Une délégation de sénateurs américains, menée par le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, est arrivée à Shanghai, en Chine, hier, rapporte l’AFP. Elle a été accueillie par l’ambassadeur des Etats-Unis, Nicholas Burns.
Dans la délégation, figurait notamment son collègue républicain Mike Crapo, qui représente l’Etat de l’Idaho, où se trouve le géant américain des semi-conducteurs Micron.
En mai, des sénateurs américains, dont Chuck Schumer, ont annoncé un plan pour combattre l’influence croissante de la Chine dans le monde. L’initiative prévoit de limiter les flux d’investissements et de technologies de pointe vers le géant asiatique et de dissuader Pékin de toute agression contre Taïwan, que la Chine considère comme faisant partie de son territoire. Interrogé sur ses attentes en Chine, C. Schumer a dit espérer des «discussions très productives».
Au premier jour de cette visite, la délégation a rencontré le plus haut responsable du Parti communiste chinois de Shanghai, Chen Jining. Chuck Schumer a évoqué certains des contentieux qui opposent la Chine et les Etats-Unis. «Bon nombre de nos électeurs estiment que la Chine ne traite pas les entreprises américaines de manière équitable», a observé l’élu démocrate, au moment où les firmes implantées dans le pays cherchent de plus en plus à déplacer leurs investissements hors de Chine, selon un rapport de la Chambre américaine de commerce (AmCham).
«Un autre sujet que nous aimerions aborder au cours de ce voyage est le flux de produits chimiques mortels, comme le fentanyl, en provenance d’entreprises chinoises», a poursuivi C. Schumer. «Il ne s’agit pas du gouvernement (chinois), mais d’entreprises chinoises. Elles alimentent la crise du fentanyl qui empoisonne les communautés à travers les Etats-Unis», a-t-il affirmé. Le fentanyl est un puissant opiacé de synthèse, utilisé dans le milieu médical mais dont l’usage peut être détourné comme drogue. Le gouvernement de Joe Biden a annoncé mardi lancer des poursuites, accompagnées de sanctions économiques, à l’encontre de 28 personnes et entités, notamment en Chine et au Canada. L’accès au marché financier américain leur est interdit.
Selon l’agence Bloomberg, la délégation américaine espère s’entretenir dans les prochains jours à Pékin avec le président chinois, Xi Jinping. Ce déplacement en Chine intervient au moment où une rencontre avec son homologue américain, Joe Biden, est envisagée. Ce dernier a évoqué vendredi comme «une possibilité» cette rencontre avec Xi Jinping lors du sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (Apec), prévu mi-novembre à San Francisco. «Une telle réunion n’a pas été organisée, mais c’est une possibilité», a-t-il indiqué à la presse.
Ces derniers mois, Pékin et Washington ont renoué le dialogue avec une succession de visites de hauts responsables américains à Pékin, dont le chef de la diplomatie, Antony Blinken, au mois de juin. Mais les relations bilatérales sont toujours tendues, les différends commerciaux, l’expansion chinoise en mer de Chine méridionale et la question de Taïwan, l’accès des entreprises chinoises aux hautes technologies constituent, entre autres, les différends qui opposent les deux premières puissances économiques mondiales.
Outre la Chine, la délégation de sénateurs doit également se rendre en Corée du Sud et au Japon, selon le quotidien américain The New York Times.
Au nom de la «sécurité nationale»
La Chine a imposé depuis le 1er août des restrictions aux exportations de deux métaux indispensables aux semi-conducteurs et dont elle est le principal producteur. Selon une directive du ministère du Commerce, les exportateurs chinois de gallium et de germanium doivent obtenir une licence. Ils devront fournir des informations sur le destinataire final et en notifier l’utilisation, précise ce document de juillet entré en vigueur hier.
La décision est perçue comme des représailles aux mesures prises par Washington à l’encontre de son secteur technologique. La Chine, qui cherche à devenir autonome dans la conception de semi-conducteurs, estime que les mesures de Washington visent à maintenir la suprématie des Etats-Unis dans ce domaine.
Début juillet, la Chine a annoncé qu’elle compte limiter les exportations du gallium et du germanium. Pékin justifie officiellement ces mesures par la nécessité de «préserver la sécurité et les intérêts nationaux». Il s’agit aussi de répondre aux mesures de blocage envisagées par Washington à son encontre. L’administration Biden a en effet poursuivi la politique de l’administration Trump vis-à-vis de la Chine en durcissant l’accès des entreprises chinoises aux technologies américaines les plus avancées.
La Chine représente 94% de la production mondiale de gallium, présent notamment dans les circuits intégrés, les LED et les panneaux photovoltaïques, d’après un rapport de l’Union européenne (UE) publié cette année. Quant au germanium, indispensable pour les fibres optiques et l’infrarouge, 83% de la production de cet élément provient également de Chine.
Au nom de la «sécurité nationale», les Etats-Unis ont mis en place ces dernières années plusieurs mesures pour restreindre l’accès des entreprises chinoises à certaines technologies américaines ou compliquer leur fabrication de semi-conducteurs de pointe. Lors de sa visite en juin en Chine, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a indiqué que Washington ne cherche pas à «enrayer» le développement économique chinois. «Nous voulons de la croissance. Nous voulons voir le succès dans toutes les parties du monde, y compris, bien sûr, dans les grandes économies comme la Chine», a-t-il ajouté.
