Dr Samy Akroun. Pneumo-phtisiologue et allergologue : «Le cancer du poumon ne devient symptomatique que lorsqu’il touche d’autres organes»

04/02/2025 mis à jour: 00:31
1579
Photo : D. R.
  • Le cancer du poumon reste l’un des cancers les plus fréquents en Algérie. Chaque année, on enregistre une augmentation des cas de ce cancer. Selon vous, comment expliquer cette hausse ?

En effet, le cancer du poumon est l’un des plus fréquents et des plus meurtriers, notamment chez l’homme. Toutefois, je pense que cela changera à l’avenir avec le tabagisme féminin. Pour ce qui est de l’augmentation des cas, je pense qu’elle concerne un bon nombre de cancers.

Cela est dû au mode de vie (sédentarité), à la pollution environnementale, à l’alimentation, notamment industrielle, bourrée d’additifs, qui pour certains, n’ont pas fait la preuve de leur innocuité. Pour le cancer du poumon, je retiendrais deux grands facteurs de risque. Le premier est sans surprise le tabac.

Le second, tout aussi très important mais sous-estimé par le grand public : les rejets des pots d’échappement de nos véhicules, surtout les diesels. Il faut savoir que les rejets des moteurs diesels contiennent des substances hautement cancérigènes. C’est pourquoi, j’estime important de tout mettre en œuvre, pour à terme, supprimer toute motorisation diesel partout où cela est possible.

  • Comment détecter le cancer du poumon ?

Le dépistage et la détection du cancer du poumon passe par l’imagerie médicale. Une simple radio du poumon peut facilement détecter un cancer, si évidemment la radio est interprétée par un œil expérimenté. Cependant, le scanner thoracique est plus performant et peut détecter même les cancers débutants.

  • Est-il possible de le prévenir ?

Aucune méthode préventive n’existe, si ce n’est l’éloignement le plus possible des facteurs de risque.
Pour les patients les plus à risque, à savoir les grand fumeurs âgés de 50 ans et plus, certaines sociétés savantes, notamment dans les nouvelles recommandations GOLD 2025, préconisent de réaliser des scanners thoraciques dits «low dose», c’est-à-dire très peu irradiant et sans dangers, chaque année, afin de détecter les cancers au stade le plus précoce possible et donc curable.

  • Quelles sont les causes du cancer du poumon ?

Il n’y a pas un cancer mais des cancers du poumon, de différents types et origines. Même si la plupart sont dus aux expositions aériennes, le tabac étant le premier facteur de risque, loin devant les autres comme le diesel et autres «aérocontaminants» cancérigènes, certains cancers ont une origine autre à savoir génétique/héréditaire, présence de séquelles pulmonaires dues à des infections anciennes...

  • Quels sont ses symptômes ?

Un cancer du poumon débutant n’a aucun symptôme. Il faut savoir que le poumon étant un organe dépourvu de sensibilité, le cancer ne devient symptomatique que lorsqu’il est assez gros pour toucher d’autres organes comme l’os des côtes ou des vertèbres, les vaisseaux sanguins, le cœur...

Et malheureusement très souvent, une fois qu’il y a des symptômes, c’est déjà trop tard. Toutefois, outre les symptômes classiques tels que la douleur, une toux chronique, des infections/pneumonies répétées, des crachats sanguinolants, un amaigrissement, certains symptômes très atypiques doivent amener un fumeur à s’inquiéter.

A titre d’exemple, il y a une modification d’une toux chronique, un soudain dégoût du tabac, une modification persistante de la voix, une difficulté à avaler, un affaissement d’une paupière (d’un seul œil), un gonflement du visage et du cou… Selon son type, le cancer ne réagit pas de la même manière au traitement.

  • Quelle est donc la prise en charge adéquate du cancer du poumon ?

La prise en charge du cancer du poumon dépend surtout de son stade à savoir sa taille et son «envahissement des tissus et organes voisins » ainsi que de son type. Un cancer débutant (stades I et II), donc de petite taille, sera toujours traité par une «exérèse» chirurgicale, c’est-à-dire retirer toute la tumeur. En fait, plus la tumeur est petite et pas en contact avec d’autres organes, plus les chances de succès sont grandes.

Dans les cancers plus évolués (stade III), de grande taille ou envahissant les tissus et organes voisins, on commencera d’abord par essayer d’en réduire la taille par chimiothérapie et radiothérapie, suivie d’une chirurgie exérèse si possible. Les chances de rémission, quant à elles, sont déjà bien moindres mais existent.

Dans les cancers métastasés (stade IV), c’est-à-dire qui ont eu le temps d’envoyer des «tumeurs filles» vers d’autres organes à travers la circulation sanguine (on parle de dissémination tumorale), on ne parle malheureusement déjà plus de rémission mais juste de prolonger la survie. On fera ce qu’on appelle une chimiothérapie palliative afin de ralentir au maximum la progression vers l’inéluctable.

Finalement, chaque type de cancer réagira à sa façon à ce traitement, allant des tumeurs très agressives qui malgré le traitement emporteront le patient au bout de 2 à 3 mois, jusqu’à des tumeurs très «gentilles» qui mettront des années (2 à 3 en moyenne, jusqu’à 5 ans parfois) avant d’arriver à l’issue fatale. 

Beaucoup de progrès ont tout de même été faits ces dernières décennies dans ce type de cancer. Pour certains types de tumeurs, la survie est prolongée de plusieurs années, mais la rémission totale et définitive est malheureusement impossible à ce jour.

  • Jugez-vous important d’intensifier le dépistage de ce cancer ?

Vu le fait qu’il soit bien plus fréquent pour nous pneumologues de diagnostiquer un cancer au stade III ou IV (trop tard) qu’un stade I ou II, il est en effet essentiel d’organiser un dépistage du cancer du poumon. Au vu des données actuelles de la science, un examen d’imagerie (radiographie ou scanner selon la disponibilité) doit être fait chaque année chez les patients à risques et cela, afin de trouver le maximum de tumeurs à un stade précoce et curable. Cela évitera aussi à l’assurance maladie de financer des chimiothérapies longues et très coûteuses. 

Le tabac est le premier facteur de risque des cancers du poumon. Il est responsable de huit cancers du poumon sur 10. Estimez-vous essentiel de limiter sa vente ou du moins de le taxer ? 

Il est clair que le tabac ne devrait même pas exister ! Il est donc important de trouver des solutions afin de limiter au maximum sa diffusion, notamment chez les jeunes. Le taxer seulement ne suffira pas.
Il faut aussi axer les efforts sur la prévention, passant par l’information des jeunes sur les dangers du tabac.

Même avec ça, sachant que la plupart des fumeurs ont commencé à l’adolescence, période de défiance par excellence, est-ce que leur expliquer que le tabac est mauvais suffira à les dissuader de commencer ? Autre chose : Il faudra améliorer la disponibilité des traitements contre la dépendance à la nicotine ainsi que les substituts nicotiniques afin de permettre à ceux qui veulent vraiment arrêter de trouver des outils adéquats afin de les aider.

  • Quelles sont les chances de guérison et de rémission ?

Schématiquement, je dirais qu’un cancer au stade I à plus de 80% de chance de guérison. Celui de  stade II, la chance de guérison se situe entre 50 et 80%. Pour un cancer de  stade III, on compte environ 20 à 30% de chance maximum. Enfin, lorsque le cancer du poumon atteint le stade IV, il y a aucune chance de guérison. 

 

Copyright 2025 . All Rights Reserved.