C’est sous ce titre (traduit de l’anglais», (WoW -Unveiling the Colours of Economy » ), que fut organisée cette rencontre sur ce thème aux multiples facettes, par l’ETF (European Training Fondation), en coopération avec le Centre international de formation de l’Organisation internationale du travail (ITC-ILO) durant trois jours, le 9 et 11 octobre 2023, à Turin (Italie), à laquelle nous avons eu le privilège d’y participer en tant que membres du réseau des experts de l’ETF.
Cette contribution présente une synthèse assez concise, de l’organisation et des enseignements de cette rencontre qui avait pour objectif de présenter et discuter des différents secteurs économiques représentés par des couleurs spécifiques, en mettant en lumière leur importance, leurs défis et leurs perspectives d’avenir. La sémantique et les concepts liés au développement durable ne cessent d’évoluer. Les expressions «économie verte», «économie bleue», «économie banche», «économie jaune», «économie orange»… sont apparues pour se substituer, tout en restant ancrées dans la matrice du développement durable, à la représentation classique de la division de l’économie en trois secteurs, Primaire (agriculture et extraction minière), (industrie) et tertiaire (services)
Les couleurs considérées, au cours de cette rencontre sont au nombre de sept :
1. Économie verte : l’économie verte est certainement la mieux connue parmi les autres couleurs de l’économie. Elle est associée à l’environnement et vise la réduction des risques environnementaux en préconisant le développement durable sans détérioration de l’environnement. Une des premières mentions du terme remonte au Sommet Planète Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro, au Brésil, en 1992.
2. Économie bleue : se concentre sur la gestion durable des ressources des eaux marines et douces, comprenant la pêche, l’aquaculture et le tourisme nautique, garantissant la santé des écosystèmes et la viabilité économique, notamment grâce à une utilisation rationnelle, optimale et responsable des ressources, en veillant à restreindre des activités engendrant la pollution marine, ce qui la rapproche du concept de l’économie verte
3. Économie jaune : cette économie se concentre sur l’exploitation du potentiel des régions désertiques. Ce modèle comprend des secteurs tels que les énergies renouvelables, le tourisme dans le désert, l’agriculture durable... L’énergie solaire, en particulier, recèle un immense potentiel dans les zones désertiques, fournissant une source d’énergie propre et abondante.
4. Economie orange : désigne les industries culturelles et créatives. Cela inclut des secteurs tels que les arts, le divertissement, la mode, le design, l’architecture, la publicité, les logiciels, l’édition et la recherche et développement. Les plateformes et technologies numériques ont transformé le paysage créatif, permettant la distribution mondiale des médias, des arts et des produits culturels tout en offrant de nouvelles possibilités de revenus et d’échanges culturels.
5. Economie blanche : l’économie blanche comprend de nombreuses activités économiques liées à l’offre de services de santé : les hôpitaux, l’industrie pharmaceutique ainsi que la fourniture des appareils médicaux. Les innovations en matière de santé numérique telles que la télémédecine, les appareils de santé portables et l’intelligence artificielle transforment la manière dont les soins sont dispensées, rendant les soins de santé plus accessibles et plus personnalisés.
6. l’économie « argentée » (SilverEconomy) : La SilverEconomy se concentre sur les besoins et les opportunités présentés par le vieillissement des populations, un changement démographique qui se produit dans de nombreuses régions du monde en raison de l’allongement de l’espérance de vie et de la baisse des taux de natalité. La SilverEconomy cherche donc à innover dans des domaines tels que les technologies d’assistance, la télémédecine et l’urbanisme soucieux de l’âge.
7. Économie de l’or : L’économie de l’or est portée par l’innovation technologique et la numérisation, se positionnant à l’avant-garde de la croissance économique mondiale grâce à des technologies avancées telles que l’intelligence artificielle, la blockchain, la finance et les services numériques.
Des technologies telles que la 5G, l’informatique quantique et l’Internet qui révolutionnent les secteurs de la santé, de la fabrication et des transports, permettant des systèmes plus intelligents et plus connectés qui améliorent l’efficacité opérationnelle.
