Disparition de Georges Dobbeleer, figure du «comité pour la paix en Algérie» : Salutations fraternelles, camarade !

12/02/2022 mis à jour: 16:05
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Le défunt Georges Dobbeleer en 2017

Le 2 février 2022 s’éteignait en Belgique un grand ami de la Révolution algérienne : Georges Dobbeleer. Un autre nom qui vient s’ajouter à une constellation de compagnons de combat belges à qui nous devons tant, et qui s’en vont les uns après les autres.

Nous rapportions récemment la disparition de l’avocate Cécile Draps, figure de proue du Collectif des avocats belges du FLN qui nous a quittés le 8 décembre 2021. Et avant Me Draps, nous avions déploré la perte de Maître Serge Moureaux, chef de file des avocats belges du FLN (disparu le 25 avril 2019), de son épouse Henriette Moureaux (décédée peu après lui, le 28 juin 2019), ou encore Suzy Thuy-Rosendor, ancienne agent de liaison de Omar Boudaoud en Belgique (décédée le 19 août 2020). 

Et pour chacune de ces pertes, c’est toujours par la même source, le même canal, que nous apprenions la nouvelle : l’historien Paul-Emmanuel Babin, spécialiste de «la Guerre d’Algérie» en Belgique et dans le nord de la France. Et c’est encore une fois par le biais de notre ami Paul-Emmanuel que nous avons appris pour Georges Dobbeleer – Paix à son âme. «Le Liégeois de coeur, Georges Dobbeleer, est décédé le 2 février, après avoir été soudainement hospitalisé depuis la mi-janvier», écrit l’historien dans un texte qu’il nous a adressé intitulé : «Georges Dobbeleer, camarade du peuple algérien».

UN TROTSKYSTE HUMANISTE

Retraçant le parcours de ce militant au long cours, d’obédience trotskyste, membre de la IVe Internationale et qui était féru d’alpinisme, le chercheur indique que «l’enseignant et syndicaliste Georges Dobbeleer est né en 1930, dans une famille décimée pendant la Seconde Guerre mondiale». «Il était le dernier pilier du Comité pour la Paix en Algérie», souligne le chercheur. Il explique dans la foulée que ce Comité «réunissait des Belges engagés en faveur de l’indépendance de l’Algérie, tels que Jean Van Lierde et Pierre Le Grève».

Dans un texte rédigé par Georges Dobbeleer et consacré justement à Pierre Le Grève, grand militant anticolonialiste qui sera l’un des fondateurs de ce fameux Comité pour la Paix en Algérie (texte publié dans la revue Inprecor, n°480-481, mars-avril 2003 ; voir le site : inprecor.fr), l’auteur évoque la genèse de ce Comité. Dobbeleer écrit : «L’insurrection du FLN algérien commence en novembre 1954. Dès 1955, Pierre Le Grève participe au soutien de la Révolution algérienne. Il crée le ‘‘Comité pour la paix en Algérie’’ qui lutte à contre-courant de la francophilie puissante en Belgique et il organise meetings et aide clandestine aux militants algériens en transit».

Pour revenir à la notice biographique de Paul-Emmanuel Babin, l’historien relève : «La longévité du militantisme de Georges est surprenante. Elle commence en 1947 du côté des communistes de l’Université Libre de Bruxelles et s’achève en 2022, avec un dernier écrit militant, sous la forme d’hommage à son amie Cécile Draps». 

Pour le spécialiste du «Front du nord», cet ancien professeur de français et d’histoire était «un intellectuel humaniste mais avant tout un militant à la recherche d’efficacité. Il forge son anticolonialisme dans les groupes de la revue Esprit. Il ne se contente pas de ce qu’il considère comme une pure opposition intellectuelle, mais il recherche à combattre, concrètement, le colonialisme et le capitalisme». 

«A 23 ans, poursuit Babin, il rejoint l’Internationale trotskiste et en reste membre toute sa vie». «Georges Dobbeleer était une figure incontournable de l’extrême-gauche en Belgique», insiste le chercheur, avant de faire remarquer : «Il est difficile de résumer l’internationalisme de Georges Dobbeleer, dont les Mémoires sont préfacées par Alain Krivine, ancien candidat trotskiste à l’élection présidentielle en France». 

