Dr Farid Rahal. Enseignant chercheur à l’université des sciences et technologies Mohamed Boudiaf d’Oran : «Les entreprises devraient s’impliquer davantage dans les actions en faveur du climat»

07/04/2024 mis à jour: 01:03
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Photo : D. R.

Le docteur Farid Rahal revient dans cet entretien sur l’impact du changement climatique et ses conséquences directes sur notre vie quotidienne et sur l’économie.

Une hausse des températures est ressentie dans de nombreuses régions du pays. Ces températures «estivales» sont-elles normales pour la saison ?

Dans une saison, il peut survenir des températures supérieures à la moyenne saisonnière. Ce qui est tout à fait normal. Cependant, il est important de noter que ces températures élevées s’inscrivent dans le contexte global du réchauffement climatique.

Peut-on considérer que l’Algérie n’a plus que deux saisons (un court hiver et un très long été) ?

Il est clair que le réchauffement climatique contribue de manière significative aux phénomènes météorologiques extrêmes, à l’instar des canicules, des sécheresses et des hausses des températures. C’est ce qui explique en partie cette impression.

Toutefois, l’étude de l’intensité et de la fréquence de ces hausses de température sur une longue période pourra aider les climatologues à se prononcer sur ce phénomène.

Qu’en est-il des vents de sable qui touchent la capitale ces deux derniers jours ? 

Les vents d’air chaud venant du Sud, communément appelés sirocco, sont courants au printemps et à l’automne.

Ainsi, le vent chaud qui souffle depuis le Sahara soulève de grandes quantités de sable et les propulsent jusqu’à 4500 mètres d’altitude, pouvant traverser la Méditerranée et atteindre l’Europe, habituellement lors des mois de mars et de novembre.

Doit-on s’attendre à des températures caniculaires cet été ?

Effectivement, le contexte du réchauffement climatique fait craindre l’apparition de phénomènes extrêmes comme les canicules. D’ailleurs, les climatologues ont estimé la hausse de la température moyenne au niveau mondial à 1,2 °C au niveau mondial par rapport au niveau de 1890.

Quelles en sont les conséquences sur le long terme ?

Cette hausse pourra atteindre 2°C selon les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) si les efforts nécessaires sur la réduction des émissions des gaz à effet de serre ne sont pas consentis par l’ensemble des Etats.

Mais au-delà des conséquences météorologiques du réchauffement climatique, il est important d’alerter sur les conséquences économiques qui sont imminentes. Il faut savoir que les enjeux climatiques ne cessent de prendre de l’importance en régissant une grande part des relations internationales.

Les acteurs économiques ne peuvent plus faire abstraction de cette réalité, au risque de décliner sous le coup de taxes de plus en plus lourdes et de disparaître à terme.

Vous parlez de conséquences économiques imminentes. A quoi faites-vous référence ?  

Une entreprise qui ne sait pas calculer son empreinte carbone verra ses produits frappés de taxes forfaitaires lourdes. Une industrie qui n’intègre pas l’énergie renouvelable dans son processus de fabrication en pâtira, et ses produits deviendront moins concurrentiels.

Il est vrai que la concertation internationale ayant abouti à la décision de l’abandon progressif des combustibles fossiles, lors de la dernière conférence des parties tenue à Dubaï en 2023, a pour louable objectif de protéger le climat, et par conséquent, le bien-être de l’humanité toute entière.

Cependant, les actions des pays occidentaux sur le climat cachent mal leur objectif premier. En fait, il s’agit pour eux de gagner leur indépendance énergétique.

La phase transitoire d’application du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a débuté en octobre dernier. Et dès 2026, les taxes deviendront obligatoires pour des produits comme l’acier, le ciment, les engrais, l’électricité ou l’hydrogène. Un commentaire ?

Il faut savoir que ce sont des produits déjà exportés par l’Algérie ou qui le seront prochainement. C’est pourquoi, il devient urgent pour notre pays d’accéder à des marchés plus équitables, notamment en Afrique et en Asie.

Il devient également urgent d’accélérer la cadence des actions en faveur du climat en Algérie dont les grandes lignes ont été tracées par le Plan national climat.

Vous estimez qu’il faut accélérer la cadence des actions en faveur du climat en Algérie ?  De nombreux projets ont déjà été lancés ceci dit…

Certes, d’importants projets ont été lancés récemment pour augmenter la part du renouvelable dans le mix énergétique algérien. Cependant, il ne faudrait pas négliger l’apport considérable que pourrait fournir le simple citoyen en installant des panneaux solaires ou d’autres sources d’énergie renouvelable dans leurs habitations.

Selon vous, comment encourager le citoyen à fournir plus d’effort dans ce sens ?

La baisse historique du prix des panneaux solaires en Chine, conjuguée à des mesures incitatives et surtout à l’ouverture du réseau électrique aux petits producteurs, permettra l’implication des citoyens dans la production, le partage et la vente de l’énergie d’origine renouvelable.

Ainsi, le secteur résidentiel ne sera plus un consommateur net d’énergie, mais aura sa contribution à l’effort national vers la transition énergétique.

En outre, l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments permettra de réaliser des gains considérables en la matière, accompagnée par les experts dont la formation est en cours au sein de l’université algérienne.

Qu’en est-il des entreprises dans ce schéma ?

Les entreprises devraient s’impliquer davantage dans les actions en faveur du climat au même titre que la comptabilité analytique qui permet de suivre de manière détaillée les dépenses et les revenus d’une entreprise, la comptabilité carbone devra y être instaurée pour calculer les émissions de GES, mais aussi leur absorption par la photosynthèse ou le captage.

De louables efforts sont réalisés par les grandes entreprises en Algérie pour la maîtrise et la réduction de leurs émissions de GES. Cependant, ces efforts sont entravés par la difficulté d’accès aux nouvelles technologies dédiées à cet effet, en raison de conditions souvent rédhibitoires de fournisseurs étrangers.

C’est pourquoi, il est nécessaire de développer encore plus le secteur de la recherche et du développement des entreprises avec un accompagnement ciblé de l’université algérienne.

Finalement, les solutions face aux enjeux climatiques de l’Algérie ne pourront provenir que des Algériens au sein de structures algériennes. Des solutions innovantes, libres de toute contrainte et pérennes.

Qu’avons-nous à gagner en instaurant la comptabilité carbone ?

Cette comptabilité carbone sera la base du système MRV (Measuring, Reporting and Verification) national qui fera le suivi de l’ensemble des actions en faveur du climat de manière transparente et continue par le biais d’une base de données nationale. L’avènement du système MRV permettra à l’Algérie d’accéder à la finance carbone et développer davantage d’actions en faveur du climat.

Le secteur agricole est directement impacté par le changement climatique. Que préconisez-vous pour réduire cet impact ?

Effectivement, l’agriculture est fortement impactée que ce soit par des pertes de productivité en raison de sécheresses ou de phénomènes météorologiques extrêmes.

C’est à la fois un puits carbone, mais aussi un fort émetteur de GES dans la production, le transport et la transformation des produits alimentaires.

L’utilisation des nouvelles technologies pourra contribuer à la réduction de l’empreinte carbone de ce secteur tout en augmentant le stockage du carbone dans les sols agricoles.
 

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