«Les flux financiers internationaux pour l’adaptation aux changements climatiques dirigés vers les pays en développement sont 5 à 10 fois inférieurs aux besoins estimés, et l’écart continue de se creuser», note un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement.
C’est sans doute l’actualité mondiale la plus brûlante du moment. Plusieurs régions de la planète suffoquent depuis des jours sous des vagues caniculaires à la longévité et l’intensité sans précédent.
En Amérique du Nord, au Proche-Orient et en Asie, dans le sud de l’Europe et le pourtour de la Méditerranée, les «dômes de chaleur», des couvercles naturels qui enferment l’air chaud et l’empêchent de refroidir en se libérant dans l’atmosphère, maintiennent la pression sur des populations de plus en plus épuisées et stupéfaites de ce basculement brutal dans l’ère du réchauffement climatique.
L’ONU, à travers l’Organisation mondiale de la météorologie, a tenu à avertir le monde qu’il fallait s’attendre à ce que les vagues de chaleur extrême deviennent plus répétitives et plus éprouvantes. «L’un des phénomènes notables que nous avons observés est que le nombre de vagues de chaleur simultanées dans l’hémisphère nord a été multiplié par six depuis les années 1980. Cette tendance ne montre aucun signe de diminution», a relevé M. Nairn, expert au niveau de la même organisation, lors d’une conférence de presse mardi dernier.
Fataliste, il invitera chacun à élaborer son «propre plan de lutte» pour faire face aux nombreux désagréments et risques sur la santé humaine, puisque ces épisodes de fournaise ne permettent même plus les répits nocturnes en matière de température. En cette année qui voit les records de température céder les uns après les autres, notamment durant ce mois de juillet où les épisodes sont spectaculaires, il est aisé d’observer que la tendance est probablement en phase d’accélération.
Des activités touristiques sont perturbées en Grèce, pour la première fois des suites des pics de chaleur, alors que le pays fait face à d’énormes incendies qui ont nécessité des évacuations dans des zones balnéaires dans la région d’Athènes.
Aux Etats-Unis, des seuils de température «dangereux» et inédits sont enregistrés en Californie au Texas ; les services météorologiques chinois ont, dimanche dernier, enregistré un record dans la région du Xinjiang, territoire aride, certes, mais qui auparavant se signalait par des seuils autrement moins spectaculaires.
En Algérie, ce mois de juillet voit pour la première fois des alertes canicule se marquer du sceau du rouge dans le pays, avec dans le lot des villes côtières jusque-là bénéficiant des effets de la proximité avec la mer pour afficher des températures beaucoup plus clémentes que dans le reste du territoire.
Dans le sud de la wilaya de Béjaïa, Bouira, Relizane ou Chlef, les prévisions maximales journalières ne sont pas descendues des 44 et 45 degrés durant les deux semaines dernières avec des minimales nocturnes qui permettent peu de reprendre son souffle. Les températures dépassent allégrement celles du Grand Sud. En attendant d’évaluer les dégâts de ces jours de fournaise sur l’agriculture, le patrimoine arboricole notamment, et l’impact sur les réserves hydriques, le stress thermique pèsent sur les franges de la population les plus vulnérables en matière de santé.
Enjeux et pièges géopolitiques
Le réchauffement climatique n’est plus un risque mais une réalité, et le monde donne l’air d’être surpris d’en connaître si tôt ses premiers effets. Un monde décidément peu engagé à agir malgré la succession des conférences internationales de haut niveau sur le climat, les accords d’actions communes, et les mises en garde régulières des scientifiques depuis des décennies.
John Kerry, l’émissaire pour le climat de la Maison-Blanche, était en visite à Pekin la semaine dernière pour y rencontrer son homologue chinois. Les deux puissances économiques et géopolitiques sont aussi les deux plus grands pollueurs de la planète. «La crise climatique exige que les deux plus grandes économies du monde travaillent ensemble pour limiter le réchauffement de la Terre», a déclaré le représentant américain. Washington et Pékin sont appelés à «prendre des mesures urgentes» pour limiter la pollution par le charbon et le méthane.
Le côté chinois affiche les même dispositions en déclarant s’engager à échanger avec les Etats-Unis sur les questions liées au changement climatique et travailler avec eux pour «relever les défis et améliorer le bien-être des générations actuelles et futures». Les échanges sur la question, amorcés à ce niveau dès 2021, avaient été pourtant suspendus depuis une année, suite à une brouille sur la situation de l’île de Taïwan.
Le déplacement sur l’île de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, en août 2022, avait fait réagir Pékin en suspendant tout dialogue avec l’administration américaine sur une série de dossiers, dont celui crucial du climat.
Un fait diplomatique a donc pu rompre durant une année entière un dialogue sur l’avenir de la planète et les générations futures. L’épisode illustre toute la difficulté à faire basculer les dirigeants du monde dans une prise de conscience face à la menace climatique qui serait suffisamment dissociée des enjeux d’hégémonie politique et économiques pour se traduire en actes à la hauteur de la situation.
