Le ministre américain à la Défense, Lloyd Austin, et son homologue chinois, Dong Jun, devraient se rencontrer à Singapour, à l’occasion du Dialogue Shangri-La sur la Défense, forum annuel qui réunira de vendredi à dimanche des chefs de la Défense du monde entier.
La rencontre entre MM. Austin et Dong est leur première en personne. Leur discussion par téléphone remonte à avril, premier échange entre les ministres de la Défense des deux pays en près de 18 mois.
Ce forum intervient, une semaine après des manoeuvres militaires conduites par la Chine, lors desquelles des navires de guerre et des avions de chasse chinois ont encerclé Taïwan, île dont Pékin revendique la souveraineté.
Taïwan est soutenu militairement par les Etats-Unis qui s’opposent à toute modification par la force du statut de l’île, sans appeler à son indépendance.
La Chine a accusé, vendredi dernier, le nouveau président de Taïwan Lai Ching-te de pousser l’île vers «la guerre». Washington a appelé, de son côté, Pékin à la «retenue», affirmant que «la Chine ne doit pas utiliser la transition politique à Taïwan comme un prétexte ou une excuse pour des mesures provocatrices et coercitives», selon des propos recueillis par l’AFP.
Pékin a suspendu les discussions militaires avec Washington fin 2022, en réponse à la visite à Taïwan de Nancy Pelosi, à l’époque présidente de la Chambre des représentants. Les deux pays ont renforcé leurs canaux de communication mais ont fini par opter à une politique de dégel pour, du moins, maintenir le contact. Sachant que les relations entre les deux pays sont marquées par plusieurs différends, entre autres, la Mer de Chine méridionale, Taïwan, le protectionnisme en matière de commerce et les restrictions sur l’exportation des semi-conducteurs vers l’Empire du Milieu.
Ainsi, les présidents américain Joe Biden et chinois Xi Jinping se sont rencontrés en Californie l’an dernier. A cette occasion, le président chinois a consenti à une reprise du dialogue militaire.
Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, s’est rendu en visite officielle à Pékin et Shanghai le mois dernier.
Le dernier dialogue de L. Austin avec un homologue chinois remonte à novembre 2022, lorsqu’il a rencontré Wei Fenghe, alors ministre de la Défense, au Cambodge. Ce dernier a ensuite été remplacé par Li Shangfu qui s’est entretenu avec L. Austin lors du même dialogue Shangri-La l’an passé, mais n’a pas tenu de réunion formelle avec lui.
La Chine n’était pas disposée à accepter des négociations entre MM. Austin et Li alors que ce dernier était sous sanctions américaines, un obstacle qui a été levé lors de son remplacement.
Le chef du Pentagone a, de son côté, déclaré à plusieurs reprises l’importance des communications au niveau militaire comme moyen de prévenir un éventuel conflit. MM. Austin et Dong prononceront également des discours lors du forum, au cours desquels ils devraient soulever une série de points de préoccupation. Les Etats-Unis s’inquiètent de plus en plus du développement rapide des capacités militaires de la Chine, laquelle possède déjà la plus grande marine du monde et a procédé, ce mois-ci, à un test en mer de son troisième et plus grand porte-avions.
De son côté, Pékin voit d’un mauvais œil le déploiement par les Etats-Unis de navires de guerre et d'avions de combat dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine méridionale. La Chine a affirmé, hier, qu’elle maintiendra la pression militaire sur Taïwan aussi longtemps que les provocations «indépendantistes» de l’île autonome se poursuivront.
La semaine dernière, Pékin a procédé à deux jours d’importantes manoeuvres militaires autour de Taïwan, mobilisant des navires et des avions militaires chargés de munitions réelles afin de s’entraîner à s’emparer et à isoler l’île.
Ces exercices ont débuté trois jours après le discours d’investiture du nouveau président taïwanais Lai Ching-te, jugé séparatiste par Pékin.
Rencontre «sournoise»
La rencontre est attendue alors que le président de Taïwan, Lai Ching-te, a assuré, hier, à une deuxième délégation de parlementaires américains à Taipei quant à sa volonté de travailler avec Washington pour faire face à «l’expansionnisme autoritaire». «Pour relever le défi de la pandémie, nous nous sommes entraidés. Maintenant que nous faisons face à l’expansionnisme autoritaire, nous continuons à travailler ensemble», a déclaré Lai Ching-te lors de cette rencontre avec des sénateurs américains.
Le président taïwanais a déjà reçu, lundi dernier, la visite d'une autre délégation de la Chambre des représentants, emmenée par le républicain Michael McCaul, président de la Commission des affaires étrangères de cette Chambre. «A l’avenir, nous ferons tout notre possible pour sauvegarder la démocratie et faire en sorte qu’elle brille dans le monde», a-t-il ajouté.
