Deuxième tour de la présidentielle en Turquie : Erdogan ou la résurrection d’Ataturk ?

28/05/2023 mis à jour: 00:15
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La Turquie s’apprête à un second tour aujourd’hui pour élire son Président. Il oppose le chef de l’Etat sortant, Recep Tayyip Erdogan, qui est arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle le 14 mai, et Kemal Kiliçdaroglu. Erdogan a obtenu 49,5% des voix et son adversaire 44,9%, soit 2,5 millions de voix d’écart entre les deux. L’ultranationaliste Sinan Ogan est arrivé en troisième position avec 5,2% des voix. 

Lundi dernier, il a annoncé son soutien à Erdogan. Tous partis confondus, les nationalistes ont réuni 23% des suffrages lors des législatives, qui étaient convoquées le 14 mai. Erdogan s’est présenté à cette consultation sous la bannière de l’Alliance populaire, une coalition composée de sa formation, le Parti de la justice et du développement (AKP), le Parti d’action nationaliste (MHP) d’obédience ultranationaliste, le Parti de la prospérité (RP), le Parti de la cause libre (Hüda Par), le Parti de la grande union (BBP) ou le Parti démocratique de gauche (DSP). 

Député, puis président du Parti républicain du peuple (CHP, parti kémaliste, à l’origine de la fondation de la République), K. Kiliçdaroglu s’est fait connaître du grand public en dénonçant plusieurs affaires de corruption impliquant des proches du pouvoir. En 2017, il est à la tête d’une marche pour la justice reliant Ankara à Istanbul, contre les purges massives menées par le gouvernement à la suite du putsch militaire raté de juillet 2016. 

Pour ce scrutin, il s’est présenté comme dirigeant d’une coalition de six partis, nommée l’Alliance de la nation : le CHP, le Bon Parti (Iyi), le Parti de la félicité (SP), le Parti de la démocratie et du progrès (Deva), le Parti de l’avenir (GP) et le Parti démocrate (DP). Il a en outre reçu le soutien du parti prokurde HDP, troisième force politique du pays.

 Il s’est notamment engagé à ne pas confisquer le pouvoir après avoir «restauré la démocratie», d’abandonner le régime présidentiel introduit en 2018 et le retour à la séparation des pouvoirs. Il compte ainsi revenir à un système parlementaire dans lequel les pouvoirs de l’Exécutif seront confiés à un Premier ministre élu par le Parlement. 

La présidentielle intervient alors que le pays se débat dans une crise économique. L’inflation a dépassé les 85% à l’automne. La livre turque s’effondre face au dollar. Entre 2013 et 2022, sa valeur a chuté d’environ 90%. En avril, la devise est tombée à presque 20 livres pour un dollar. Aussi, le séisme du 6 février a fait au moins 50 000 morts et plus de trois millions de déplacés.

Frictions avec l’Occident

Sous la présidence d’Erdogan, la Turquie a renforcé ses liens avec la Russie. Ainsi, le 9 août 2016, Recep Tayyip Erdogan se réconcilie avec son homologue russe, Vladimir Poutine, après une crise consécutive à la destruction d’un avion russe par la Turquie à la frontière syrienne fin 2015. Le 10 juillet 2019, la Turquie affirme qu’elle poursuivra les travaux de forage des gisements gaziers au large de Chypre, malgré les mises  en garde de l’Union européenne (UE). Le 12, elle reçoit la première cargaison de batteries de missiles russes S-400, en dépit des avertissements américains.

 La Turquie bloque également la demande d’adhésion de la Suède à l’OTAN après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, affirmant que Stockholm a hébergé des ennemis de l’Etat turc. Concernant l’intervention russe en Ukraine, la Turquie a opté pour une vision d’équilibre sur le conflit. Elle a refusé d’imposer des sanctions occidentales à la Russie, mais a vendu à l’Ukraine des drones Bayraktar. Ankara a également joué le rôle d’intermédiaire dans les accords relatifs à l’exportation des céréales ukrainiennes vers le reste du monde à travers la mer Noire. En Libye, ses forces soutiennent le gouvernement d’Union nationale, basé dans la capitale Tripoli, contre les forces rebelles de l’est du pays dirigées par le général Haftar.

En Irak et en Syrie, les forces turques s’opposent à un groupe appelé les Unités de défense du peuple (YPG), ainsi qu’à des éléments du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui est interdit en Turquie. Partenaires des Occidentaux dans la lutte antijihadiste, les YPG sont considérées comme une organisation «terroriste» par Ankara pour leurs liens avec le PKK, qui mène une guérilla en Turquie. D’où l’irritation des Etats-Unis. La Turquie a adhéré à l’initiative chinoise «la Ceinture et la Route» pour améliorer les liens commerciaux et a contracté des prêts auprès de la Chine. 

S’il est élu président, Kiliçdaroglu affirme qu’il évoquera la question des Ouïghours avec Pékin. Comme il compte relancer la demande d’adhésion de la Turquie à l’UE et veillera à ce que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme soient respectés dans son pays. Mais il projette de se retirer de l’accord conclu avec Bruxelles pour accueillir des millions de réfugiés syriens. 

