Deux gouvernement rivaux se disputent le pouvoir : Minée par les divisions, la Libye replonge dans la crise

05/03/2022 mis à jour: 05:04
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Le report en décembre des élections a aggravé les divisions dans le pays. Ici, Fathi Bach Agha et Khalifa Haftar, le mardi 21 décembre 2021

Le Misrati Fathi Bach Agha a délogé l’autre Misrati Abdelhamid Dbeyba de la présidence du gouvernement libyen, selon la même procédure suivie par Dbeyba pour l’accession au pouvoir. Bach Agha prépare son entrée à Tripoli et la passation des pouvoirs à son gouvernement. 

Ce ne sera pas chose facile, puisque Dbeyba n’est pas d’accord. Pourtant, tout comme Dbeyba, le 10 mars 2021, Bach Agha a obtenu la confiance du Parlement libyen, le 1er mars 2022. Lequel Parlement a déjà retiré sa confiance à Dbeyba depuis la réunion du 10 février dernier. La situation semble se compliquer en Libye.

Le clan du maréchal Khalifa Haftar est, semble-t-il, parvenu à déplacer le différend interlibyen d’Est-Ouest à Ouest-Ouest, en réussissant à rallier une frange de la ville de Misrata, celle de Fathi Bach Agha, le nouveau chef du gouvernement libyen, ayant obtenu l’aval du Parlement et ayant été cautionné par 54 membres du Conseil de l’Etat, en respect des règles constitutionnelles en vigueur en Libye. Ce rapprochement était à la base du cessez-le-feu de juin 2020 en Libye, signé alors entre Khalifa Haftar et Ahmed Myitigue, avec la bénédiction de Moscou. 

Depuis, les tractations ont évolué ; un cessez-le-feu final a été signé par la Commission militaire 5+5, dont les membres de l’Est et de l’Ouest entretiennent de bonnes relations et travaillent pour la réunification de l’Armée libyenne, ainsi que le départ des troupes étrangères et des mercenaires de Libye. 

Paradoxalement, c’est le gouvernement Dbeyba qui freine l’action de cette commission militaire, trop complaisante avec l’Est, selon ce dernier, qui réclame un droit de regard, dont il n’a pas les prérogatives en tant que gouvernement de transition, chargé de préparer les élections. 

Un petit regard sur les événements ayant abouti début 2021 au choix du gouvernement Dbeyba en février à Genève peut facilement rappeler que le quatuor mené par Dbeyba l’avait emporté de justesse face à celui mené par Bach Agha, au sein de la commission politique. Néanmoins, le Parlement a joué le jeu et validé le gouvernement Dbeyba avec l’idée qu’il s’agit d’une autorité transitionnelle qui disparaîtra après les élections, prévues le 24 décembre 2021, auxquelles Dbeyba n’avait pas le droit de participer. Or, ce dernier a bafoué cette règle et s’est présenté aux élections, provoquant une situation complexe ayant abouti au report sine die des élections. 

Le Parlement libyen n’est pas resté les bras croisés. Il a proposé au Conseil de l’Etat d’accéder à sa requête d’installer une commission pour asseoir une base constitutionnelle aux élections en contrepartie du limogeage de Dbeyba et l’installation de Fathi Bach Agha. Haftar et son clan ont réussi leur coup en obtenant la signature de 54 membres du Conseil de l’Etat en faveur du limogeage de Dbeyba. La règle constitutionnelle exigeant juste 50 signatures et la majorité du Parlement. Vu sous cet angle, le limogeage de Dbeyba est réglementaire.

Déroulement

La réunion du Parlement s’est tenue à Tobrouk en présence de 102 députés, alors que 8 députés ont enregistré leur participation en ligne, selon l’annonce de Salah Aguila, le président du Parlement. Le gouvernement Bach Agha a obtenu le soutien de 97 députés, 89 présents et 8 par vote électronique. Il a largement dépassé la majorité requise, puisque le Parlement comprend 163 membres, selon son président Aguila Salah. La barre de la majorité étant fixée à 82 voix favorables ; Bach Agha a déclaré que le vote de confiance, transmis en direct, a observé toutes les règles requises de transparence.

 Dans son allocution devant les députés, le nouveau chef du gouvernement a assuré que «mes priorités sont les élections, le départ des mercenaires et l’unification de l’armée libyenne, sans oublier l’amélioration du quotidien des Libyens, qui demeure notre priorité absolue». Par ailleurs, le politologue libyen Brahim Fitouri a indiqué à Sky-News que «c’est la première fois que la liste des ministres passe par le scanner de l’Instance de lutte contre la corruption et le registre des délits criminels». Le gouvernement Bach Agha, composé de 30 ministres et 3 vice-présidents, a prêté serment avant-hier devant le Parlement. 

C’est la première fois depuis 2014 qu’un ministre de la Défense est désigné, en la personne de Hmeyed Houma, l’ex-2e vice-président du Parlement.

Concernant les réactions étrangères, Stéphanie Williams, la représentante du secrétaire général de l’ONU, s’est montrée prudente face à cette lutte de légitimité entre les gouvernements Dbeyba et Bach Agha. Elle a néanmoins pris position en faveur d’une commission entre le Parlement et le Conseil de l’Etat pour assurer une assise constitutionnelle aux élections, qu’elle considère la priorité des Libyens. Dbeyba avait lui-aussi chargé sa ministre de la Justice de préparer pareille assise. 

Concernant la passation des pouvoirs, Dbeyba a ordonné, avant-hier, la fermeture de l’espace aérien au-dessus de Tripoli pour empêcher l’avion de Bach Agha d’atterrir. Une guerre de communiqués secoue la scène libyenne. Bach Agha informe les autorités sécuritaires qu’il est le chef du gouvernement légitime désigné par le Parlement, alors que Dbeyba l’accuse de falsification. Tout dépendra du poids de chacun d’eux auprès des forces sur le terrain. La Libye continue à vivre dans le chaos.

Tunis 
De notre correspondant  Mourad Sellami

L’ONU propose une médiation pour faciliter la tenue des élections

La représentante de l’ONU en Libye a proposé hier une médiation entre les camps rivaux pour faciliter la tenue des élections, dont le report en décembre a aggravé les divisions dans le pays, désormais doté de deux gouvernements concurrents. Pour essayer de rapprocher les parties, l’Américaine Stephanie Williams, conseillère spéciale du secrétaire général de l’ONU en Libye, a proposé la mise en place d’un comité réunissant des représentants de deux instances rivales : la Chambre des représentants qui siège à Tobrouk dans l’Est du pays, et le Haut Conseil d’Etat, basé à Tripoli et qui fait office de Sénat. «Hier soir, j’ai envoyé des lettres aux dirigeants de la Chambre des représentants et du Haut Conseil d’Etat les invitant à nommer six délégués de chaque chambre pour former un comité mixte afin d’élaborer un cadre constitutionnel consensuel», a indiqué hier Mme Williams sur Twitter. Ce «cadre constitutionnel» devrait régir les futures «élections présidentielle et législatives» que l’ONU souhaite voir se tenir «le plus rapidement possible», après le report du double scrutin qui était prévu en décembre, a expliqué Mme Williams dans les lettres qu’elle a rendues publiques. Elle a proposé que ce comité se réunisse à partir du 15 mars pour se pencher «pendant 14 jours» sur ce cadre constitutionnel. A. Z.

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