Dr Abdelmalek Sayah. Président de la Fédération internationale des organisations de donneurs de sang et de la Fédération algérienne des donneurs de sang : «Il faut impliquer les experts afin d’établir une nouvelle politique transfusionnelle»

03/04/2024 mis à jour: 04:06
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Photo : D. R.

Le don de sang est l’histoire de toute l’humanité qui a pris presque 17 siècles de recherche et de contribution de plusieurs civilisations pour comprendre qu’on peut transfuser le sang qui circule en nous d’une personne à une autre et sauver ainsi des vies. Cela n’a pas été facile sur le plan de la recherche, de la médecine et de l’application. Il a fallu ensuite attendre jusqu’au XXe siècle pour découvrir les groupes sanguins et le système rhésus grâce au biologiste et médecin autrichien Karl Landsteiner. Et c’est à partir de là que les secrets de la compatibilité et incompatibilité ont été percés. Depuis, la médecine transfusionnelle a connu beaucoup de progrès. Cependant, au départ, la transfusion était payante et les malades pauvres n’y avaient pas accès. Quant à la première association de donneurs de sang, elle a été créée en Italie en 1927 par Vittorio Formentano, baptisé AVIS. En 2023, l’Organisation mondiale de la santé a révélé des disparités en matière de dons entre les pays riches et les pauvres. On compte 31,5 dons de sang pour 1000 habitants dans les pays à revenu élevé, 16,4 dans les pays à revenu intermédiaire supérieur, 6,6 dans les pays à revenu intermédiaire inférieur et 5 dans les pays à faible revenu. Actuellement, le débat est centré sur la nécessité d’encourager et d’instaurer un don de sang volontaire, altruiste.

  • Comment les choses ont évolué depuis l’indépendance en Algérie ?

Après l’indépendance, les pouvoirs publics étaient conscients de l’importance de l’activité transfusionnelle et la nécessité de son organisation. Et c’est ce qui a été concrétisé en 1968 via l’ordonnance n° 68-133. Par la suite, il y a eu la création de la Fédération algérienne des donneurs de sang le 25 octobre 1976, puis un comité national médical de transfusion sanguine en 1988.

En tant que fédération, nous avons plaidé pour la création de l’Agence nationale du sang (ANS), qui a enfin vu le jour en 1995. Un décret n° 09-258, paru en 2009 l’avait doté d’un organigramme lui conférant une autonomie totale de gestion, avec un conseil scientifique, un conseil de recherche, un conseil d’administration, etc. L’agence pouvait aller au bout de la mission pour laquelle elle a été dévouée, c’est-à-dire la promotion, la collecte, la fidélisation, la recherche et la formation. Malheureusement, le décret n’a jamais été appliqué sur le terrain.

  • Que s’est-il passé ?

Au préalable, l’ANS devait être le gestionnaire légal du sang en Algérie. Mais la non-application du décret de 2009 a drastiquement réduit son champ d’action. Elle n’a plus d’autonomie ni d’autorité pour mener à terme sa mission d’une manière raisonnable et scientifique. En revanche, un arrêté du ministère de la Santé a rattaché l’activité transfusionnelle aux hôpitaux.

Alors, que reste-t-il à l’Agence nationale, si ce n’est un rôle de figurant. L’ANS est devenue un simple centre de statistiques. Nous nous vantons d’avoir 248 structures de transfusion et de collecte de sang (CTS, CWTS, etc.), à travers le territoire national, mais cela n’a apporté aucun avantage. Au contraire, cela n’a fait que compliquer la situation.

Cette décentralisation anarchique a conduit chaque centre à gérer à sa manière, sans aucune coordination. Dans les pays développés, en France par exemple, ils ont mis au point un système d’organisation, d’efficacité, de rationnement, de rentabilité et d’avancée en matière de recherche. Ils ont concentré tous les moyens et toutes les compétences humaines et matérielles dans quatre centres de qualification et de distribution, les autres centres étant uniquement dédiés à la collecte. C’est une question de rationnement et de politique.

  • Que proposez-vous pour sortir de cette impasse ?

Premièrement, nous devons centraliser la gestion du sang. Il ne s’agit pas d’une centralisation bureaucratique, mais d’une centralisation rationnelle qui permet de gérer efficacement la quantité de sang et le bien-être des patients. Il faut assurer aussi une autonomie complète dans la gestion du sang à l’Agence nationale du sang (ANS), tout en considérant les donneurs de sang à travers la fédération.

Il est indispensable d’accorder à la fédération, qui œuvre à la promotion du don de sang en Algérie depuis 1976 le statut d’utilité publique. De plus, il faut un véritable soutien des pouvoirs publics car le sang est devenu une question de souveraineté nationale. On peut priver quelqu’un d’eau pendant trois jours, mais on ne peut pas priver les cellules du corps humain de sang ne serait-ce qu’un quart d’heure, c’est vital.