On estime à 3,7 millions le nombre de Syriens officiellement enregistrés comme vivant en Turquie, après avoir fui la guerre civile dans leur pays d’origine, ainsi que des réfugiés d’autres pays, comme l’Afghanistan. Il a affirmé qu’il optera pour une politique étrangère «non interventionniste». Reste à savoir s’il retirera les forces turques d’Irak, de Syrie ou de Libye. 

D’Ataturk à l’AKP

Le 10 août 1920, le traité de Sèvres entérine le démembrement de l’empire ottoman et réduit la Turquie à la seule Anatolie occidentale. Kemal rejette le traité et lance la guerre d’indépendance contre les Grecs (soutenus par les Britanniques), qui prend fin en 1922. En juillet 1923, le traité de Lausanne supprime celui de Sèvres et fixe les frontières de ce qui constitue pour l’essentiel la Turquie actuelle. Les Grecs se retirent des territoires qu’ils occupaient, à la faveur d’un échange de populations. Proclamée en octobre, la République turque sous l’égide de Mustapha Kamel, qui devient Ataturk (le père de la nation), voit le système de califat aboli en mars 1924. Suit la consécration du caractère séculier de l’Etat. 

Deux faits nouveaux émergent après la fin de la Seconde Guerre mondiale en Turquie. Il s’agit en premier lieu de l’abolition du système du parti unique en novembre 1945, et une nouvelle formation politique, à savoir le Parti démocratique, gagne les élections de juillet 1946. Suit l’abandon par le nouveau pouvoir de sa politique de neutralité observée jusque-là, lequel bascule dans le camp occidental. En 1952, la Turquie intègre l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). 

Pour préserver les principes kemalistes, comme elle l’a affirmé, l’armée s’empare du pouvoir en mai 1960. Elle récidivera en 1971 et en 1980. Elaborée à la suite du coup d’Etat militaire de 1980, la Constitution de 1982 a toujours été contestée en Turquie, car l’armée a accaparé le rôle de régulateur du système. Progressivement, la Turquie effectue son retour à la démocratie en 1983 sous la direction de Turgut Özal et de sa formation politique, le Parti de la mère patrie (ANAP). 

D’autant qu’il souhaite intégrer son pays dans la communauté européenne. Dans la perspective de l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE, la Loi fondamentale turque est réformée au début des années 2000, afin de répondre aux normes européennes en matière de respect des libertés fondamentales. Ainsi, faudrait-il aussi réduire le rôle de l’armée dans la vie politique, notamment par l’intermédiaire du Conseil de sécurité nationale, dont la composition et le rôle sont remaniés lors de la révision d’octobre 2001. 

Arrivé au pouvoir en 2002, l’AKP a poursuivi cette ligne, en facilitant l’application de la convention européenne des droits de l’homme par la justice turque et en consacrant l’égalité hommes-femmes ainsi que l’abolition de la peine de mort par une autre révision constitutionnelle, adoptée en 2004. Premier ministre depuis 2003, Erdogan entend conserver sa mainmise sur le pouvoir à travers ses nouvelles fonctions. 

En 2007, les partisans kemalistes au niveau de l’armée, la justice, entre autres, ont empêché l’élection par le Parlement de Erdogan à la présidence de la République. De son côté, l’AKP a fait adopter par référendum une révision constitutionnelle qui réduit le mandat présidentiel de sept à cinq ans et instaure l’élection présidentielle au suffrage universel. Après les élections législatives de 2011 dont Erdogan est sorti victorieux, ce dernier plaide en faveur d’un système présidentiel. 

Le 10 août 2014, le président Erdogan est élu chef de l’Etat dès le premier tour de l’élection présidentielle qui se déroule pour la première fois au suffrage universel direct et déclare que désormais «le régime est devenu de fait présidentiel». Aux élections législatives du 7 juin 2015, l’AKP arrive en tête, mais est pour la première fois privé de sa majorité absolue au Parlement, en raison notamment du bon score du parti prokurde HDP de Selahattin Demirtas. 

Le président Erdogan convoque des élections anticipées le 1er novembre suivant, remportées par l’AKP. Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, une tentative de coup d’Etat par une faction de l’armée a lieu. Elle est imputée au prédicateur islamiste Fethullah Gülen, installé aux Etats-Unis. Ce dernier dément. Erdogan réclame l’extradition de Gülen. Le 24 juin 2018, Erdogan remporte la présidentielle dès le premier tour.

 Le scrutin marque le passage du système parlementaire à un régime présidentiel où le chef de l’Etat concentre le pouvoir exécutif, au terme d’une révision constitutionnelle adoptée en 2017. En juillet, la Turquie lève l’état d’urgence en vigueur depuis deux ans.

 En 2019, l’AKP arrive en tête à l’échelle nationale aux municipales, mais perd Ankara et la plus grande ville du pays, Istanbul, marquant le pire revers électoral d’Erdogan depuis l’arrivée au pouvoir de son parti en 2002. 

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