La diplomatie publique peut se manifester sous diverses formes, parmi lesquelles la culture occupe une place centrale.
Véritable levier de soft power, elle permet à un Etat d’exercer son influence et de défendre ses intérêts sans recourir à la coercition. Pour mieux cerner cet aspect, Dr Fatima Birem, experte en relations internationales, illustre son propos en évoquant le rôle fondamental de la culture dans la philosophie de la politique étrangère française. «Les gouvernements français successifs – j’insiste sur le terme successifs – ont toujours manifesté une foi inébranlable dans la nécessité de préserver leur spécificité culturelle et linguistique sur la scène internationale.
Cette conviction, transmise de génération en génération, s’est consolidée avec le temps, notamment dans des régions sous influence française comme le Maghreb – Algérie, Tunisie et Maroc», a-t-elle déclaré lors d’un entretien accordé à El Watan. Elle poursuit en soulignant que cette stratégie incarne la mission universelle que la France s’est assignée : promouvoir son mode de vie, ses idées et son organisation sociale au détriment des autres. Selon elle, la France a historiquement misé sur des principes fondateurs, tels que la laïcité, l’Etat de droit et la citoyenneté pour asseoir son rayonnement culturel.
Ainsi, elle a entrepris des efforts continus pour maintenir et renforcer son influence culturelle au Maghreb, que ce soit durant la période coloniale ou après les indépendances. Docteur Birem note également que cette diplomatie culturelle a pris un nouveau visage après les indépendances des anciennes colonies. La France a négocié des accords avantageux, notamment dans le domaine éducatif.
Un exemple emblématique est l’accord franco-tunisien du 3 juin 1955, garantissant à la France la supervision et le développement de ses institutions éducatives en Tunisie, qu’elles soient déjà établies ou à venir. De telles dispositions ont permis à la France de continuer à exercer une influence durable, même après la fin de la colonisation. Poursuivant son analyse, Dr Birem met en lumière le rôle des enseignants français envoyés dans les écoles algériennes, tunisiennes et marocaines durant la période post-indépendance.
Bien que ces pays aient progressivement formé leurs propres cadres éducatifs, l’impact culturel des enseignants français demeure profondément ancré. «De surcroît, la France a consolidé sa présence en établissant des écoles françaises dans la région, qui, encore aujourd’hui, perpétuent la promotion de la langue et de la culture françaises. Ce type d’action constitue une expression de puissance douce (soft power), en contraste avec les approches coercitives de l’époque coloniale», ajoute-t-elle.
La stratégie française s’est également appuyée sur des mécanismes variés, tels que les programmes éducatifs, les initiatives francophones et la création de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) en 1970. Si le Maghreb – à l’exception notable de l’Algérie – a activement participé à cette organisation, les motivations de la France allaient au-delà du simple enjeu culturel. L’objectif sous-jacent, selon ses dires, visait à créer un contrepoids politique face à l’influence anglo-saxonne et à établir un cadre favorable à ses intérêts stratégiques.
Cependant, Dr Birem souligne que la diplomatie culturelle française est aujourd’hui confrontée à des défis majeurs, amplifiés par la mondialisation, l’essor du numérique et l’hégémonie croissante de l’anglais. Ces évolutions ont entraîné un recul notable de l’influence du français, même dans ses anciennes colonies, où les jeunes générations privilégient désormais d’autres langues, telles que l’anglais, le turc ou même le chinois.
En dépit de ces difficultés, la France continue de mobiliser divers outils – médias, échanges culturels, partenariats urbains – pour maintenir son empreinte au Maghreb. Néanmoins, la concurrence internationale, particulièrement celle des Etats-Unis et de la Chine, s’avère de plus en plus redoutable. «Même les budgets alloués à la diplomatie culturelle, jadis conséquents, ont été réduits, fragilisant davantage la position française», observe-t-elle.
Quant à la diplomatie culturelle algérienne, Dr Birem souligne qu’elle connaît un renouveau ces dernières années. «L’Algérie avance avec assurance, cherchant à réaffirmer la place de sa culture, notamment à travers des festivals et des activités culturelles qui célèbrent son identité et son patrimoine. Cette démarche vise à contrer les influences extérieures tout en consolidant son propre rayonnement régional», affirme-t-elle.
Elle conclut en rappelant que la culture reste une arme stratégique dans la préservation des identités nationales, mais aussi un vecteur d’instabilité lorsqu’elle est exploitée pour alimenter des rivalités, comme cela a été le cas dans les conflits liés au patrimoine au Maghreb. Selon elle, ces divisions servent souvent les intérêts des forces extérieures, qui tirent parti des tensions internes pour asseoir leur propre domination.