Dr Lamia Bouldjemar. Spécialiste en aménagement du territoire à l’université Constantine 1 : «La rigidité des plans de sauvegarde limite les actions possibles»

16/11/2024 mis à jour: 11:52
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Photo : D. R.

Enseignante à la faculté des sciences de la terre, de la géographie et de l’aménagement du territoire de l’université des Frères Mentouri Constantine 1, le Dr Lamia Bouldjemar aborde dans cet entretien la législation régissant la préservation du patrimoine urbain en Algérie.

  • Quels sont les principaux dispositifs juridiques en vigueur pour la protection du patrimoine urbain en Algérie, et comment ces lois se comparent-elles aux normes internationales ?

Les principaux outils juridiques pour la préservation du patrimoine culturel en Algérie sont établis dans la loi 98-04, qui définit de manière claire les notions de patrimoine culturel et urbain.

Elle décrit les étapes de protection, telles que l’inscription des sites et des monuments historiques au registre d’inventaire, avant leur éventuel classement en tant que patrimoine national ou secteur sauvegardé. Le patrimoine urbain, lorsqu’il est classé comme secteur sauvegardé, inclut des entités comme les médinas, ksour, villages traditionnels ou encore La Casbah

 Ce classement implique une protection renforcée et assure la mise en valeur de ces espaces, notamment à travers le développement d’activités touristiques. Une fois un ensemble urbain classé, il bénéficie d’un plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur, comparable à un plan d’occupation des sols (POS), qui régule les interventions et les aménagements dans la zone concernée. En matière de normes internationales, les mesures algériennes s’alignent largement avec les pratiques globales.

Avant cette loi de 1998, l’ordonnance 281 datant de 1967 ne reconnaissait que les monuments historiques, excluant toute notion de patrimoine urbain, avec des limitations évidentes pour le classement de tels ensembles. Il n’existait que le classement du patrimoine mondial, à l’instar de la ville de Ghardaïa, la vallée du M’Zab ou bien la Casbah d’Alger.

  • Quels sont les principaux défis rencontrés par les autorités et les acteurs locaux pour l’application de ces lois dans le domaine urbain ?

Un obstacle majeur est la centralisation de la gestion patrimoniale. Chaque intervention sur un site doit être approuvée par plusieurs organismes, comme la direction de la culture, celle de l’urbanisme ou les collectivités locales, engendrant des limitations pour chacun de ces organismes.

Un autre problème réside dans l’absence de coordination et de cohérence entre les différentes entités. Par exemple, la direction de la culture est responsable des secteurs sauvegardés, mais les permis de construire ou autres sont octroyés par la direction de l’urbanisme ou les municipalités, sans véritable synergie entre ces acteurs.

Un défi supplémentaire réside dans la question de la propriété privée, qui pose des difficultés spécifiques pour la conservation du patrimoine urbain. Par exemple, dans des lieux comme La Casbah d’Alger ou certaines vieilles maisons de Constantine, les propriétaires sont souvent réticents à appliquer les règles de restauration et de réhabilitation prévues pour un secteur sauvegardé. Ils font ce qu’ils veulent et parfois modifient les maisons de l’intérieur.

Cette résistance est amplifiée par le fait que beaucoup de ces habitations sont occupées par des locataires de condition modeste, qui n’investissent pas dans des travaux de réhabilitation, sachant qu’ils n’en sont pas les propriétaires. Par ailleurs, les propriétés héritées sont souvent morcelées entre de nombreux héritiers, ce qui rend encore plus complexes les démarches de préservation. C’est le plus grand obstacle qui se pose.

  • Dans quelle mesure le cadre législatif actuel encourage-t-il ou limite-t-il les initiatives de valorisation, notamment en matière de financement, de partenariat public-privé et d’implication de la communauté locale ?

La législation actuelle présente l’avantage d’avoir permis le classement de nombreux secteurs sauvegardés et la mise en place des PPS-MVSS (Plans permanents de sauvegarde et de mise en valeur des secteurs sauvegardés), essentiels pour planifier et encadrer les interventions sur ces sites.

Ces plans sont des outils précieux pour étudier et analyser l’état du patrimoine, identifier les dégradations et établir des programmes d’intervention. Cependant, leur rigidité limite les actions possibles. Ces plans, à l’instar des POS, sont permanents et difficilement adaptables, même lorsque des besoins d’activités nouvelles se font sentir, comme le développement d’offres touristiques.

Cette rigueur légale se traduit également par une bureaucratie pesante. Obtenir un permis de restauration implique la constitution d’un grand dossier complexe et l’intervention d’architectes spécialisés en patrimoine, alors que ces compétences restent rares en Algérie, que ce soit dans les directions ou dans les bureaux d’études. Enfin, la répartition des tâches entre les différentes directions et administrations conduit souvent à des retards et des blocages dans les démarches.

  • Quelle amélioration législative serait nécessaire pour faire face aux menaces sur le patrimoine urbain et promouvoir un développement urbain harmonieux avec les exigences de conservation ?

Il serait nécessaire de renforcer la cohérence et la coordination entre les différents acteurs, en créant des synergies efficaces entre les trois secteurs principaux, à savoir la culture, l’urbanisme et les municipalités. Il conviendrait également de décentraliser la gestion du patrimoine, afin de simplifier les processus de décision et d’intervention. En théorie, le patrimoine urbain est géré par des entités au niveau des directions de la culture qui appliquent les lois en vigueur.

Toutefois, en pratique, peu de choses avancent concrètement sur le terrain. À titre d’exemple, même le plan de sauvegarde de Constantine reste stagnant malgré son adoption. Sachant qu’en 2001, nous avons recensé un total de 25 secteurs sauvegardés à l’échelle nationale. Une autre priorité serait d’impliquer activement les associations locales et la population dans les processus de décision, surtout dans les cas des propriétés privées.

L’objectif est que les habitants participent non seulement à la sauvegarde, mais aussi à la valorisation de leur environnement, en les rendant acteurs et responsables de leur patrimoine. Il est essentiel que toute action entreprise le soit en concertation avec la population locale pour éviter les réticences et faciliter l’acceptation des projets d’aménagement.

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