Pourquoi les médecins algériens généralistes et spécialistes quittent le pays pour s’installer à l’étranger ?
Cette question n’est pas à dissocier du phénomène global des flux migratoires Sud-Nord, qui n’épargne pas notre pays et touche, à différents degrés, toutes les couches de la population, notamment de niveau universitaire, bien au-delà du corps médical. Dans le cas spécifique des professions médicales, qui ont connu une explosion démographique ces dernières décennies du fait d’un effort de formation soutenu depuis l’indépendance, les motivations sont d’ordre économique liées à l’évolution des exigences en termes de qualité de vie, conjuguées à un environnement professionnel jugé frustrant et démotivant. Le secteur privé, qui répondait à ces besoins jusque-là, commence à montrer des signes de saturation dans les grandes villes, amenant les nouvelles générations de médecins à opter de plus en plus pour l’étranger.
Votre syndicat a-t-il une idée sur le nombre exact des médecins qui ont opté pour l’étranger ?
Pour ce qui est du nombre de médecins ayant quitté le pays, il est difficile d’avancer un chiffre précis ; le nombre de 15 000 médecins algériens exerçant en France ayant été avancé récemment est loin d’être exhaustif du fait de la diversification récente des pays de destination, notamment vers les Etats du Golfe.
Le médecin algérien est-il bien payé ?
Dans l’absolu, non. L’impact des augmentations de salaires successives a été vite annulé par l’inflation. Par ailleurs, le statut général de la Fonction publique en vigueur est un cadre rigide et étroit qui n’a pas prévu la grande diversité et les besoins des professions de la santé, médecins spécialistes notamment, pour bénéficier d’une évolution de carrière motivante, d’où un profil de carrière tronqué. Ce problème ne peut être résolu que par une grille de salaires spécifique au secteur de la santé, dans le cadre d’une Fonction publique séparée. Par ailleurs, les niveaux de gains atteints dans le secteur privé accentuent le sentiment d’injustice salariale chez le corps médical du secteur public.
Quelles sont, a votre avis, les solutions appropriées pour mettre fin à ce flux migratoire ?
«Mettre fin» à cette tendance lourde n’est pas un objectif réaliste, ni même souhaitable, car cela toucherait au principe du droit à la libre circulation des personnes. Il est cependant possible de créer les conditions permettant aux médecins d’envisager le choix de rester au pays, et d’infléchir ainsi cette tendance. Pendant des années, les autorités sanitaires ont assisté passivement à ce phénomène, voire ont nié son existence, en misant sur la formation à outrance. Les pouvoirs publics au plus haut sommet de l’Etat ont commencé récemment à prendre des mesures tendant à réguler ce phénomène, notamment en décidant de revaloriser les salaires dans le secteur public. Les déclarations aussi fortes qu’inédites du président de la République en faveur d’une revalorisation morale et matérielle des professionnels de la santé participent certainement à cet effort. Le moratoire décidé sur l’authentification des diplômes également. Le principal levier cependant reste l’adoption de mesures incitatives, associée à des réformes structurelles visant à redresser l’établissement public de santé, en particulier hospitalier, où les professionnels de la santé, médecins et autres, puissent trouver les conditions d’un épanouissement professionnel.
Est-il urgent aujourd’hui d’ouvrir une réflexion sur le statut des professionnels de la santé ?
La réflexion a été ouverte à l’occasion de la révision des statuts particuliers, dont nous attendons la promulgation, mais avec une portée limitée car s’inscrivant dans le même statut général de la Fonction publique. Une réflexion dépassant ce cadre s’impose, et doit d’ailleurs concerner, outre les statuts des personnels, la question de la carte sanitaire.
Propos recueillis par Nabila Amir