Le recours aux couleurs pour décrire certaines activités économiques permet de réaliser une analyse plus complexe qui va au-delà du rendement financier d’un secteur particulier et fait plutôt ressortir l’importance (et l’impact) de ces activités au sein de l’économie globale. On peut compiler des données sur certaines activités économiques comme l’agriculture ou le transport de marchandises, mais prises isolément, ces données expriment peu de chose, sauf si on ne s’intéresse qu’à la performance financière.
Par contre, le fait de regrouper des données en provenance de plusieurs secteurs sous une même couleur et d’inclure les coûts pour l’environnement dans le calcul du « rendement », comme le fait l’économie verte, par exemple, permet une meilleure vue d’ensemble quant au véritable impact de certaines activités économiques. Nombreux sont les pays développés et émergents qui se sont ainsi lancés résolument dans le chemin de cette économie colorée qui se décline en plusieurs secteurs qui convergent vers la transition d’une économie capable de répondre aux besoins de toutes les tranches de la société, respectueuse de l’environnement, durable et résiliente
Qu’en est-il de l’Algérie ?Il faudrait relever qu’en Algérie deux couleurs de l’économie sont présentées et étudiées. Il s’agit de l’économie verte et de l’économie bleue, pour le reste nous n’en trouvons aucune trace
Concernant ces deux couleurs de l’économie, l’Algérie s’est engagée du moins dans le discours et la production de documents exprimant des stratégies vers l’horizon 2030, dans l’exploitation de son exceptionnel potentiel d’énergies renouvelables en substitution aux énergies fossiles pour l’économie verte, et pour l’économie bleue ,l’exploitation de son potentiel marin , avec ses 1200 km de côtes et les infrastructures maritimes et littorales déjà existantes.
L’Algérie dispose de ressources considérables et inépuisables existantes de ces énergies non encore exploitées à savoir le gisement solaire exceptionnel qui couvre une superficie de 2.381.745 Km2, avec plus de 3000 heures d’ensoleillement par an et l’existence d’un potentiel énergétique appréciable éolien et géothermique. Le potentiel existe, demeure la problématique de sa valorisation.
La prise de conscience de cette problématique a poussé les pouvoir publics à s’engager en 2011 dans la réalisation de tout un programme de développement des énergies renouvelables qui devrait produire des effets à terme, l’horizon 2030 étant fixé comme achèvement du programme. Ce programme faut-il le rappeler a été révisé en 2015.
Comme objectif premier de ce redéploiement des priorités, arriver à produire 40% de l’électricité, à l’horizon 2030, à partir des énergies renouvelables et également de se positionner comme fournisseur majeur d’électricité verte en direction du marché européen.
Pour de multiples raisons, ce programme ambitieux ne se concrétise guère comme prévu à ce jour. l’Algérie n’a réalisé selon le rapport CEREFE, (2020) qu’environ 411 MWc en comptabilisant l’ensemble des projets liés aux énergies renouvelables qu’ils soient en mode raccordé au réseau avec environ 390 MWc, soit environ 95% du total, ou autonome avec près de 21 MWc, dont la part ne représente que 5%.
En 2019, plus de 98% de l’approvisionnement en électricité était généré à partir du gaz naturel, alors que la part des énergies renouvelables n’était que de 0,82%. Le classement du WEF dans le «Energy transition Index (ETI)» exprime sans doute mieux la position de l’Algérie en matière de transition énergétique (WEF, 2021). La position de l’Algérie dans le classement de l’ETI demeure quasiment figée.
Cette position n’a pas changé durant la dernière décennie (2012-2021). Alors que la plupart des pays dans le monde ont connu à des degrés divers des avancées significatives, l’Algérie est restée quasiment figée sur sa position. En 2021, l’Algérie est positionnée dans le classement de l’index ETI au rang 79. Ayant un score de 54%, elle se place au-dessous de la moyenne mondiale qui de 59%. Ces faibles réalisations montrent le gap existant entre les intentions (exprimées sous forme d’objectifs dans les stratégies énoncées) et les réalisations. Au vu des politiques à mettre systématiquement en œuvre (concernant les entreprises, les consommateurs, les partenaires étrangers en matière d’investissement et de partenariat, en matière d’innovation et de formation, …) pour réussir à édifier , à terme, les bases irréversibles d’une transition énergétique réussie et assoir les ressorts d’une économie verte, nous pouvons affirmer qu’il ne suffit pas d’élaborer des stratégies consignées dans des documents officiels et d’émettre des programmes aussi ambitieux soient-ils avec des objectifs définis pour pouvoir s’engager dans une entreprise aussi complexe que celle de la transition énergétique et la construction d’une économie verte durable.
