Des experts posent le problème de la gouvernance : Ces improvisations qui minent l’économie

15/02/2022 mis à jour: 21:00
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Photo : D. R.

Un mois et demi après l’entrée en vigueur de la loi de finances 2022, où sont contenues de nouvelles mesures de fiscalité visant à renflouer les caisses de l’Etat, ce dernier décide de faire machine arrière pour annuler ou geler certaines dispositions fiscales.

C’est en pompier que le président Tebboune a été contraint d’intervenir, au cours du dernier Conseil des ministres tenu ce dimanche, pour tenter de «maîtriser», quelques semaines seulement après la signature de la LF-2022, la flambée des prix qui a touché ces derniers temps pas mal de produits alimentaires, notamment sur le marché national.

En effet, un mois et demi après l’entrée en vigueur de la loi des finances 2022, où sont contenues de nouvelles mesures de fiscalité visant à renflouer les caisses de l’Etat, il décide de faire machine arrière pour annuler ou geler certaines dispositions fiscales de la loi de finances en cours à l’effet de stopper la folie des prix.

Comment est-ce possible ? La question, incontournable, est sur toutes les lèvres. Les interrogations fusent sur la légalité d’une telle action de l’Exécutif par rapport à une loi de finances – un document politique et juridique à la fois – votée par le Parlement. Au-delà du juridique, l’urgence de la situation de crise semble aussi être de la partie. Le président Tebboune, qui vient ainsi de pendre le contre-pied  de sa politique économique inscrite dans la loi initiale, sera-t-il obligé de rectifier le tir par le truchement d’une loi de finances complémentaire ? La question reste posée.

Cependant, il faut bien noter que d’aucuns attendaient une intervention des autorités par rapport à une situation économique et sociale des plus intenables. «Le Président a ordonné le gel, à compter d’aujourd’hui (dimanche, ndlr) et jusqu’à nouvel ordre, de tous les impôts et taxes, notamment les taxes contenues dans la loi de finances 2022 sur certains produits alimentaires.

La suppression de tous les impôts et taxes sur le e-commerce, les téléphones portables, les matériels informatiques à usage personnel et les start-up en se contentant des tarifications réglementées. Le Président a ordonné au gouvernement de prendre toutes les mesures et procédures visant à faire éviter aux citoyens l’impact de la flambée vertigineuse des prix dans les marchés internationaux durant l’année en cours jusqu’à leur stabilisation», selon le communiqué du Conseil des ministres, repris par l’APS. D’aucuns s’interrogent sur l’impact de telles mesures.

Contacté, Mahfoud Kaoubi, économiste, admet que cela «pourrait intervenir déjà sur certains produits (pâtes alimentaires qui sont fabriquées avec le blé subventionné)». Mais, a-t-il poursuivi, «il s’agit là d’une remise en cause de la subvention dans son principe même, tel qu’énoncé dans la loi de finances 2022». «C’est une remise en cause sérieuse de toutes les dispositions d’impôts qui ont touché à la consommation des ménages. Logiquement, la consommation ne se limite pas aux denrées alimentaires. Les médecins, les avocats, les notaires devraient être concernés aussi», a-t-il analysé.

Médecins, avocats et notaires

En somme, le gouvernement, qui a voulu exploiter de nouvelles niches fiscales, est contraint de reculer. Il n’a guère plus le choix que de revenir à la défiscalisation des intrants pour les produits de bétail. «La LF-2022 a prévu de fiscaliser l’opération des importations des intrants à la fabrication des aliments de bétail en instituant une TVA de 9% et des droits de douane de 20%. Ces produits, qui étaient jusque-là défiscalisés (0% TVA et 0% douane), ont non seulement donc connu une augmentation des prix sur le marché international mais ils ont subi également aujourd’hui l’effet haussier de ces taxes (13% entre TVA et droits de douane).

Ces taxes sont répercutées sur les prix de vente des produits comme les œufs, les viandes rouges, le poulet de chair). Il s’agit là d’un des facteurs qui a généré une telle augmentation des prix, en plus de la hausse des prix à l’international, l’inflation et la désorganisation de la filière. L’offre est devenue moins importante et les coûts de production ont augmenté», selon Kaoubi. Dans la foulée, le sucre (9% de TVA) sera donc aussi défiscalisé comme avant, selon notre interlocuteur.

L’huile de Soja aussi. Kaoubi considère que l’annonce qui a été faite reste quand même «un peu floue». Il se demande si ces mesures ne vont pas au-delà de la LF-2022 pour concerner aussi la LFC-2021. Car, selon lui, les médecins, les avocats et enfin toutes les fonctions libérales dont on a remodelé les tarifs d’imposition de l’activité seront concernés, si «on reste dans la logique» de la préservation du pouvoir d’achat qui est recherchée.

Et d’expliquer : «Les médecins étaient au forfait (12% du chiffres d’affaires), ils sont passés au réel au terme de la loi de finances 2022. Les tarifs des consultations devraient donc augmenter puisque les médecins devraient revoir les prix de la prestation. Idem pour les avocats, les notaires, les dentistes, les laboratoires d’analyses médicales ainsi que le secteur de l’immobilier, dont il a été institué qu’au-delà de 600 000 DA par an, l’on doit s’acquitter d’un taux d’IRG de 30% au lieu de 7% libératoires. Les loyers devraient ainsi augmenter. Le secteur de l’immobilier est en proie à la crise.»

Instaurer un climat de confiance

Pour l’économiste Smail Lalmas, ce rétropédalage de la part de l’Exécutif était «prévisible». «On ne peut pas décider la levée des subventions dans la situation actuelle. Il faut installer un climat de confiance. Au moment où tout le monde revoit le système de taxes et d’impôts pour un allégement, chez nous, on fait le contraire. La crise est réelle et la chute du pouvoir d’achat est là avec la hausse généralisée des prix et la dégringolade du dinar par rapport aux monnaies étrangères.

Ceci dit, ce sont là des mesures très minimes», a-t-il expliqué. Lalmas considère que le gouvernement doit prendre des «initiatives beaucoup plus importantes pour soulager les franges les plus vulnérables de la société et régler le problème». Il recommande, par exemple, de «réaménager le taux de la TVA qui va falloir faire passer de 19 à 9%», et de «revoir les salaires dans les meilleurs délais».

Il affirmera dans la foulée qu’il faut également «revaloriser les pensions de retraite» car «les engagements du pouvoir n’ont pas été respectés» sur ce registre. Il en est de même pour les chômeurs. «Notre économie n’arrive pas à absorber le chômage qui atteint des proportions de plus en plus importantes. Ce pouvoir a le devoir d’assurer une allocation chômage pour aider les sans-emploi à supporter la détresse dans laquelle ils se trouvent.

Par ailleurs, il faut également instaurer un climat de confiance aux investisseurs pour créer de la richesse. Mais tant que la crise politique n’est pas surmontée, le climat de confiance ne sera pas au rendez-vous. Pas de confiance, pas de business», a-t-il considéré, avant de lâcher : «Il faut renouer avec l’espoir.» En somme, il est à se demander si le gouvernement a manqué de sens d’anticipation ?

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