Crise de légitimité en Libye : La Tunisie préfère garder la neutralité

30/04/2022 mis à jour: 02:17
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Dbeyba a payé les frais de sa tentative de séduction

Le chef du gouvernement d’union nationale de Libye, Abdelhamid Dbeyba, a dû s’envoler pour Dubaï au lieu de Tunis, suite à sa visite la semaine dernière en Algérie. 

Les autorités tunisiennes n’ont pas bien apprécié que Dbeyba ait proposé de se faire accompagner par une grande délégation, comprenant même des sécuritaires de premier ordre, alors que la Tunisie est censée encourager la réconciliation libyenne. 

Veto

«Tunis, ce n’est pas Ankara !» semblent dire les autorités tunisiennes, en se réservant d’accueillir «officiellement» une grande délégation, accompagnant Abdelhamid Dbeyba. 

«Les Libyens sont tous bienvenus en Tunisie. Mais, à l’échelle politique, nous gardons les mêmes distances par rapport aux deux gouvernements se disputant la légitimité en Libye et nous les appelons à la réconciliation», a répondu une source au ministère tunisien des Affaires étrangères, en évitant de répondre directement à la question sur les raisons de l’annulation de la visite que devait effectuer Abdelhamid Dbeyba en Tunisie.

 Le politologue Mohamed Bououd assure que les Tunisiens «n’apprécient pas la présence des sécuritaires dans la délégation, en cette phase du conflit interlibyen». Bououd affirme que «les Tunisiens n’ont pas encore digéré les accusations de Dbeyba, datant d’il y a à peine deux semaines, accusant la Tunisie d’abriter le gouvernement Bachagha». 

Et c’est ce qui explique, toujours, selon le politologue, que «la Tunisie n’était pas très chaude à accueillir Dbeyba».

Concernant la présence fréquente de Bachagha et des membres de son gouvernement en Tunisie, le politologue rappelle que «la Tunisie a toujours abrité plusieurs fractions libyennes sur son territoire, depuis l’aube de la révolution du 17 Février 2011». 

«Bachagha et tous les Libyens sont les bienvenus en Tunisie, comme citoyens d’un pays frère, sans intervenir sur son titre politique», ajoute Bououd. Il cite l’exemple de Abdelhakim Belhaj, le leader islamiste libyen, qui est venu en 2012 pour se faire opérer en Tunisie, alors qu’il était «persona non grata» à Tunis. Il était entré en Tunisie sous une fausse identité. 

Cela n’avait pas alors empêché Hamadi Jebali, le chef de gouvernement de l’époque, de lui rendre visite à la clinique. La même complaisance n’avait pas été présente à l’égard de Baghdadi Mahmoudi, ex-chef de gouvernement sous Gueddafi, qui a été arrêté en septembre 2011 et extradé vers la Libye en juin 2012. Le politologue parle de «cette parenthèse amère sous la troïka, guidée par les islamistes d’Ennahdha», en rappelant qu’il y aurait 100 millions de dollars versés par la partie libyenne, en contrepartie de cette extradition. 

Depuis, et surtout après l’affaire de l’occupation du consulat tunisien à Tripoli, «les Tunisiens n’acceptent plus de Libyens ‘recherchés’, pour éviter les complications, et les relations tuniso-libyennes sont devenues plus équilibrées». 

Problème

Il est toutefois vrai que les relations entre les gouvernements tunisien et libyen ne sont pas au beau fixe depuis la venue de Dbeyba au pouvoir en mars 2021, malgré le fait que le président Saïed soit le premier président à faire le déplacement en Libye, quelques jours après l’entrée de Dbeyba à Tripoli. 

La venue de Dbeyba en Tunisie n’a pas été accompagnée de mesures boostant la présence de la main-d’œuvre et des hommes d’affaires tunisiens en Libye. Même la commission mixte, annoncée en avril 2021, ne s’est pas encore réunie. 

Les contentieux financiers des Libyens avec la Tunisie seraient derrière cette froideur. On parle de l’ordre de 900 millions de dollars, selon des sources de la Banque centrale tunisienne. Ce différend aurait bloqué l’intention des Libyens de faire un dépôt en Tunisie, annoncé en mars 2021. 

Il s’affirme donc qu’aussi bien les considérations politiques que les contentieux financiers n’ont pas milité en faveur de la venue de Dbeyba, bien que ce dernier ait envoyé des signaux disant qu’il n’allait pas poser la question des avoirs des Libyens en Tunisie. Le résident Saïed n’a pas voulu déroger à sa neutralité sur ce dossier, surtout si l’on sait que les deux amis de la Tunisie, l’Algérie et l’Egypte, ne partagent pas la même position sur ce dossier. 

L’Algérie est pour une solution impliquant toutes les parties libyennes, alors que l’Egypte est l’un des principaux supports de l’armée de l’Est de Khalifa Haftar. La Tunisie préfère encourager la réconciliation. 

Tunis
De notre correspondant  Mourad Sellami

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