Quant à l’économie bleue, l’Algérie a, là aussi, un potentiel très appréciable avec ses 1200 km de côtes et les infrastructures maritimes et littorales déjà existantes. Une Stratégie nationale pour l’Économie Bleue (la SNEB) à l’horizon 2030 a été élaboré en 2021 pour exploiter au mieux cette économie bleue qui exprime la vision de l’Algérie en matière d’utilisation durable des ressources, la valorisation des potentiels de ses écosystèmes marins et littoraux, et devant contribuer à la sécurité sanitaire, alimentaire et la résilience socio-économique du pays ainsi que la régulation et la gestion de l’espace maritime »
Mais là aussi comme cela a été souligné par de nombreux experts, la concrétisation de cette stratégie de l’économie bleue dépendra de la capacité des acteurs clés au niveau national à identifier tous les facteurs de vulnérabilités de l’espace maritime national et des zones côtières, pour apporter les réponses opérationnelles nécessaires, réduire les risques, renforcer la résilience, en particulier face aux effets négatifs des changements climatiques. Comme l’affirme Samir Grimes, expert algérien reconnu en économie bleue, outre le fait qu’il faut revoir et reconfigurer les systèmes de production au niveau national, une telle transition exige également de réformer en profondeur les modèles de coopération et de partenariats tant au niveau national qu’international. Cette approche pose deux grands défis au pays : celui de l’innovation et celui de la numérisation des sphères économique et sociale
On peut relever concernant les réalisations la construction de 11 grandes unités de dessalement d’eau de mer, avec une capacité de production d’eau potable de 2, 1 millions de mètres cubes et 27 stations de déminéralisation, en vue de garantir une eau potable disponible et de qualité répondant aux normes en vigueur, au profit des populations. Mais on ne dispose quasiment pas de données pour l’heure sur la réalisation des objectifs exprimés, sur la pèche, l’aquaculture, le tourisme balnéaire (étrangers et locaux), la pollution marine générée par le dessalement de l’eau de mer (les avis étant partagés) sur l’état des zones marines protégées…
En définitive, énoncer des stratégies, certes, élaborer des plans d’action réalisables, c’est sans doute là où réside toute la difficulté (plan devant identifier les objectifs à atteindre, les moyens et les sources de financement nécessaires, les partenaires impliqués dans tous les projets, et les indicateurs d’évaluation en terme d’efficacité (degré de réalisation des objectifs) et d’efficience (à quel coûts a-t-on réalisé les objectifs tracés)…
On ne semble pas mesurer les écarts entre ce qui est entrepris dans les économies occidentales mais aussi dans les économies émergentes.
Ils sont énormes en termes d’innovation, de savoir-faire capitalisé et de perspectives réelles d’avancées significatives dans la transition vers des modes de croissance et de développement durable. Nous devions reconnaître en Algérie les énormes défis qui se posent. Quel est l’état réel de notre économie, quel est l’état de notre système de formation, quels sont nos capacités réelles d’innovation ? …Et d’autres questions encore dont les réponses apportées doivent permettre non pas de combler progressivement les écarts, (les pays, les entreprises continuent entre-temps d’avancer) mais pour ne pas rester en marge de cette dynamique mondiale.
Il faudrait par conséquent bien comprendre les enjeux de tels changements, mais surtout aussi la somme d’efforts nécessaires en termes d’investissement, certes mais sans doute plus encore en termes de formation, d’innovation, de gouvernance et d’efficience.
Par Dr Boutaleb Kouider ,
Chercheur associé au Laboratoire GPES
Faculté des sciences économiques
et de gestion Université de Tlemcen Algérie