Djamel Abbaci. Expert en assurances : «Il faut autoriser le courtier local à opérer sur le marché international»

01/10/2023 mis à jour: 00:58
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Photo : D. R.

Les pouvoirs publics sont en phase de finaliser un nouveau projet de loi sur les assurances qui sera soumis aux deux Chambres du Parlement avant la fin 2023. L’objectif est d’accroître l’attractivité du secteur des assurances en Algérie. Selon le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane, le secteur des assurances en Algérie a connu plusieurs réformes qui ont favorisé l’ouverture du marché à de nouvelles sociétés privées et étrangères. Le nombre de sociétés étant passé de 6 sociétés publiques en 1995 à 25 sociétés actuellement, à capital public, privé, étranger ou mixte. Quel est, aujourd’hui, l’état du courtage en assurance en Algérie ? Quelle place pour le courtier local dans ce nouveau projet de loi sur les assurances ? A-t-on prévu le développement du secteur à l’international ? A ces questions et à d’autres, Djamel Abbaci, expert en assurance, a bien voulu nous répondre.

En tant qu’expert dans le domaine, pouvez-vous nous donner un état des lieux sur la situation actuelle du courtage en assurance en Algérie ?

Le décret exécutif n° 95-340 du 30/10/1995 fixant les conditions d’exercice de la profession des intermédiaires précise que pour pouvoir exercer la profession de courtier en assurance il faut obligatoirement disposer d’un agrément délivré par le ministère des Finances dont l’article 3 dispose que «le courtier a pour rôle la présentation des opérations d’assurances oralement ou par écrit à une tierce personne pour la souscription d’un contrat d’assurance».

Si le problème ne se pose pas pour les assurances conventionnelles (-12 milliards DA) relevant de la capacité de couverture financière de nos compagnies d’assurance, la situation de traitement des grands risques économiques obéit à une autre technique d’assurances faisant appel à la réassurance, donc au rôle international du courtier.

Dans ce cadre il faut savoir que le choix d’un courtier local pour le placement des risques importants comme celui par exemple du complexe Sider El Hadjar, Fertial, Somias, Asmidal… dont la valeur d’assurance dépasse largement les capacités de rétention financière de toutes les compagnies d’assurance réunies dans le cadre d’une coassurance, ne peut constituer une opération d’assurance que l’entreprise économique peut confier à un courtier national.

Comment se traite l’assurance des risques industriels ?

L’assurance des risques industriels comme celle de Sonatrach, Sonelgaz, Complexe sidérurgique d’El Hadjar, SNVI... est traitée de manière combinée entre le marché local et le marché international par le biais de la Compagnie centrale de réassurance (CCR).

Il faut savoir que les entreprises économiques qui détiennent plus de 12 milliards de dinars algériens de capitaux investis, réassurent dans le cadre de la cession obligatoire auprès de la CCR au moins 50% de leurs valeurs d’assurance, tandis que la différence se négocie sur le marché international de la réassurance par les assureurs habilités légalement à le pratiquer. En l’absence de protocole d’accord de la réassurance entre la CCR et le courtier local, cet acte important de gestion des grands risques ne peut être accompli que par les compagnies d’assurance et la compagnie centrale de réassurance.

Un courtier local peut-il consulter le marché international de la réassurance ?

Non. La consultation du marché international de la réassurance n’est pas en l’état actuel des dispositions juridiques de la loi sur les assurances, autorisée ou permise au courtier national. Il faut aussi remarquer que cette situation d’interdiction d’opérer sur le marché international n’est pas pour favoriser le développement de l’activité de courtage en Algérie par les intermédiaires algériens qui, dans cette condition de restriction, restent totalement dépendants des courtiers internationaux.

Cette insuffisance de la loi 2006/04 sur les assurances doit être étudiée dans le cadre du nouveau projet de la loi sur les assurances avec pour objectif d’ouvrir cette activité vers l’extérieur et ne plus se contenter d’agréer des courtiers étrangers en Algérie sans se l’autoriser. Autoriser le courtier algérien à pratiquer le courtage de la réassurance des risques algériens auprès du marché international aura l’avantage de casser le monopole de cette activité détenu par les courtiers internationaux.

Si le courtier local est autorisé, à la faveur de la nouvelle loi sur les assurances, à consulter le marché de la réassurance à l’international, faudra-t-il définir les rémunérations ?

