Collectivités locales : L’indispensable réforme

17/11/2024 mis à jour: 13:52
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Photo : D. R.

C’est l’engagement pris par le président de la République, qui a installé récemment la commission de révision des codes communal et de wilaya. Objectif : «accorder de larges prérogatives aux élus et renforcer davantage la décentralisation afin d’insuffler une nouvelle dynamique de développement au niveau local».

Le code communal connaîtra un changement radical.» C’est l’engagement pris par le président de la République qui a installé récemment la commission de révision des codes communal et de wilaya. Objectif : «accorder de larges prérogatives aux élus et renforcer davantage la décentralisation, afin d’insuffler une nouvelle dynamique de développement au niveau local».

Annoncée depuis plusieurs années, cette réforme est attendue avec impatience par toute la classe politique. Elle est rendue indispensable par «les blocages, les lacunes et les dysfonctionnements» qui caractérisent la gestion des collectivités locales avec pour conséquence des retards considérables (et des surcoûts) dans la réalisation des projets de développement.

A Boudouaou, dans la wilaya de Boumerdès, plus de 107 projets d’un montant de plus de 160 milliards tardent à être réalisés, affirme Ghazal Larbi, vice-P/APC, précisant que le maire lui a interdit d’accéder à son bureau durant plus de quinze jours pour avoir critiqué sa gestion. D’une population de plus 120 000 habitants, la commune concentre tous les maux de la gouvernance locale.

Bloquée à cause des luttes d’intérêt de juillet 2022 à avril 2023, l’APC semble toujours paralysée. «Cela fait longtemps qu’on ne s’est pas réunis. Le budget primitif de 2025 n’est pas élaboré bien que cela doit intervenir avant le 31 octobre», ajoute l’édile local, relevant la nécessité de changer le mode d’élection du maire.

Un autre affirme que «90% du parc roulant est en panne alors que la plupart de nos biens immobiliers sont sous-exploités». «Le budget communal a baissé de 20 milliards en 2023 et les revenus du patrimoine (12 millions de dinars) sont nettement moins que le montant des indemnités (18 MDA) des seize élus détachés sur les 23 que compte l’Assemblée», a-t-il ajouté. Il y a quelques mois, deux ex-P/APC et une quinzaine de fonctionnaires de l’administration communale ont été condamnés à des peines de prison pour attribution de marchés publics en violation de la réglementation.

Libérer les initiatives

Ailleurs, dans d’autres localités, la situation est différente mais elle est loin d’être reluisante. Plus de 900 parmi les 1541 communes du pays «vivent» grâce aux subventions de l’Etat. Le taux d’encadrement est estimé à 7% à l’échelle nationale, alors que les recettes générées par l’exploitation des biens producteurs de revenus couvrent moins de 5% des dépenses de fonctionnement. Malgré les recommandations des autorités, rares sont les communes qui prennent des initiatives pour valoriser leurs biens et réduire leur dépendance budgétaire. Que faut-il revoir pour changer cet état de fait ?

Dans une récente contribution publiée dans l’Expression, Alloua Mouhoubi, ancien élu et retraité de l’enseignement supérieur, a évoqué l’importance de conférer à l’APC la possibilité de créer des entreprises et l’adoption, dès son installation, d’un plan d’action communal (PAC) sur la durée du mandat. «Le caractère facultatif actuel ouvre la brèche à des programmes annuels éparpillés sans réel impact», argue-t-il. Pour éviter les blocages, le quorum exigé pour la tenue d’une assemblée extraordinaire devrait, selon lui, être rabaissé à un tiers des membres de l’APC.

Le P/APC d’El K’seur (Béjaïa), Gharbi Lyes, plaide quant à lui pour la suppression de l’article 43, réclamant plus de prérogatives concernant la gestion du foncier. «Le P/APC gère avant tout un territoire. On ne peut pas lui demander de diversifier les ressources de la commune quand il n’a pas le droit d’attribuer un terrain dans le cadre de l’investissement», soutient-il.

La localité dispose de deux zones d’activité et d’un nouveau parc industriel de 175 lots, mais l’APC n’a jamais été consultée au sujet des attributaires ni des activités à promouvoir dans le site, dit-il. Le code communal dispose dans son article 111 que «l’APC initie toute action et prend toute mesure de nature à favoriser et impulser le développement d’activités économiques, en relation avec les potentialités et le plan de développement de sa commune…».

Néanmoins, l’application de cet article, comme beaucoup d’autres, est suspendue à l’élaboration de textes réglementaires qui ne sont jamais arrivés. Bien qu’elle dispose de trois ZAD, la commune d’El K’seur ne jouit pas d’une bonne santé financière. «Cette année, le budget de l’APC d’El K’seur est évalué à 390 millions de dinars, dont 330 millions sont réservés pour la masse salariale. Nous avons 25 villages et sans l’aide de l’Etat, on ne peut rien entreprendre», indique-t-il.

Des prérogatives… et des moyens !

Pour améliorer ses recettes, l’APC entreprend des démarches en vue de céder par adjudication la crèche, le marché, l’abattoir, le parc, etc. Ces biens peuvent générer 20 millions à la trésorerie, mais les dossiers stagnent depuis plus de six mois à la direction des Domaines. La complexité des procédures et la multiplication des intervenants dans la réalisation des projets de développement sont  une autre plaie de la gouvernance locale. Dans la wilaya de Boumerdès, le taux de consommation des budgets inscrits au chapitre équipement et investissement est très faible.

