaires où l’on trouve Salim Aggar et Hassan Ferhani, auteur de 143 rue du désert, pour un nouveau projet, 8,5 milliards pour le tout. En dehors donc du fait que la liste ne mentionne pas les auteurs des films, mais les producteurs, ce qui est peu courtois pour les créateurs des projets, c’est quand même une autre bonne nouvelle pour le cinéma même si la question reste sans réponse, que faire de ces films ensuite en l’absence de véritable circuit économique de diffusion et de distribution ? 
 

Des clics, des clacs et des claps

Oui, mais comment se fait l’attribution des aides ? Sur la base de lectures de scénarios déposés par des producteurs et non des auteurs, par une commission de lecteurs qui s’appelle officiellement le Clac, pour Comité de lecture et d’aide à la cinématographie, secte très secrète composée de 12 membres très secrets pour le secret le mieux gardé du pays alors que c’est un organisme public, chaque membre de la commission approché expliquant qu’il ne connait pas les autres membres de la commission alors qu’ils siègent ensemble, comme s’ils le faisaient avec des sachets noirs sur la tête. 

Le Clac a bien un e-mail officiel, [email protected] pour toute question, mais personne ne répond, et après enquête, il s’avère qu’il y a 12 membres, dont le président Amar Tribèche, un ancien de l’ENTV, avec sa voix qui compte double en tant que président comme au scrabble, et pour information le Clac rassemble cinéastes, producteurs et universitaires, nommément sauf erreur, Sofia Djama, M. Khiati et M. Rasselma, Rachid Benhadj, Rachid Bouchareb, Mounès Khemmar, Yahia Mouzahem, Saïd Ould Khelifa, Ramdane Zakaria le producteur oranais de Tyson, Drifa Mezenner et Mme Boukhemoucha. Comment se fait le recrutement ? Non, il ne s’agit pas faire un test consistant à répéter trois fois FNDATICPAL sans se tromper mais en réalité c’est la même commission qui siégeait au FDATIC alors que celui-ci a été dissous dans la loi de finances 2021. 

Sauf qu’en août 2022, alors que le mandat du CLAC a été officiellement clôturé, la ministre de la Culture annonçait que le CLAC poursuivra finalement sa mission. Bref, le CLAC a statué, claps aux gagnants, claques aux perdants, et même si une partie des membres de la commission avoue n’avoir pas été présente à la délibération de la commission car celle-ci s’étant faite rapidement, le quorum aurait été atteint. 

Tout est donc secret mais légal, le décret exécutif n°12-91 du 28 février 2012 qui n’a pas été abrogé, stipulant dans son article 3 que «la commission est composée de 9 membres dont le président, liste fixée par décision du ministre de la culture, les membres sont désignés pour une période de deux (2) années renouvelable en tout ou en partie» et son article 5 qui ordonne que «les membres de la commission sont tenus d'observer le secret de leurs délibérations et ne peuvent postuler à l'aide cinématographique et ne doivent pas avoir de lien organique ni d'intérêts directs ou indirects avec les postulants». 

Ce décret signé par Ahmed Ouyahia, grand cinéaste, est donc en théorie toujours valable. Même si Ouyahia lui-même n’est plus valable puisqu’il est en prison. Clac.

 

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