Des engagements fermes et prometteurs ont été pourtant pris, il y a plusieurs années. Le 12 décembre 2015, les représentants de 195 Etats du monde sont arrivés à dégager un laborieux consensus sur l’urgence de réagir à la détérioration généralisés des indicateurs du climat. Une série de mesures est ainsi adoptée dans ce qui est appelé «l’Accord de Paris», avec comme objectif de limiter l’augmentation inexorable des températures en dessous des 2°C par rapport aux niveaux préindustriels.
Accord de paris : aveu d’échec après l’euphorie
Dans l’euphorie de l’accord historique, on se dit capables de prendre en charge les recommandations du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), à savoir réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 70% à l’horizon 2050, avec ambition de les faire disparaître en 2100, pour réussir à rester sous 2°C, et les baisser de 70 à 95% pour rester sous 1,5°C.
Le cap a donc été mis sur le développement accéléré des énergies renouvelables, pour limiter drastiquement l’usage des énergies fossiles, avec engagement des économies les plus fortes historiquement de la planète, soit les plus pollueuses, de verser annuellement 100 milliards de dollars aux bénéfices des pays en difficulté, pour leur permettre de financer des projets de reconversion énergétique. Or, on sait que jamais le fonds projeté n’a pu être financé à hauteur des seuils promis.
La tâche s’est avérée plus compliquée que prévu en dehors des travées des conférences sur le climat. En plus de l’indiscipline affichée par des bailleurs comme les Etats-Unis, la réalité économique sur le terrain, avec des surcoûts générés par les déficits infrastructurels dans des pays en développement, ont fait que les objectifs ne soient jamais atteints, près de 10 ans après. «Les flux financiers internationaux pour l’adaptation aux changements climatiques dirigés vers les pays en développement sont 5 à 10 fois inférieurs aux besoins estimés, et l’écart continue de se creuser», note un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement, publié à la fin de l’année dernière.
De plus, les besoins s’avèrent plus profonds que calculés. 160 et 340 milliards de dollars seraient nécessaires à l’horizon 2030 pour réellement avoir des résultats sur le terrain, alors qu’il faudrait le double pour prétendre réaliser les objectifs à l’horizon 2050, selon des estimations d’experts.
Mais il n’y a pas que les difficultés objectives à faire bouger le système financier. Les gouvernements occidentaux, européens notamment, sous la poussée d’une prise de conscience dans la société civile et la sphère scientifique, quant aux enjeux existentiels posés par le climat, ont certes opté pour des gouvernances qui font de l’écologie un thème de développement stratégique. On a vu ainsi éclore des départements ministériels dédiés à l’«environnement», et tout récemment spécialement au «climat».
Ministre de la crise climatique…
En Grèce, c’est un «ministre de la Crise climatique et de la Protection civile» qui supervise depuis des jours la lutte contre les feux de forêt géants qui frappent le pays. Dans les pays non développés, et non moins exposés aux effets brutaux du réchauffement climatique, les priorités restent figées bien entendu sur des paradigmes hermétiques aux bouleversements, et accaparés par des enjeux immédiats liés à la sécurité alimentaire ou à la défense nationale. Mais il semble que même en Europe ou aux Etats-Unis, la prise de conscience ne dépasse pas toujours le caractère politicien.
Les experts du GIEC, et pas seulement eux, estiment que les gouvernements doivent prendre la responsabilité d’agir sur le mode de vie des populations, en limitant et modifiant la consommation et le transport motorisé, entre autres.
Aucun gouvernement, pris dans le système des équations électorales, ne semble prêt à aller aussi loin. L’autre obstacle, géopolitique cette fois, consiste en la configuration historique de «l’ordre mondial». 50% des émissions de gaz à effet de serre, premier responsable identifié de la crise climatique, émanent de la Chine, des Etats-Unis, de la Russie et de l’Inde. Il y a la taille des nations (démographique et économique), mais aussi, pour les trois premières, le poids de leurs rivalités géostratégiques.
Comme mentionné plus haut, s’agissant du dialogue sino-américain sur le climat, des crispations diplomatiques peuvent en effet alourdir le rythme de la coopération et son importance entre des acteurs impliqués plus que d’autres dans la responsabilité de la crise, et par ailleurs engagés dans des luttes d’influence politique et de leadership économique mondiales. Les tensions générées par la guerre en Ukraine ne vont certainement pas arranger les choses.
Les scientifiques, quant à eux, ont tranché la question. Il y a une année, un consortium d’experts reconnus a dressé un bilan des étapes perdues et parcourues. Leur verdict est sans appel : il sera impossible pour la planète de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C dans les échéances visées par l’Accord de Paris et la série de COP (conférences des parties) organisées sur la problématique.
L’enfer des vagues de chaleur vécu en ce juillet 2023, dans plusieurs régions du monde, le confirme de manière effrayante. Il faut espérer qu’il serve au moins à renforcer la prise de conscience et accélérer la prise de décision.