Débat au 14e Festival local du théâtre professionnel de Guelma : Mohammed Charchal revendique un théâtre algérien sans parole

15/10/2023 mis à jour: 11:30
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Scène GPS, une pièce silencieuse de Mohammed Charchal

Je me prétends être un metteur en scène qui a créé un nouveau style dans la pratique théâtrale en Algérie, un style qui n’est pas nouveau au niveau mondial», a-t-il dit lors d’un débat modéré par l’enseignant d’arts dramatiques et metteur en scène Habib Boukhelifa. 
 

Dans ce style, Mohammed Charchal, formé à l’Institut national d’art dramatique et chorégraphique (Inadc, actuel Ismas) à Bordj El Kiffan, à Alger, a décidé de ne plus recourir à la parole sur scène. «J’ai retrouvé ce que je cherchais dans les textes de Eugène Ionesco (dramaturge franco-roumain). Il a vécu ce que moi-même j’ai senti. Il n’était pas satisfait du théâtre qui se faisait à son époque. Il avait écrit dans Notes et contre-notes qu’il s’ennuyait en regardant les pièces de Racine ou de Shakespeare. Cela s’applique au théâtre qui se fait chez nous avec tout le respect que j’ai aux expériences qui se font ici et là», a déclaré Mohammed Charchal.
 

«Parfois, j’ai mal à la tête en regardant certaines pièces chez nous où la parole prime sur l’action sur scène. Je n’aime pas ce théâtre où la parole domine le spectacle avec une diarrhée verbale. Je ne m’attaque pas au texte, loin de là. Le texte dramatique est différent de ce qui se passe chez nous», a-t-il ajouté.
 

J’ai fait un choix radical d’enlever le texte exprimé

Il existe, selon lui, des comédiens qui ne savent pas quoi faire sur scène sans texte. «Les metteurs en scène se cachent aussi derrière le texte. J’ai fait un choix radical d’enlever le texte exprimé. Je suis un auteur qui a écrit des textes pour le théâtre. J’ai poussé l’auteur en moi vers la retraite pour aller vers une nouvelle expérience qui m’ouvre des perspectives de création plus grandes», a déclaré le metteur en scène. En 2020, Mohammed Charchal a mis en scène GPS, une pièce silencieuse. 

L’expression se fait à travers les mouvements des comédiens sur scène, la chorégraphie et la musique. GPS, consacrée meilleur spectacle arabe en Jordanie et primée en Tunisie, a été précédée, en 2019, par une autre pièce, Ma bqat hadra (Plus rien à dire) où il a alterné des actes parlés avec des actes sans parole. Il n’était pas facile pour le metteur en scène d’imposer ce nouveau choix esthétique.
 

«J’ai déposé un dossier au théâtre régional de Mascara. Il a été refusé par la commission artistique, parce que le deuxième acte de la pièce ne portait pas d’action verbale, mais évoquait l’installation d’un laboratoire dans lequel les scènes étaient élaborées avec les comédiens. Les comédiens vont chercher leurs voix qui leur ont été enlevées. J’avoue que c’était une aventure», a-t-il confié.

 Et d’ajouter : «Finalement, la pièce a été montée au Théâtre régional de Skikda et a décroché le premier prix du Festival national du théâtre professionnel d’Alger (FNTP). C’était le début d’une nouvelle expérience théâtrale. J’avais peur que l’expérience soit rejetée par le public. Le public algérien aime la parole et les mots sensés. Et dans le monde arabe, la parole et la poésie sont très présentes dans le théâtre en raison d’une culture orale ancrée dans les sociétés.»
 

Pourquoi n’avons-nous pas des dramaturges comme Anton Tchekhov ?

Pour Mohammed Charchal, le théâtre est d’abord une action sur scène avant d’être un texte. «Il y a des textes dramatiques de qualité. Je ne parle pas de cela. Je parle de ceux qui prétendent écrire une pièce de théâtre en trois jours. En fait, ils écrivent de la hadra, du bavardage. Après, un comédien apprend par cœur ce texte et va le répéter comme un perroquet sur scène. J’ai alors décidé de mettre à nu ce comédien en lui enlevant le texte. Je me suis référé à mes études muettes à l’Inadc. Des études qui permettaient au comédien de mieux connaître l’action», a-t-il détaillé. Pour lui, les auteurs dramatiques sont rares en Algérie. «J’entends par-là, les auteurs qui écrivent des textes dramatiques, qui développent le comportement logique du personnage, la succession d’événements, installent le conflit... Pas ceux qui vendent de la parole. Pourquoi n’avons-nous pas des dramaturges comme Anton Tchekhov (dramaturge russe) ? Où est la faille ? 

L’Algérie n’est-elle pas capable d’enfanter des auteurs de talent ? Nous n’avons toujours pas de vrais dramaturges. Si j’avais trouvé de bons textes dramatiques, j’aurais peut-être évité de faire du théâtre muet», a-t-il soutenu. Le théâtre silencieux impose, selon lui, de nouvelles méthodes de travail avec des priorités en matière de traitement avec les partenaires du spectacle. 

«Le comédien est le plus important d’entre eux. Il est au cœur du processus créatif. Avant d’aller aux décors et aux costumes, il faut s’investir dans le comédien pour le mettre sur la voie de la création. Je ne dis pas au comédien ce qu’il doit faire sur scène. Il doit faire des propositions. Le comédien va défendre une situation qu’il a proposée. J’ai retenu une leçon : un bon metteur en scène est celui qui s’efface devant ses comédiens», a-t-il détaillé.
 

On nous demande de penser petit

Pour lui, certains comédiens ne peuvent pas s’adapter à cette méthode d’élaboration du spectacle. «Nous avons besoin de comédiens intellectuels, actifs et prêts à travailler, pas ceux qui viennent le matin avec un café dans la main, demandant ce qu’il doit faire ! La mise en scène est d’abord une pensée, pas une mise en place scénique. Le scénographe, le musicien et le chorégraphe participent tous à la construction du spectacle. C’est un travail d’équipe. J’ai proposé de créer un laboratoire sur les recherches et les expériences théâtrales au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi, à Alger (TNA). Pas de réponse à ce jour», a regretté Mohammed Charchal. Il a appelé les praticiens du théâtre algériens pour sortir des méthodes classiques et explorer «d’autres pistes, d’autres formes».

 Il a critiqué le peu de moyens financiers accordés aux théâtres régionaux pour produire des spectacles d’envergure. Il a cité l’exemple de son projet «Meta show» bloqué au Théâtre régional de Tizi Ouzou en raison d’un budget limité (3 millions de dinars) qui lui a été alloué. «Aujourd’hui, nous avons des rêves et des idées qui ne peuvent pas être concrétisés. On nous demande de penser petit. S’il y a une réelle volonté, tous les problèmes seront résolus», a-t-il dit. 
 

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