De plus, au lieu d’avoir 248 différents CTS, CWTS, etc., nous pourrions mettre en place le plus grand centre de donneurs de sang d’Afrique. Il s’agit simplement d’une question de gestion efficace. Il faut reconsidérer cela en impliquant nos experts dans la prise de décision afin d’établir une nouvelle politique transfusionnelle en Algérie.

  • Quelle est donc la nature du don de sang en Algérie ?

Dans notre pays, il y a peu de don de sang volontaire dans les centres des hôpitaux. Les patients qui ont besoin de sang doivent compter sur leur famille, leurs amis et leurs connaissances pour obtenir des transfusions. C’est ce qu’on appelle le don de contrepartie. Il est vrai que nous collectons suffisamment de sang par rapport à la recommandation de l’Organisation mondiale de la santé qui est de 1%, alors qu’en Algérie, nous sommes à près de 1,5%.

Mais comment collectons-nous ce sang ? Est-ce que c’est fait d’une manière qui reflète notre devoir civique et notre société, ou est-ce que c’est fait différemment ?Il faut que cela change. Nous devons remplacer le don de sang familial avec le don de sang volontaire, altruiste. Il faut dire les choses telles qu’elles sont, les CTS sont devenus comme des administrations, ils ouvrent à 9h et ferment à 16h. Nous devons comprendre qu’on ne peut pas obliger un donneur à venir pendant ses heures de travail.

De plus, il existe des centres qui ne répondent pas aux normes de l’acte noble qu’est le don de sang, où les conditions d’accueil laissent à désirer. Il faut humaniser l’accueil. Dans la capitale espagnole, Madrid, l’heure de fermeture n’est pas avant 22h. Dans d’autres endroits, des applications ont été développées pour permettre aux donneurs de prendre rendez-vous. Des places de parking sont même réservées aux donneurs. Le donneur sent qu’il y a un vrai accompagnent, qu’il y a une traçabilité,que son sang a été servi à un malade.

  • Qu’en est-il de la Fédération algérienne que vous dirigez ?

Elle est parmi les fédérations les plus actives à l’échelle mondiale avec des comités répartis à travers le territoire national. Cependant, le budget de fonctionnement qui lui a été accordé n’était que de 700 000 DA, puis zéro dinar successivement en 2023 et 2024. Bien que nous soyons bénévoles et que nous payions de notre poche, combien de temps pourrons-nous continuer ainsi ?

Cette Fédération algérienne a doté le parc automobile avec plus d’une trentaine de camions de collecte de sang depuis 1984, alors que des CHU n’en disposent pas. Nous avons récupéré deux camions de collecte de sang qui étaient destinés à la casse par manque de pièces détachées.

Nous les avons réparés et mis en service au profit de Bouira. Et c’est avec ces moyens de collecte que nous avons tenté une expérience très réussie l’année passée. Durant presque un mois, les camions de la fédération ont sillonné plusieurs villes côtières pendant la saison estivale où l’on enregistre un faible taux de dons de sang. Les résultats étaient excellents.

Nous nous sommes adaptés aux horaires et aux conditions climatiques estivales. Il faut comprendre que si nous n’allons pas vers les donneurs, ils ne viendront pas facilement. En outre, nous nous sommes également appuyés sur le rôle que jouent les mosquées dans la motivation des donneurs. C’est ce que nous avons entrepris lors du concours Wissam Ramadan remporté par la wilaya de Constantine.

  • Quels sont les enjeux actuels à l’échelle internationale ?

Actuellement nous sommes rentrés dans l’ère des dérivés du plasma. Lors de la crise du Covid-19, les Etats-Unis, qui assurent 67% de la couverture du marché mondial en la matière, ont décidé de restreindre leur exportation. Cette décision a provoqué un cataclysme à l’échelle internationale.

Des réunions urgentes ont été tenues à travers le monde, notamment au niveau de la communauté européenne. Ils ont compris que l’enjeu est devenu important, qu’il fallait avoir une autonomie. En Algérie, nous sommes loin de ces enjeux. Le seul pays qui assure le fractionnement du plasma à l’échelle africaine est l’Afrique du Sud.

De son côté, l’Organisation mondiale de la santé veut aider le continent à se garantir une certaine autonomie, et ce, via des projets au Sénégal et en Ethiopie. Je me demande pourquoi on ne le fait pas en Algérie, alors que nous disposons d’assez de moyens !

Cependant, pour aller vers le fractionnement du plasma, il faut assainir le terrain et avoir une bonne qualification, une homologation et une certification pour enfin accéder aux normes internationales. Donc, il faut tout revoir depuis la base l’activité transfusionnelle. Il y a aussi l’enjeu du plasma à usage pharmaceutique pour lequel l’Algérie n’a pas encore de vision. 

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