De la colonisation à l'indépendance de l'Algérie : Le choc des images, le poids des engagements

27/02/2022 mis à jour: 06:39
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Au moment du montage, le réalisateur Rafael Lewandowski, l’historienne Raphaëlle Branche et au premier plan la narratrice Lyna Khoudri / Photo : El Watan

C’est un documentaire d’une durée de presque six heures d’antenne, en six épisodes, que diffusera mardi 1er et mercredi 2 mars, la chaîne Arte, en collaboration avec l’Institut national de l’audiovisuel.

Le documentaire «En guerre(s) pour l’Algérie» renouvelle la représentation de l’invasion coloniale et de la lutte des asservis pour en sortir. Ce n’est certes pas le premier exercice du genre mais l’éloignement du conflit à plus de soixante ans permet à présent à la parole de s’exprimer plus librement. D’abord la violence coloniale et les raisons largement justifiées d’y mettre fin sont clairement explicitées dès le premier épisode de ce documentaire co-écrit par l’historienne Raphaëlle Branche et le réalisateur Rafael Lewandowski pour la chaîne Arte, en collaboration avec l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et la radio France Culture.

Avec cette réalisation téméraire, la thématique de l’égalité factice des «deux côtés» ne fait plus recette et explose littéralement (sans faire de jeu de mot) devant la réalité aujourd’hui largement admise de la volonté d’un peuple majoritaire de vivre libre, face à l’absurde et criminelle ténacité d’une minorité coloniale de ne rien céder sur ce qui était devenu pour elle «son» pays.

D’avoir surpassé le manichéisme qui règne en maître depuis des décennies, ouvre des perspectives inédites à ce nouveau documentaire qui se place à la hauteur du souvenir et de la chair meurtrie, quelles que soient la place de l’engagement et la souffrance de chacun ou de ses aînés dans le conflit.

Les enjeux d’un conflit colonial traumatisants

En mêlant habilement les vies de tous ces témoins et en confrontant leurs perceptions émotionnelles, le documentaire en devient passionnant en liant leurs paroles avec de nombreuses archives, souvent inédites, dont certaines sont saisissantes.

De France ou d’Algérie, on comprend dès lors mieux les enjeux d’un des conflits coloniaux les plus traumatisants du XXe siècle comme l’indique la présentation de la chaîne Arte : Ils sont civils algériens, Français d’Algérie, appelés du contingent, engagés et militaires de carrière français, militants indépendantistes du FLN (Front de libération nationale) et du MNA (Mouvement national algérien), combattants de l’ALN (Armée de Libération Nationale), intellectuels et étudiants, réfractaires, personnels de l’administration française en Algérie, membres de l’OAS (Organisation armée secrète), supplétifs de l’armée française, membres des réseaux français de soutien (porteurs de valise)…

Maintenant que la guerre est loin et qu’eux-mêmes sont vieux, leur éloquent propos exprime clairement la complexité et la douleur sans langue de bois, sans rien occulter. Certains parlent de la torture infligée et d’autres de la torture supportée.

Des anciens combattants du FLN de France et d’autres du MNA racontent sans retenue et froidement les assassinats ciblés qu’ils avaient reçu l’ordre de pratiquer. Les ex-OAS se livrent sur leur désespérante quête avec son cortège de victimes innocentes exécutées. Les harkis expliquent comment pour un salaire qui faisait vivre leur famille, ils se sont engagés du côté français.

Arte écrit avec justesse : «Leurs récits sont touchants, surprenants, parfois violents. Ils bousculent souvent les mythes et les a priori dont ce conflit est encore empreint, 60 ans après son dénouement ».

Sur la versant algérien, «le conflit constitue pour les Algériens une source de fierté et un ciment identitaire, en dépit des affrontements mémoriels auxquels son récit donne aussi lieu depuis l’indépendance ».

«Dernière séquence d’une histoire coloniale injuste»

Dans le dossier de presse, l’historienne Raphaelle Branche considère qu’il s’agissait de «privilégier la diversité des points de vue. Les réalités historiques sont connues, mais elles sont ici racontées par des gens ordinaires et cela permet de confronter les différences de perception. Pour ne citer qu’un exemple, l’usage du napalm par l’armée française est ici évoqué aussi bien par un pilote français que par une maquisarde algérienne». Elle estime qu’il faut comprendre que « cette guerre constitue la dernière séquence d’une histoire coloniale emplie d’injustices et d’inégalités, qui sont devenues des ferments de révolte.

La trace de ce lien centenaire entre Français et Algériens infuse encore notre présent. Les destructions ont surtout marqué le territoire algérien, théâtre de la violence, avec un quart de la population déracinée et déplacée dans des camps, ou encore les forêts brûlées par le napalm. Mais l’histoire coloniale a nourri de multiples influences et références culturelles, l’imaginaire, la langue (le français en Algérie et les mots d’arabe en français...).

En France, des millions de personnes ont un rapport, familial ou autres, avec l’Algérie.

Donner à voir ce qui s’est réellement passé permet de s’emparer de cette histoire et de dépasser les fantasmes». Face à son interlocutrice, elle se dit être réjouie que « la série soit aussi vue en Algérie, où la guerre de libération est un référentiel très présent et partagé, mais pas toujours raconté dans sa complexité. J’espère que ce travail contribuera à ébranler quelques certitudes en Algérie aussi».