«Mais en même temps», il n’est «pas dans notre intérêt de fournir à la Chine des technologies qui pourraient être utilisées contre nous», a-t-il observé. «Alors qu’elle développe de manière très opaque son programme d’armes nucléaires, qu’elle produit des missiles hypersoniques, qu’elle utilise la technologie à des fins répressives, en quoi est-il dans notre intérêt de fournir ces technologies spécifiques à la Chine ?» s’est-il demandé.
Lors de son déplacement en Chine en juillet, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a indiqué que les Etats-Unis vont continuer de mener «des actions ciblées», motivées par de simples considérations de «sécurité nationale». «Nous ne les utilisons pas pour obtenir un avantage économique.»
En 2018, l’administration Trump a interdit à l’entreprise chinoise de télécommunications ZTE d’acheter des semi-conducteurs conçus aux Etats-Unis. Le 15 mai 2019, l’administration américaine a décidé de placer le groupe Huawei sur la liste noire du département du Commerce. En conséquence, les entreprises qui ont des relations commerciales avec ce géant chinois des télécoms peuvent faire l’objet de sanctions américaines, si bien qu’un grand nombre d’entre elles ont annoncé, les unes après les autres, leur intention de geler leurs relations commerciales avec Huawei.
Cette mesure est motivée par une accusation de pratiquer un espionnage massif. Le 23 du même mois, le secrétaire d’Etat américain à l’époque, Mike Pompeo, a de nouveau reproché à Huawei de «mentir aux Américains et au monde entier» à propos de sa collaboration avec le gouvernement chinois. En octobre 2022, le département américain du Commerce a annoncé des contrôles drastiques à l’exportation sur les circuits intégrés informatiques avancés, utilisés pour propulser les missiles guidés. Et 31 institutions et sociétés chinoises ont été ajoutées à sa liste d’entités avec lesquelles il est interdit de commercer.
Le 31 mars dernier, la Chine a annoncé l’ouverture d’une enquête contre le groupe américain Micron, quatrième fabricant mondial de semi-conducteurs, pour des raisons de sécurité nationale. Pékin a indiqué ne plus vouloir de ses produits chez les opérateurs d’infrastructures dites «sensibles» en Chine.
En mai, Pékin a appelé les entreprises chinoises traitant des données sensibles à arrêter d’acheter des puces mémoires dudit groupe. Dans une déclaration officielle, l’administration chinoise chargée de la cybersécurité a estimé que les produits de Micron «présentent des problèmes potentiels pour la sécurité des réseaux relativement sérieux, ce qui pose un problème majeur à la sécurité des chaînes d’approvisionnement (…) et affecte la sécurité nationale de la Chine».
Rivalité sur les zones d’influence
La visite de la délégation américaine intervient alors que lundi les Etats-Unis et les Philippines ont entamé leurs manœuvres navales conjointes annuelles au large de la capitale Manille et au sud de Luzon, principale île des Philippines. Pékin revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, malgré les prétentions rivales de ses voisins, dont les Philippines. L’Empire du Milieu a rejeté le verdict la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye en 2016, qui a estimé que Pékin n’a pas de «droits historiques» sur la majorité des eaux stratégiques de la mer de Chine méridionale et donné raison aux Philippines.
La Chine fonde sa légitimité sur ces territoires sur des cartes remontant aux années 1940. Washington prône un règlement multilatéral et pacifique de ces conflits. Pékin est plutôt favorable à des négociations bilatérales. En juillet 2020, le secrétaire d’Etat américain à l’époque, Mike Pompeo, a déclaré «illégales» les revendications territoriales de Pékin en mer de Chine méridionale.
Autre pierre d’achoppement, Taïwan : Pékin considère l’île comme une province qu’elle n’a pas encore réussi à réunifier avec le reste de son territoire depuis la fin de la guerre civile chinoise en 1949. La Chine, qui dit privilégier une réunification pacifique avec Taïwan, n’exclut toutefois pas un recours à la force pour y parvenir.
En avril, elle a organisé trois jours d’exercices militaires simulant un blocus de l’île, en réponse à la rencontre en Californie entre le président de la Chambre des représentants américaine, Kevin McCarthy, et la présidente taïwanaise, Tsai Ingwen.
Les Etats-Unis, qui ont accordé leur reconnaissance diplomatique à la République populaire de Chine en 1979, restent l’allié le plus puissant de Taïwan ainsi que son principal fournisseur d’armes.
En parallèle, l’Oncle Sam tente de soustraire les îles du Pacifique à la Chine. Fin septembre, Washington a accueilli le Forum Etats-Unis-îles du Pacifique. A cette occasion, le président américain a annoncé la reconnaissance officielle comme «Etats souverains et indépendants» de deux territoires, les îles Cook et Niue. «Il est évident que la Chine joue un certain rôle dans tout cela, il est évident que ses ambitions et son influence dans cette région sont une raison pour nous de poursuivre notre offensive stratégique», a déclaré une haute responsable de la Maison-Blanche, qui a requis l’anonymat, lors d’un entretien avec la presse.
La Chine n’est pas restée indifférente à la région ces dernières années. C’est le cas, notamment, aux îles Fidji, où s’est rendu le président chinois en 2018, au Vanuatu, aux îles Samoa, aux îles Salomon, qui ont intégré les «Nouvelles routes de la soie»