En 2023, sur 200 opérations (9,30 milliards de dinars) inscrites sur le FSGCL et le budget de wilaya, seulement 74 ont été achevées, lit-on dans le compte administratif. «Nous souffrons du manque d’effectifs, mais les APC n’ont pas le droit de recruter même quand elles ont les moyens», souligne Hamid Ighil, élu à l’APC de Boumerdès. «Le P/APC dispose de larges pouvoirs mais n’a pas les outils nécessaires pour les exercer. Il doit plutôt être protégé, reconsidéré et bénéficier, par exemple, de pouvoirs en termes de fiscalité afin d’améliorer les revenus de la commune.

Les vice-présidents ne sont redevables de rien. Ils ne sont cités dans aucun article de loi, de même que le chef de daïra d’ailleurs», réagit pour sa part Mouloud Salhi, P/APC d’Akbou, une des communes les plus riches d’Algérie. En sus du manque d’encadrement, certains expliquent le faible taux de consommation des budgets par les oppositions, l’absence de rigueur dans le suivi des projets, la conclusion d’avenants modificatifs,  etc. «Le P/APC n’a pas assez de pouvoir, mais c’est lui qui encaisse tout, comme un pare-choc.

Il ne peut rien entreprendre sans délibération et quand il y a un problème, c’est lui qu’on accuse en premier», relève Kamel Khelifi, P/APC par intérim de M’kira (Tizi Ouzou), une localité rurale de 36 villages dépourvue de ressources. Là aussi, l’APC était paralysée durant plusieurs mois en 2023 à cause de désaccords entre élus. «On a un seul vice-président détaché car l’indemnité (60 000 DA) reste insuffisante par rapport au poids des charges et des responsabilités», estime-t-il.

Transparence

Omar Berour, ancien élu à Boudouaou, plaide pour le renforcement des mécanismes permettant de garantir plus de transparence dans la gestion de la commune. «L’article 11 du code communal dispose que l’APC peut présenter un exposé sur ses activités annuelles devant les citoyens.

Cela doit devenir obligatoire, car personne ne le fait. Idem pour l’affichage des délibérations qui doit se faire aussi sur des supports web dans un souci de transparence. Il y a des APC qui ne tiennent aucune session ordinaire dans l’année. Elles  se réunissent à titre extraordinaire uniquement. La loi oblige l’APW à tenir 4 sessions par an, mais pas l’APC», observe-t-il. Et d’ajouter : «Le refus d’assister ou d’approuver les décisions de l’assemblée doit être motivé sous peine de poursuites pour entrave au bon fonctionnement des institutions.

En cas de blocage, le législateur fera mieux aussi de fixer la durée du pouvoir de substitution du wali.» Pour Brahim Lakhlef, économiste, la prise en charge du développement local passe par la promotion de l’ingénierie territoriale.  «Les missions, l’organisation et les actions de la gouvernance locale doivent reposer sur des principes qui favorisent la cohérence des politiques tout en tenant compte des intérêts et objectifs des différents acteurs locaux», a-t-il écrit dans une de ses contributions. 

Ces principes concernent, selon lui, la participation de tous les acteurs concernés au développement de la région, la disponibilité d’une information fiable pour tous les acteurs publics et privés, la coordination, l’accompagnement, l’ingénierie territoriale, la formation et l’évaluation objective.

A quand un code de la fiscalité locale ?

Il y a quelques mois, le président Tebboune a insisté sur «l’impératif d’élaborer une étude approfondie en prévision de la révision globale du système de fiscalité locale». Elaborée en 2019, la première mouture du code de la fiscalité locale n’aurait pas «plu» au Président et a été critiquée par beaucoup de spécialistes.

Dans son article 3, elle dispose que «les collectivités locales ne peuvent percevoir un impôt, une taxe, un droit ou une redevance que s’il (elle) est créé(e) par la loi, voté (e) par l’instance délibérante et approuvé (e) par l’autorité compétente. Les taux et/ou les montants de prélèvement des impôts, taxes, droits et redevances sont arrêtés par délibération de l’assemblée locale, dans le cadre des fourchettes prévues par la loi».

La création, la modification ou la suppression d’un impôt local restera, selon cette loi, du ressort du Parlement. Elle prévoit toutefois de moderniser et de simplifier le cadre juridique des impôts, à travers la création d’une plateforme contenant des informations mémorisées et protégées. Les collectivités locales bénéficieront à la faveur de cette loi de 17 impôts, taxes et droits dont 8 leur reviendront intégralement. R. K.

Valoriser les biens communaux

Les APC sont tenues, selon l’art 163 du code communal, de prendre périodiquement les mesures nécessaires pour valoriser et rentabiliser les biens communaux. Mais cette disposition n’est pas appliquée dans les faits. «Les contrats de loyers relatifs aux biens à usage commercial et professionnel sont souvent conclus à des tarifs en deçà de ceux en vigueur au marché locatif et ne sont pas régulièrement renouvelés.

A cela s’ajoute un manque de rigueur dans le recouvrement et le suivi des recettes, dû, essentiellement, au défaut de coordination entre les services de l’ordonnateur et le trésorier communal», lit-on dans un rapport de la Cour des comptes, établi en 2021 après des enquêtes dans six grandes communes du pays.

A Lakhdaria, qui compte 220 biens, il a été dénombré 117 contrats de location expirés et non renouvelés. A Dellys, les enquêteurs ont découvert que 89 contrats d’exploitation ont expiré et les prix appliqués pour les biens à usage commercial et professionnel varient, en moyenne, entre 500 et 1000 DA et ne reflètent nullement la valeur locative réelle. R. K.

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