Création Théâtrale : Un gaulois nommé Ibrahim

05/04/2022 mis à jour: 07:23
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Il y a moyen de rire et de réfléchir sur ces thèmes qui frisent bien souvent le racisme et l’exclusion

Alors que les questions d’identité ont largement empoisonné la campagne électorale avec deux candidats d’extrême-droite et une candidate de droite qui faisait de la surenchère, il y a moyen de rire et de réfléchir sur ces thèmes qui frisent bien souvent le racisme et l’exclusion. 

A quelques jours du premier tour de la présidentielle, c’est au théâtre 13/Bibliothèque à Paris qu’aboutira pour plusieurs représentations cette semaine la création de la pièce Histoire(s) de France, écrite et mise en scène par le comédien et dramaturge d’origine algérienne Amine Adjina, avec Emilie Prévosteau qui est avec l’auteur la co-responsable de la compagnie Le Double. 

Nous avons pu voir en avant-première cette pièce dans une captation numérique réalisée dans les règles de l’art. Cette création vivante emprunte aux canons modernes de l’art vivant : performance, jeu, danse, vidéo… Trois comédiens admirables de vivacité : Mathias Bentahar, Romain Dutheil et Émilie Prévosteau. 

La pièce met en scène un collège où le groupe de théâtre doit choisir un moment de l’histoire de France et le rejouer devant les autres, à l’instigation de leur professeure. Tout l’objet est de se prendre au jeu en se surprenant eux-mêmes sur ce qu’ils sont. Arthur, un des élèves, décide de s’attaquer aux Gaulois. Il embarque deux camarades avec lui. C’est là que les problèmes commencent. Comment parler des Gaulois ? Qui peut jouer ? Et quels rôles ? Très vite, les comédiens admirables nous font ressentir l’ambiguïté de ce que nous laisse l’histoire en legs dans un parasitage avec la vie actuelle et le ressenti sur une France si mélangée que les ressorts historiques en deviennent paradoxaux. Les Gaulois sont-ils tous blonds ? Et si Vercingétorix était une femme ? Et si le druide se revêtait de la djellaba d’Ibrahim, fils d’immigré, qui transforme tout en point d’interrogation sur qui il est dans cette ‘‘Histoire’’ ? Et renverse les codes. Avec énormément de surprises dont regorge un texte alerte et finement écrit.

«S’EMPARER DU PASSE POUR PENSER LE PRÉSENT»  

Très vite, au travers des périodes de l’Histoire, les personnages vont questionner le rapport à leur identité. En passant par la Révolution française de 1789 et ses cahiers de doléances, jusqu’à l’évocation de la dernière phase historique, qui paraît si loin 24 ans après : la victoire de la France métissée de Zidane à la Coupe du monde de foot en 1998.

 À partir de cette plongée dans ces périodes de l’histoire de France vont se poser plusieurs questions que les élèves vont tenter de résoudre comme ils peuvent. L’auteur explique ses intentions : « Ce qui me guide en premier lieu, c’est l’idée que l’Histoire s’écrit au présent. Comme le théâtre. L’histoire et le théâtre ont ceci en commun, s’emparer du passé pour nous permettre de penser le présent. Ce sont les recherches, les découvertes contemporaines qui permettent de réécrire et repenser certains passages de l’Histoire. De même qu’au théâtre, le travail sur les textes classiques ou les textes contemporains est un travail de réactivation. 

Et il me semble que dans ce présent troublé que nous vivons, certaines périodes de l’Histoire peuvent nous permettre de dialoguer, d’avoir un contrepoint pour ouvrir nos façons de faire et de voir. Il s’agit de ne pas laisser l’histoire uniquement à ceux qui l’utilisent à des fins de division.» Amine Adjina résume sa démarche : «Histoire(s) de France est né de l’envie simple de continuer à interroger mon rapport à la France, à ce que cela veut dire être français et par là les histoires qu’on nous raconte et qu’on se raconte pour établir un socle commun : notre ou nos histoire(s). Je suis français d’origine algérienne. Mes deux parents sont algériens. Ils n’ont jamais demandé la nationalité française. (…) Et j’ai des souvenirs de moi au collège qui me définissait plutôt comme algérien que français, tout en sachant pertinemment que je n’étais pas complètement un algérien.» 

Et d’ailleurs, ajoute-t-il, pris entre deux mondes de par son origine, il savait très bien que « l’Histoire que je connaissais, que j’apprenais parce qu’elle m’était enseignée, n’était pas l’Histoire de l’Algérie mais bien celle de la France». Pour lui, «l’Histoire se raconte aussi par tout ce qui est, volontairement ou involontairement, occulté. Aujourd’hui, en France et en Europe, nous pouvons voir à quel point l’Histoire, quand elle est utilisée ou raccourcie, peut servir des causes diverses dont celles de l’extrême-droite. 

La récupération de la figure de Jeanne d’Arc, ou de celle du Général De Gaulle. Le couronnement de Clovis à la Cathédrale de Reims. La figure de Napoléon. La formule devenue célèbre ‘‘Nos ancêtres les Gaulois’’. Or quand on y regarde de plus près, les choses ne sont pas aussi claires qu’il n’y paraît.. »

Il conclut que «l’histoire et le théâtre ont ceci en commun, s’emparer du passé pour nous permettre de penser le présent». Outre les scènes, la pièce sera ensuite donnée devant des publics scolaires pour une interaction entre Histoire et histoires…

Paris, de notre bureau  Walid Mebarek

Du 6 au 16 avril 2022 au Théâtre 13 - Site Bibliothèque, du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16h. Rue du Chevaleret – 75013 Paris (M° Bibliothèque François Mitterrand) 
Contact : [email protected]

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