La sénatrice démocrate Tammy Duckworth a indiqué, en la circonstance, qu’elle se joindrait au «Stand With Taiwan Act» du sénateur républicain Dan Sullivan, un projet de loi visant à imposer des sanctions économiques, énergétiques ou financières à la Chine, en cas d’intervention ou de recours à la force à Taïwan.
Pour D. Sullivan, cette visite traduit le «soutien bipartite et solide comme le roc» à Taïwan. La délégation comptait également la présence des sénateurs démocrates Chris Coons et Laphonza Butler. Le ministère chinois des Affaires étrangères a critiqué la rencontre qu’il a qualifiée de «sournoise» et qui «envoie un signal gravement erroné à la force séparatiste pour l’indépendance de Taïwan».
Un peu plus tôt, le Bureau des affaires taïwanaises (TAO) de Pékin a annoncé que d’autres manoeuvres militaires pourraient suivre celles de la semaine dernière, baptisées «Joint Sword-2024A» (ou Epées tranchantes unies-2024A). «Tant que les provocations en faveur de l’indépendance de Taïwan se poursuivront, les actions de l’Armée populaire de libération (APL) pour défendre la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale se poursuivront», a déclaré Zhu Fenglian, porte-parole du TAO, lors d’une conférence de presse. Elle a qualifié la rhétorique du président Lai d’«extrêmement imprudente», ajoutant qu’elle «risquait» d’entraîner «inévitablement une guerre dans le détroit de Taïwan et causer de graves dommages à nos compatriotes de Taïwan».
«Nous ne tolérerons, ne cautionnerons ou n’autoriserons jamais cela, et nous devons contrecarrer et punir cela», a-t-elle déclaré.
Et de prévenir : «Plus la provocation est grande, plus la riposte est forte». La semaine dernière, Pékin a procédé à deux jours d’importantes manoeuvres militaires autour de Taïwan, mobilisant des navires et des avions militaires chargés de munitions réelles, afin de s’entraîner à s’emparer et à isoler l’île.
Ces exercices ont débuté trois jours après le discours d’investiture du nouveau président taïwanais Lai Ching-te, jugé séparatiste par Pékin.
Litiges
En parallèle, Pékin garde un œil vigilant sur les initiatives de Washington pour renforcer ses alliances en Asie. Le Japon envisage de rejoindre l’Alliance de défense AUKUS (Australie, Royaume-Uni et Etats-Unis) créée en 2021. Les 11 et 12 avril, Joe Biden a tenu, à Washington, un sommet trilatéral avec le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, le président philippin, Ferdinand Marcos Jr., pour renforcer la coopération régionale face aux ambitions géopolitiques de la Chine dans la région Asie-Pacifique.En août dernier, les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud ont tenu un sommet à Camp David, près de Washington. Dans une déclaration conjointe publiée en la circonstance, les trois pays ont condamné le «comportement dangereux et agressif» et les «revendications maritimes illégales» de Pékin en Mer de Chine.
Et de poursuivre : «Nous réaffirmons l’importance de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan». Comme ils ont appelé la Corée du Nord à «abandonner son programme nucléaire et de missiles balistiques».En réaction, la Chine a exprimé son «vif mécontentement et sa ferme opposition» et a formuler des protestations «solennelles auprès des parties concernées», a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, lors d’un point presse. Pékin accuse les dirigeants des trois pays d’avoir «dénigré et attaqué la Chine sur les questions maritimes et liées à Taïwan», de s’être «immiscés dans les affaires intérieures de la Chine» et d’avoir «délibérément semé la discorde entre la Chine et ses voisins».
Pékin a rejeté à plusieurs reprises les critiques occidentales sur ses liens avec Moscou, tout en profitant d’importations à prix cassé de gaz et de pétrole de son voisin. Washington a accusé plusieurs fois Pékin de livrer du matériel et des technologies à double usage à Moscou. (…) «Pour ce qui est de la base industrielle de défense de la Russie, son plus gros fournisseur, à l’heure actuelle, c’est la Chine. La Chine lui livre des machines-outils, des semi-conducteurs et d’autres produits à double usage qui aident la Russie à reconstruire sa base industrielle de défense que les sanctions et les contrôles des exportations ont tant contribué à dégrader.
Si la Chine affiche son désir d’entretenir de bonnes relations avec l’Europe et d’autres pays, elle ne peut pas en même temps attiser ce qui constitue la plus grande menace pour la sécurité de l’Europe depuis la fin de la Guerre froide», a déclaré A. Blinken, à l’issue d’une réunion du G7 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, Canada, Italie et France) en avril dernier, en Italie.