C’est en quelque sorte un appel à l’action et à une mobilisation plus audacieuses pour affirmer leur place dans le nouvel ordre financier mondial et s’épanouir loin du tutorat persistant des grandes places internationales que l’équipe d’experts internationaux, incluant Momentus Global (anciennement International Financial Consulting), Samawati Capital Partners et Stafford Law, a adressé aux juridictions africaines dans une nouvelle étude, rapporte une agence suisso-africaine spécialisée dans la gestion publique et l’économie africaine.
Faisant ressortir un chiffre frappant, 60% des fonds d’investissement dédiés à l’Afrique domiciliés hors du continent, cette étude, réalisée à la demande de la fondation MasterCard, en partenariat avec Mennonite EconomicDevelopment Associates (MEDA), souligne, une fois encore, les failles structurelles des places financières africaines dont la résilience a été mise à rude épreuve par les prolongements des retombées des chocs successifs de la pandémie de Covid-19 et des effets des guerres et des conflits secouant le monde depuis bien des mois.
Les auteurs du document laissant entendre que le moment est venu pour l’Afrique de tracer seule sa propre voie pour non seulement répondre à ses besoins, mais aussi pour établir une référence mondiale en matière d’innovation et d’impact. Le message que laissent transparaître ces 60% des fonds destinés au continent mais logeant dans des juridictions plus lointaines est sans équivoque : l’industrie financière africaine «n’a pas su, jusqu’ici, se rendre incontournable.
Les investisseurs internationaux préfèrent des juridictions sûres où les règles sont stables, les contrats respectés, et les tribunaux prévisibles», commente l’agence suisso-africaine. Remédier avec plus d’agilité à la fragmentation des marchés et édifier un véritable écosystème financier intégré, tout en renforçant l’infrastructure par l’innovation technologique et les investissements stratégiques, est un challenge sans lequel la finance africaine devra attendre encore longtemps avant de devenir ce moteur de développement, de croissance économique et de résilience, tant espéré.
Avec 5000 milliards de dollars d’actifs sous gestion, le Luxembourg et son célèbre boulevard Royal, premier centre européen de fonds d’investissement, deuxième centre mondial après les Etats-Unis et le plus grand centre de gestion de patrimoine de la zone euro, «offre un modèle bien rodé. Ici, tout est pensé pour séduire les gestionnaires de fonds : régulations flexibles, expertise juridique de pointe, fiscalité douce», note la même source.
Pareil pour la place financière asiatique Singapour (près de 5000 milliards de dollars), 6e place financière mondiale et 3e en Asie, derrière Hong Kong et Shanghai et devant Tokyo ou encore Genève, première place en matière de gestion de fortune privée, plus de la moitié des capitaux étrangers placés dans le pays et 27% de la fortune mondiale offshore privée et Gibraltar un coin idéal pour les directeurs de holding et de sociétés internationales voulant profiter d’une ouverture toute proche vers le Maghreb.
Moteur d’un renouveau économique
A l’inverse, beaucoup de pays africains, dont les magnats de la grande délinquance financière sont des clients attitrés de ces grandes places financières, «souffrent d’une bureaucratie lente, de lois floues et d’instabilités macroéconomiques», diagnostiquent les auteurs de l’étude. Résultat : «Des marchés porteurs, comme celui des PME qui représentent 80% des emplois formels sur le continent, peinent à trouver les financements nécessaires.» S’élevant à 940 milliards de dollars en 2024, le déficit de financement des PME «alimente un cycle vicieux : peu de financements, peu de croissance, peu d’attractivité». Alors que le potentiel existant est loin de manquer.
Les fonds de pension africains cumulent des centaines de milliards de dollars sous-utilisés. Orientées vers des PME, des infrastructures ou des projets d’innovation, ces ressources pourraient devenir le moteur d’un renouveau économique. «Pour inverser la tendance, il faudra plus que des discours. Les pays africains doivent simplifier leurs lois, sécuriser les contrats et mobiliser les capitaux locaux.
Les caisses nationales de sécurité sociale (CNSS), caisses des dépôts et consignations (CDC), fonds de pension et banques publiques de développement, qui gèrent des centaines de milliards souvent sous-exploités, doivent devenir des leviers pour financer les PME, les infrastructures et l’innovation», plaide-t-on. D’autant que les fonds de pension africains pèsent, aujourd’hui, plus de 600 milliards de dollars, dont 500 milliards en Afrique du Sud et 33 milliards au Nigeria, indique la même agence. Mieux : d’ici 2050, leurs actifs pourraient exploser pour atteindre 7300 milliards de dollars.
Une manne gigantesque, «encore sous-utilisée», à même de servir de «levier pour attirer les capitaux privés qui cherchent à diversifier les risques». Idem pour les banques publiques de développement du continent, dont les actifs totaux dépassent 100 milliards de dollars et qui disposent de ressources à long terme, y ajoute-t-on. En somme, tout porte à croire que l’Afrique a plus que besoin d’une industrie financière mature et diversifiée qui réponde à ses différents besoins en capitaux et les juridictions de grands changements transformateurs. A défaut, ces juridictions seront condamnées à «rester dans l’ombre des grandes places internationales» et le continent «continuera de financer sa propre marginalisation», a-t-on mis en garde.