Djaffer Gacem. Invité de l’espace culturel Bachir Mentouri : «Nous avons un public mais nous n’avons pas de film à lui proposer»

08/06/2023 mis à jour: 12:16
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Djaffer Gacem (photo : dr)

En prévision de la Journée de l’artiste, coïncidant avec le 8 juin, l’espace culturel Bachir Mentouri a accueilli   le réalisateur et producteur algérien Djaffer Gacem.

Le réalisateur, scénariste et producteur algérien est revenu sur son passionnant métier. Un métier qui s’exprime à travers l’image et le son. Il rappelle qu’il est un ancien élève du centre de formation du Boulevard Mohamed V à Alger. Il a intégré le monde du cinéma et de la télévision grâce à un concours de circonstances. A l’époque,  la Télévision algérienne avait besoin de former ses techniciens. Comme il a toujours rêvé de faire du cinéma, il se présente à un concours. 

Au bout de deux ans et demi de formation, il décroche haut la main un diplôme de cameramen. Il confesse que la base de son travail, de ses études et de sa sensibilité à ce métier ont été faites en Algérie. «A l’époque, dit-il, l’école formait des cameramen, des ingénieurs du son, des monteurs, des assistants à la réalisation… Le centre de formation était très actif. J’en suis fier parce qu’à l’époque, nous avions de très bons instructeurs, techniciens et formateurs. Malheureusement, aujourd’hui cela n’existe plus». 

Le réalisateur décide de partir à l’étranger pour persévérer dans ses études et dans le cinéma. C’est là qu’il étudie le cinéma, l’écriture et la réalisation. Par la suite, le destin a voulu qu’il vive avec sa famille un certain nombre d’années en France. Il travaillait en  freelance-pigiste dans différentes chaînes de télévision étrangères. «Le destin, dit-il, a fait que mon pays m’appelait et je commençais à produire et à revenir doucement. J’étais très heureux car l’Algérie me manquait souvent. Donc, je revenais pour proposer ce que j’avais appris. Mes premières productions au départ, c’était entre autres Jil Music et Ness Mellah City. 

Après, on a essayé d’évoluer bon gré, malgré gré, ce qui n’est pas évident dans un pays comme le nôtre très grand et très vaste où il y a beaucoup de choses à construire, notamment dans la culture en général et le cinéma en particulier». Et d’ajouter : «Nous vivons des moments difficiles. Nous n’avons encore nos droits dans la culture pour qu’on puisse s’exprimer au maximum. On se défend on se bat. 

Aujourd’hui, le ministère de la Culture et des Arts se bat avec nous. Il nous fait confiance. Il y a une sorte de fusion entre le producteur et les cadres du ministère de la culture. Cela dit, ce n’est pas encore gagné. Nous essayons de travailler pour qu’il y ait un statut de l’artiste qui lui permette de vivre dignement et de travailler professionnellement. Nous travaillons aussi pour qu’il y ait une loi sur le cinéma qui définit tous les critères de la relance du 7e art qui, rappelons-le, était dans les années 70 en pleine évolution», argue-t-il.

Notre orateur reconnaît que ses prédécesseurs ont fait beaucoup de beaux films à l’époque, même si c’était beaucoup de films sur la révolution et sur la société. Il y avait aussi des téléfilms. Chose que nous n’avons plus aujourd’hui. Il rappelle que tous les soirs, sur l’unique chaîne de télévision algérienne, les cinéphiles avaient droit à un téléfilm algérien qui était assez consistant. Celui-ci racontait nos vécus et nos histoires sociales. «Malheureusement, nous n’avons plus ces possibilités. Les choses ont changé. De mon côté, j’essaie de me battre pour qu’on revienne à ces bases. Pour redonner au cinéma ses lettres de noblesse et faire évoluer les mentalités», se désole-t-il. Le réalisateur Djaffer Gacem met l’accent sur la formation des générations actuelles et futures. De par son métier, il croise souvent de jeunes apprenants qui lui posent de multitudes de questions sur le métier et sur leurs aspirations. Il avoue qu’il se sent responsable et devient égoïste sans le vouloir. 