Référence ici à son livre : Sur les traces de la révolution. Itinéraire d’un Trotskyste belge (Paris, éditions Syllepse, 2006). «Georges Dobbeleer est resté toute sa vie fidèle au marxisme anti-stalinien», affirme l’universitaire. Décrivant l’engagement qui animait cet ancien chef des Jeunes gardes socialistes (JGS) en faveur de l’indépendance de l’Algérie, Paul-Emmanuel Babin qui l’a bien connu révèle : «Anticolonialiste, il aimait à rappeler que le Comité pour la Paix en Algérie était loin d’être pacifiste, en fournissant une ‘‘aide précise’’ (selon ses termes) aux Algériens qui devaient sortir du territoire français».

«UN DES PREMIERS BELGES À AVOIR DÉNONCÉ LA TORTURE»

Georges Dobbeleer, précise-t-il encore, «est surtout l’un des premiers Belges a avoir dénoncé ‘‘la barbarie et la torture’’ pendant la Guerre d’Algérie. Il avait ensuite noué des liens avec des membres du Comité fédéral de la Fédération de France dont le futur historien Mohammed Harbi et Me Aziz Benmiloud». On apprend également qu’en 1960, l’ami Georges a été «l’un des organisateurs d’une réunion publique à Liège de Patrice Lumumba».

Après l’indépendance, l’infatigable baroudeur s’est fait une joie de visiter Alger. Il s’est même rendu «à plusieurs reprises en Algérie, notamment lors de la conférence de Ben Aknoun, qui préparait une aide non gouvernementale à l’Algérie indépendante», rapporte Babin. Quelques années après, «il rencontre Djamila Bouhired et Jacques Vergès», ajoute-t-il. 

Et de noter : «Seul un problème de passeport non renouvelé à temps lui fera renoncer à un ultime voyage en Algérie, à l’occasion du colloque de 2017 organisé par l’ambassade de son pays sur les frères belges de la Révolution algérienne». 

«En revanche, fait savoir l’historien, lorsqu’un colloque est organisé à l’ULB, en hommage à Akli Aïssiou, Georges Dobbeleer est invité à s’exprimer sur le sens de son engagement. Le 9 mars 2020, il témoigne à 89 ans, faisant fi de la distance qui sépare Liège de Bruxelles et des menaces liées à la pandémie que l’on annonce déjà en Belgique».

Et à l’occasion de cette même cérémonie à la mémoire du chahid Akli Aïssiou, étudiant en médecine et chef de l’UGEMA en Belgique assassiné le 9 mars 1960 près de Bruxelles, Georges Dobbeleer a livré ce témoignage saisissant à propos des assassinats politiques qui ont ciblé des sympathisants de la cause algérienne perpétrés par les services spéciaux français sur le sol belge, les mêmes qui ont exécuté Aïssio : «Le 25 mars 1960, deux colis piégés qui ont été manipulés adroitement par des compétences, des gens des services secrets français, arrivent à Bruxelles. Ils sont déguisés en livre : La Pacification de Hafid Keramane. 

Le livre, le voilà, mais en réalité, c’était un peu plus lourd, cela comprenait de la dynamite et un certain nombre de clous destinés à blesser et à tuer ceux qui allaient ouvrir les livres. Le professeur Laperches ouvre le livre et est tué. Le professeur Le Grève, rendu prudent par son expérience passée, ne l’ouvre pas et échappe à la mort. Les funérailles de Laperches, le 29 mars 60, rassemblent 3000 personnes à Liège. Et je me souviens d’ailleurs qu’une foule de photographes de toutes les presses possibles et de tous les services à droite, sont là et nous photographient. Je n’ai jamais été autant photographié que ce jour-là». 

Au cours de ce même colloque, Dobbeleer indiquera également selon des propos cités par Babin : «Après l’indépendance, le Comité pour la Paix en Algérie va se transformer en Comité d’Action contre le néocolonialisme et le fascisme, et va aider notamment la lutte pour l’indépendance des colonies portugaises d’Afrique». 

Et de lancer : «Toute notre solidarité aura donc contribué au fil des années à aider l’Algérie nouvelle et à créer un mouvement anticolonialiste qui sera aux côtés des anciennes colonies française, anglaise, hollandaise, portugaise et même belge. Ce ne fut pas une activité inutile, loin de là». Repose en paix, camarade !

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