Bien sûr, puisqu’il est important de distinguer la rémunération que doit percevoir en l’état actuel de la pratique le courtier entre affaires relevant de l’activité de la réassurance, donc nécessitant la consultation du marché international par rapport à celle relevant du marché local. Dans ce cadre, il faut savoir que les opérations d’assurance prévue dans l’article 3 du décret doivent être définies en termes de valeurs d’assurance sous forme de règle générale dans le projet de loi, à savoir les affaires conventionnelles et affaires facultatives relevant du marché de la réassurance international, et le détail des valeurs d’assurance à considérer dans les protocoles d’accord d’assurance conclus entre les compagnies d’assurance et les courtiers locaux.

Cette précision permettra de mettre fin à l’utilisation à tout bout de champ des mandats accordés par les assurés de manière infondée et sans consultation du marché international de la réassurance. A titre concret, si la prime d’assurance à payer pour la couverture des risques facultatifs ou réassurables comporte le coût de l’assurance stricto sensu en plus des commissions de courtage international, celle de la compagnie d’assurance ou des coassureurs et de réassurance (CCR), on peut alors s’interroger s’il est légal de l’augmenter encore pour un courtier local dépourvu de l’activité de réassurance internationale.

Cependant jouer son rôle constructeur de conseil, le courtier local peut présenter à son mandant un programme d’assurance ou un plan d’action, dont l’objectif est de proposer des solutions adéquates pour optimiser d’une part la couverture des risques en termes de technique de garantie et d’autres part concevoir un modèle de couverture contractuelle entre les compagnies d’assurance dans le cadre de la coassurance avant de s’adresser collégialement par le biais d’un apériteur au marché de la réassurance internationale. Cette formule de coassurance organisée permettra une rétention locale plus au moins intéressante pour l’économie nationale et la réduction du taux de cession en réassurance.

Qu’en est-il pour les entreprises soumises au code des marchés publics ?

Les entreprises économiques soumises à la réglementation de passation des marchés et les organismes publics soumis au code des marchés publics posent la question pertinente de la sélection d’un courtier local pour le mandater pour la sélection de la meilleure compagnie d’assurances du marché. De notre expérience, nous avons constaté que les paramètres retenus dans les offres techniques des cahiers des charges ne répondent pas à la problématique du besoin recherché en matière de risk-management, puisque la condition la plus importante voire exclusive est la conception d’un programme d’assurance qui permet de se prononcer sur une décision d’engagement de l’assuré, pour le choix d’un contractant.

Dans cette vision pragmatique et légale, le courtier d’assurance ne peut être choisi à partir de critères applicables aux choix d’une compagnie d’assurance comme par exemple son chiffre d’affaires, son réseau commercial, etc.

Pour juger la compétence d’un courtier, ces paramètres d’appréciation ne sont pas adaptés à la problématique à résoudre, car le réassureur ne juge que le risque à accepter pour une couverture, d’autant plus qu’il n’existe aucune relation juridique entre le courtier local et le réassureur étranger. Le courtier est le mandataire de l’assuré. Il est responsable devant lui. De ce fait, le programme d’assurance demeure à notre avis le paramètre le plus important de l’offre technique des cahiers des charges et l’élément déterminant dans l’appréciation de la compétence du courtier en matière d’apport.

Comment peut-on juguler cette «anarchie» qui sévit dans le domaine des assurances ?

Dans cette optique, les courtiers locaux et les compagnies d’assurance doivent jouer le rôle de sensibilisation auprès des assurés pour expliquer que le domaine de l’assurance est un domaine réglementé et que le courtier algérien doit être choisi sur la base d’un programme d’assurance qui fait ressortir la distinction entre risques conventionnels et risques facultatifs ainsi qu’une méthodologie étudiée de la cession des risques pour être couverts auprès des meilleurs.

Dans ce sens, il faut savoir que la consultation du marché international de la réassurance devient intéressante grâce au lancement d’un cahier des charges appropriés différents de celui propre à la consultation du marché local. A cet effet, le cahier des charges peut être adressé à l’ensemble des courtiers agréés par les textes du ministère des Finances en vue d’obtenir un choix de comparaison des offres aussi large que possible mais surtout exiger des réassureurs étrangers connus et notés par des agences de notation.

La réassurance permet de négocier des garanties que le marché local ne peut offrir. Si l’agrément accordé aux courtiers locaux ne leur permet pas de pratiquer les opérations de réassurance, il n’en demeure pas moins que l’assuré peut faire appel à ces derniers pour les risques facultatifs ou réassurables dans le cadre du conseil et de l’assistance où les charges seront supportées par l’assuré au lieu d’être rétrocédées de manière équivoque par l’assureur au courtier local.

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