Temps forts et révélations

Il y a énormément de raisons de ne pas manquer cette série documentaire à voir mardi 1er et mercredi 2 mars et qui pourra être vue également sur arte.tv durant plusieurs semaines. On y revit amèrement toute la déraison de la volonté française de ne pas lâcher un territoire conquis par la force en 1830.

On y est aussi soulagée de la reconnaissance, par les témoins eux-mêmes, de la violence qu’on a souvent tue ou cachée au grand public. On y découvre ainsi médusés les récits de viols collectif de femmes dans un village par des soldats pendant que les quelques hommes présents étaient mis à l’écart. Puis l’exécution de tous les hommes ordonnée par radio par un officier : « Descendez les mâles ». Un militaire raconte : « Mécaniquement on a abattu nos prisonniers. Là, j’ai ressenti un dégoût. Il y a un jeune, 19 ans, qui disait : ‘‘Je veux tuer un mec’’. Il voulait sans doute tuer pour affirmer qu’il est un homme ».

Jamais sans doute on aura vu avec précision l’état dramatique des camps de regroupement. Des gourbis de paille et de terre, élevés à la hâte, comme jamais les Algériens n’avaient vécu. Un quart de la population fut ainsi mis à l’écart de ces lieux de vie traditionnels. Le commentaire se fait acide : « D’immenses zones géographiques désertées sont vidées de leurs habitants. Les beaux paysages coloniaux des carte postales sont maintenant sous surveillance policière.»

«T’ES CONTENT ! TU AS FAIT UN BEAU VOYAGE ?»

Tueries militaires aussi. Un ancien soldat réfractaire mais enrôlé de force raconte : «En général, il n’y avait pas de prisonniers. Les gens étaient fanatisés. A tout niveau que ce soit, au niveau supérieur, les colonels commandant les régiments et également au niveau des chefs de section et des sous -officiers. C’était devenu un jeu entre eux, ils voulaient que leur régiment fasse le maximum de morts chez les rebelles». Pourtant un soldat rentré chez lui après son service raconte comment son employeur lui dit : « ’es content ! Tu as fait un beau voyage ? Je l’aurais pris par le collet… Les gens ne se rendaient pas compte et moi je ne me rendais pas compte de mon état». Malgré tout, les tenants de l’Algérie français s’entêtaient, tel un militant qui disait à l’époque (document de 1960) : «L’Algérie algérienne, c’est un slogan qu’on a fabriqué à Paris. Ce n’est pas une émanation qui est sortie d’ici.»

LA SALE GUERRE

En 1957, Jean-Marie Robert, nouvellement nommé sous préfet d’Akbou, s’indigne (dans ces notes personnelles, révélées à l’écran par son fils) face aux excès des militaires qui se croient autorisés à toutes les exactions : «Dix kabyles tués pour un militaire français. Il est temps pour l’autorité civile de reprendre le pouvoir et de faire cesser les pratiques grégaires barbares et immorales que la sale guerre a engrangées, justifiées et normalisées».

BOMBARDEMENT DE SAKIET SIDI YOUCEF

Dans le documentaire, le téléspectateur découvrira comme jamais les images terribles des écoliers tués dans leur école à Sakiet Sidi Youcef en Tunisie, le «Guernica» honteux de l’armée française.

KENNEDY LE 2 JUILLET 1957

Le jeune sénateur américain John Fitzgerald Kennedy prononce un discours favorable à l’indépendance de l’Algérie. Le ministre français des Affaires étrangères français Christian Pineau répond comme le pouvoir français le fait depuis 1943 : «Les problèmes qui se posent en Algérie se situent quelles que soient leur nature et leur complexité sans équivoque dans le cadre de la souveraineté française.» La France s’obstine alors que l’ONU s’est emparée du sujet et qu’en 1960 une résolution sera votée pour l’autodétermination du peuple algérien.

LES MANDATS ENVOYÉS AUX PRISONNIERS

Etonnant témoignage d’un couple de militants du réseau français de soutien. De nombreux prisonniers avaient besoin d’être aidés et la Fédération de France FLN avait codifié cet appui. Mais comment envoyer l’argent. Les militants français furent mis à contribution. L’un d’entre eux explique : «Il fallait trouver des gens dans toute la région parisienne qui pourraient aller de bureau de poste en bureau avec la liste et une certaine somme que je leur remettais.»

Il ajoute : «Il y avait des milliers de prisonniers et il fallait trouver des dizaines de personnes pour envoyer à ces militants.» Son épouse précise : « On passait le week-end à écumer les bureau de poste ».

LE LIVRE EN GUERRE(S) POUR L’ALGÉRIE. Présenté par Raphaëlle Branche et publié par ARTE Éditions / Tallandier/INA (Paris Février 2022).

Parmi tous les interlocuteurs du documentaire, l’historienne a sélectionné quinze femmes et hommes qui confient leurs souvenirs de jeunesse dans une Algérie qui se croyait être France. Ils racontent la guerre, les raisons de leur engagement avec le souci constant, loin des temps difficiles de raconter au plus juste. 

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