«On nous donne cette image d’égoïste. C’est-à-dire, vous avez la chance de travailler. On a le cœur lourd quand on voit ces jeunes un peu perdus qui font des études, même d’informatique et d’ingénierie. J’ai rencontré la semaine dernière, dans le cadre de la projection de mon film, au niveau de l’Ecole des beaux-arts d’Alger, des étudiants qui veulent évoluer dans le secteur mais ils ne trouvent pas le créneau souhaité»,  dit-il. L’interlocuteur rappelle qu’il n’y a pas d’école de formation, excepté le Centre national de l’industrie cinématographique de Ouled Fayet. Il reconnaît qu’un seul centre ne suffit pas face à la demande. «Il n’y a pas beaucoup de formation technique et de formation du comédien. Je ne comprends pas pourquoi, on n’en a pas. 

On se bat sur tous les fronts. Espérons qu’un jour, cela se dissipe. Je pense qu’on a vraiment une jeunesse et des gens qualifiés pour montrer qu’on est exportable et qu’on n’est pas uniquement locaux». Toujours, selon le producteur, il admet qu’il travaille difficilement pour le ramadan. Il estime, d’ailleurs, qu’il est à un âge où il doit donner, car d’ici quelques années, il ne sera plus en mesure de donner. Il soutient que quand il forme, il donne car il sait pertinemment qu’une autre génération se renouvellera. «C’est malheureux de faire venir des techniciens de l’étranger pour assurer un plan, une image, une séquence ou encore pour jouer un rôle. Tout cela fait que le combat est encore long. Il y a de l’espoir. Il ne faut pas laisser le terrain vierge et baisser les bras. Quels que soient les obstacles, il faut continuer de se battre. L’artiste a toujours été celui qui vit dans l’ombre. Idéalement, c’est qu’on puisse de son vivant et de ses ressources énergétiques faire profiter ce qu’on a appris et profiter d’un espace et d’un pays qui en veut».

Djaffer Gacem revient sur la tournée nationale de son film dramatique Héliopolis.  De l’avis de notre réalisateur, l’expérience était unique, car au départ, il était question de faire uniquement deux villes pour faire l’avant-première. 

En effet, si au départ, il était question de se rendre à Laghouat avec un écran, le réalisateur et une partie de son équipe se sont retrouvés à sillonner le pays pendant deux ans sans faire attention avec surtout avec de la bonne volonté. «De cette expérience, j’en tire la conclusion suivante : c’est que personne ne peut me dire que nous n’avons plus de public. Bien au contraire, nous avons un public cinéma.

Avec mon film, nous avons fait salle pleine. Les gens veulent aller voir des films. Imaginez qu’on fasse des films de comédies, de sociétés, de révolution… Nous avons un public mais nous n’avons pas de films à proposer à notre public. On dit qu’on n’a pas de salles, oui,  mais, on a suffisamment de salles pour faire des films. Commençons par faire des films. Faisons des films à travers cette production, les pouvoirs publics seront obligés d’ouvrir les dérives du cinéma», éclaire-t-il.

Revenant sur sa dernière série Dar El Fchouch  diffusée sur une chaîne de télévision privée, durant le ramadan dernier, le producteur et réalisateur Djaffer Gacem reconnaît que cette dernière œuvre à reposer  sur un gros travail de réflexion. L’idée lui est venue quand il a vu une série d’une famille bourgeoise sur une plate-forme américaine.

Il s’est alors dit pourquoi ne pas réaliser une série comique algérienne. Il faut dire que l’homme a toujours aimé les défis, surtout dans la comédie. Il reste persuadé que la comédie est plus difficile que le drame. Il est, aussi, très difficile de faire rire les gens, et ce, en faisant attention à plusieurs paramètres. Il a d’ailleurs su expérimenter un humour décapant dans cette série à succès.

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